Lourdes 1979 : La catéchèse comme enjeu missionnaire

La parution de l'encyclique Redemptor hominis confirme la théologie développée par le cardinal Wojtyla lors du concile puis à l'occasion des synodes romains de 1971 et 1974. Elle puise sa cohérence dans une anthropologie fondée sur une définition verticale de l'homme dans son rapport à la transcendance. Or la réaffirmation de la ligne wojtylienne depuis le siège papal marque la défaite de l'épiscopat français conciliaire. Il est dès lors impératif pour l'épiscopat de réévaluer l'admonestation de Paul VI de 1977 au filtre de Redemptoris hominis. Le président Etchegaray prend acte à l'ouverture de l'assemblée plénière de 1979 tandis qu'est annoncée la venue à Paris du souverain pontife pour l'année suivante ¹⁴³ :

‘L'Église de France doit se préparer à accueillir Jean-Paul II. A la lumière de sa parole, de son encyclique Redemptor hominis, mais aussi des questions que Paul VI nous posa lors des visites ad limina en 1977. Pourquoi ne pas préparer la visite du Saint-Père en reprenant l'appel que, le 11 février en la fête de Notre-Dame de Lourdes, il a lancé à la France : ”Heureuse es-tu d'avoir reçu la foi dès l'origine ! Ne laisse pas ta foi s'amoindrir ou se dissoudre. Fortifie ta foi ! Et rayonne la !”’

Tel est le contexte dans lequel s'inscrit la redéfinition de la catéchèse en France. Autre donnée de l'équation à la veille de l'assemblée de Lourdes, TF1 dévoile, le 21 octobre, un sondage de l'institut Louis Harris selon lequel 82% des interviewés se disent catholiques. Par ailleurs, 74% des parents qui se déclarent catholiques envoient leurs enfants au catéchisme ¹⁴⁴ . Or les décisions épiscopales à venir apparaissent, à bien des égards, décisives pour le mode de discussion que l'Église veut entretenir avec la pensée profane ¹⁴⁵ . Le succès de l'assemblée plénière passe donc par l'adoption d'un texte de référence et d'un recueil de textes privilégiés ¹⁴⁶ .

Le 25 octobre, Jean-Paul II publie sa première exhortation apostolique, Catechesi tradendae. Préparé par Paul VI puis retravaillé par Jean-Paul Ier à la suite du synode de 1977, le texte est consacré à la catéchèse ¹⁴⁷ . L'événement manque de troubler les débats de l'assemblée plénière ouverte deux jours auparavant. Le cardinal Gouyon évoque ainsi ”une dérive impressionnante” entre certains points du texte de référence et l'exhortation apostolique ¹⁴⁸ . Isolé au sein de la conférence épiscopale, l'archevêque de Rennes n'obtient aucune modification substantielle du document épiscopal à l'étude.

Il n'en demeure pas moins que pour Rome, la voix d'un cardinal n'a pas la même portée que celles d'évêques, ainsi que le révèle la réhabilitation de la tradition du consistoire, tombée en désuétude depuis la création des congrégations romaines. L'initiative papale n'est pas sans incidence sur l'avenir des conférences épiscopales et la tenue des débats qui les animent. L'analyse qu'en livre Albert Longchamp dans Témoignage chrétien intéresse particulièrement le dossier de la catéchèse française et donne tout son relief à l'intervention du cardinal Gouyon ¹⁴⁹ :

‘Côté conférences épiscopales […], que va devenir le synode dont l'autorité morale est déjà bien limitée ? On vient de s'en apercevoir avec le document récent sur la catéchèse qui porte davantage la marque de Jean-Paul II que de tout le travail des délégués synodaux de 1977. Alors ? Convocation fraternelle ou mise au pas ? Jean-Paul II a déjà montré qu'il faut lier l'un et l'autre. Son autorité personnelle n'a, pour le moment, rien à craindre des cardinaux qui, il y a un an, l'ont fait pape : les contestataires sont encore loin.’

Le 26 octobre 1979, Mgr Gilson présente un projet de texte. Il considère près de 80 publications catéchétiques en circulation. La mouture soumise à l'assemblée s'organise selon les lignes de force suivantes : la catéchèse doit tenir compte du contexte social et culturel ; elle est un service public auquel tout enfant catholique a droit entre 8 et 12 ans ; elle est une initiation chrétienne éveillant l'enfant aux sacrements, à la morale et à la prière ; christocentrique, la catéchèse ouvre à la lecture de la Bible ¹⁵⁰ . Ce travail préliminaire du groupe de travail ne suffit pas à créer le consensus. Celui-ci n'est obtenu qu'après l'inclusion de 50 amendements au projet du père Gilson.

”Devant les projets élaborés, l'épiscopat a soudain pris conscience des difficultés soulevées par ces deux documents et peut-être aussi du caractère un peu hâtif de ses décisions de 1977” relève Brigitte André pour les Informations catholiques internationales ¹⁵¹ . Finalement, le texte de référence pour la catéchèse est approuvé par l'assemblée, le 30 octobre, par 105 voix contre deux non et quatre blancs. Difficile, le vote n'en n'est pas moins déterminant dans la mesure où les évêques s'engagent à n'utiliser que les catéchismes reconnus par la commission de l'enseignement religieux

Il est éclairant d'étudier le détail d’un scrutin loin d’exprimer un consensus. 88 évêques se prononcent pour que ne soient utilisés que les manuels ayant reçu le label de la commission - contre 17 non et 6 blancs. Par ailleurs, l'articulation du texte mécontente une substantielle minorité, soit 29 oppositions contre 78 votes positifs et 3 blancs ¹⁵² . Succédant à Mgr Orchampt à la présidence de la commission de l'enseignement religieux, Mgr Boffet insiste sur la convergence des travaux de Lourdes avec Catechesi tradendae. ”Vous voyez bien que nous ne sommes pas le troupeau rétif de l'Église de France, chaperonné par un Pape loup-garou”, insiste l'évêque de Montpellier ¹⁵³ .

En revanche, le recueil de documents privilégiés s'avère plus difficile à appréhender. Son armature à été adoptée par 101 voix pour, 4 contre et 4 votes blancs. Son articulation satisfait une majorité relativement modeste des évêques (78 oui, 29 non et 3 blancs). Tant et si bien que 104 votants se prononcent pour que le texte tienne impérativement compte des remarques nées au cours du débat. Trop divisée, prise par le temps, l'assemblée s'entend pour repousser le vote final sur l'ensemble du dossier catéchétique. Un vote par correspondance est prévu à cet effet.