Pierres vivantes, un accouchement dans la douleur

En charge du commentaire, René Marlé relève les difficultés au devant desquelles l'Église de France s'achemine. Les évêques ont-ils les moyens de leurs ambitions ? 158 :

‘Quel sera le sort du dispositif mis laborieusement en place ? Il est impossible de le prévoir. Les évêques n'ont pas misé sur la facilité. La réussite est suspendue, pour une large part, à la bonne volonté et à la compétence de ceux qui vont avoir, à tous les niveaux, à réaliser la politique tracée.’

Le secrétariat de l'épiscopat annonce la parution de Pierres vivantes pour le 15 avril 1981. La presse chrétienne est alors largement mise à contribution. Ainsi, en mars, la revue Points de repère consacre un dossier à l'ossature de Pierres vivantes ainsi qu'aux questions que ne va pas manquer de se poser le catéchiste à sa lecture. Le mois suivant, c'est au tour de la revue dominicaine Fêtes et saisons de proposer un numéro spécial. Pour sa part, Auvimages décortique le visuel du manuel. Les Cahiers de l'Évangile explicite les choix qui ont présidé à une telle rédaction. Des clefs de lecture de la partie biblique sont également fournies. Des revues comme Chrétiens ensemble, La foi aujourd'hui publient des articles de réflexion sur le recueil. La revue Prêtres diocésains fait de même. Enfin, la conférence épiscopale diffuse une documentation à la presse nationale et régionale en vue de rejoindre le plus grand nombre possible de parents et d'enfants.

En avril 1981, ce sont pas moins de 300 000 Pierres vivantes qui sont distribuées. Or, dès sa présentation, le père Gilson en confirme la perfectibilité. Comme pour prévenir toute désillusion, La Croix insiste sur l'investissement que le nouveau recueil exige des catéchistes. ”Tant dans ses textes que dans son illustration, il demande un gros effort des catéchistes qui vont se trouver affrontées à la liberté de perception et d'interrogation de l'enfant. Tant et si bien que l'ensemble de la direction nationale et des directions diocésaines de l'enseignement religieux devront faire face à un nouveau défi : la formation permanente des 100 000 catéchistes françaises” 159 .

Les milieux traditionalistes manifestent aussitôt leur mécontentement et trouve dans les publications du groupe Hersant un relais puissant à leur action de dénonciation auprès du Vatican 160 . Le mouvement de contestation prend alors une telle ampleur que l'épiscopat est acculé à réagir. ”Certains vont dire à Rome, parfois tous les quinze jours que les évêques français sont hors de la légalité”, déplore le père Vilnet 161 . Le 2 février 1982, La Croix ouvre ses colonnes au père Gaston Piétri, directeur du centre national de l'enseignement religieux. Au fil d'une interview publiée en page centrale du quotidien, celui-ci tente de faire œuvre de pédagogie afin de lever tous soupçons à l'égard de Pierres vivantes 162 :

‘Le malentendu est entre le tout fait et ce qui est donné à faire. Si vous préférez, entre une pédagogie de conclusion et une pédagogie de découverte. Il n'est pas entre la ”tradition” et le ”moderne”. Car la traditionnelle est dans les matériaux à réemployer et l'esprit avec lequel on le fait. […]
Il nous faut organiser l'accès au document. On le fait à l'école. Une raison de plus pour le faire dans le domaine de la foi. La catéchèse est la ”transmission des documents de la foi”, a dit encore le synode de 1977. Nous voulons que l'enfant ne soit ni assujetti à un livre où ”il y a tout”, ni à un catéchiste fut-il un très bon témoin. Le document permet qu'existe, entre les enfants et le catéchiste, un troisième pôle.’

Tandis que la controverse s'aiguise, les éditions Beauchesne publient Un siècle de catéchèse en France (1893-1980) de Gilbert Adler et Gérard Vogeleisen dans la collection ”théologie historique” 163 . Engagé aux côtés de l'épiscopat, La Croix consacre une page entière à la présentation de l'ouvrage sous sa rubrique ”religion” du 30 mars 1982 164 . Les auteurs participent au mouvement catéchétique du diocèse de Strasbourg. Reconnaissant les risques de dérive anthropocentrique, optimiste ou intellectualiste du renouveau catéchétique insufflé par le père Colomb, les deux auteurs n'en demeurent pas moins de fervents défenseurs. ”Le mérite de cette génération de documents fut d'opérer des déplacements irréversibles : la reconnaissance de la place du sujet, l'apport du langage biblique et liturgique, une conception plus communautaire que scolaire, l'importance accordée à la foi par laquelle le croyant s'engage tout entier” 165 .

Le 6 septembre, Mgr Boffet s'interroge dans son bulletin diocésain de Montpellier : ”Les évêques de France ont-ils trahi ?”. Le président de la commission épiscopale de l'enseignement religieux réagit à la campagne lancée par le journal Présent sur le thème ”le catéchisme des évêques accorde une place croissante à la politique (de gauche), à la sexualité (rampante), une place décroissante à la religion” 166 . Pour sa part, un Comité d'étude pour l'action et la vie chrétienne dénonce un ”catéchisme contraire ou étranger à toutes les déclarations, définition et à tous les enseignements de tous les conciles jusqu'aujourd'hui” 167 .

Publications et acteurs traditionalistes prolongent leurs critiques en érigeant une opposition entre l'épiscopat français et Rome. La lettre qu'adresse le cardinal Oddi à Mgr Etchegaray en 1979 concernant l'agrément romain aux publications catéchétiques est publiée dans de nombreuses publications contestataires. ”Il n'est pas tout à fait honnête de ”faire parler” un document sans tenir compte de la suite du dialogue”, proteste le père Boffet. Pour les Informations catholiques internationales, ”la polémique semble porter sur une certaine conception de l'Église : la contestation concerne la responsabilité et l'autonomie des conférences épiscopales accusées de ne plus être en communion avec Rome” 168 . Après avoir tenté d'opposer centre national d'enseignement religieux et épiscopat, durant les années 1970, les milieux conservateurs excitent la fibre ultramontaine avec la complaisance du cardinal Oddi.

Dans une lettre du 26 février, le préfet de la congrégation du clergé adresse ses encouragements au père Chevalier - auteur d'un catéchisme traditionaliste - et à la maison d'éditions Téqui pour la diffusion des ouvrages Itinéraires avec Jésus-Christ et Notre Père du ciel. Aussitôt, l'éditeur publie ce courrier qui discrédite l'épiscopat qui a refusé leur visa de conformité aux deux livres incriminés. ”C'est bien sûr un paradoxe de voir des documents qui sont approuvés par Rome n'être pas retenus en France”, concède le père Paul Grolleau, au lendemain de sa désignation à la tête du centre national de l'enseignement religieux en octobre 1982 169 . ”Cependant, ces livres ne sont pas conformes au texte de référence”, poursuit-il en précisant que ces lettres du cardinal n'ont pas valeur d'imprimatur.

Le 10 septembre 1982, Jean-Paul II reçoit à déjeuner Mgr Vilnet et le père Defois. A cette occasion, le président et le secrétaire général de l'épiscopat exposent leurs difficultés dans la mise en œuvre des nouveaux documents catéchétiques. Le 1er octobre, c'est au tour des évêques d’Île-de-France d'être reçus par le souverain pontife dans le cadre de leur visite ad limina. Le pape se veut alors rassurant. ”Je ne veux pas ignorer les multiples changements qui se sont produits dans la société de votre pays depuis plus de vingt années : ces changements n'ont pas manqué de provoquer une révision des pratiques pastorales, singulièrement, celle de la catéchèse des enfants”. Quant aux critiques, poursuit le pape, tandis que Mgr Lustiger sollicite du père Oddi plus de collégialité, celles-ci doivent être accueillies ”avec sérénité” 170 :

‘Dans les diocèses dont vous avez la charge, aucune personne ni aucun groupe privé ne saurait suspecter ni remettre en cause votre responsabilité primordiale en ce domaine ni l'autorité qui lui est inhérente. J'exhorte donc tous les fils de France à réagir avec sérénité, confiance et unité autour de leurs évêques… De tout cœur, je vous dis mes encouragements et je bénis les prêtres et les laïcs qui consacrent leur temps et leur peine en collaborant avec vous dans ce ministère si important de la catéchèse.’

A la veille de l'assemblée plénière, le président de la conférence épiscopale dit sa satisfaction d'avoir ”retrouvé [dans l'adresse papale], presque mot pour mot, le contenu de [ses] conversations” avec le pape en sa résidence de Castel Gandolfo 171 .

Notes
158.

René Marlé, ”Une nouvelle étape de la catéchèse française”, op. cit., page 403

159.

Félix Lacambre, ”Pierres vivantes, un outil pour la foi”, La Croix, 15 avril 1981

160.

Muriel du Souich, ”Des reproches plus ou moins bien intentionnés”, La Croix, 2 février 1982

161.

Félix Lacambre, ”Mgr Vilnet défend la catéchèse”, La Croix, 27 octobre 1982

162.

Muriel du Souich, ”Catéchisme : Non, la foi n'est pas bradée !”, La Croix, 2 février 1982

163.

Gilbert Adler et Gérard Vogeleisen , Un siècle de catéchèse en France (1893-1980), Paris, Beauchesne, 1982, 601 pages

164.

Le commentaire est confié à Serge Duguet du service diocésain de la catéchèse de Poitiers.

165.

Serge Duguet, ”Trente-cinq ans de recherche catéchétique”, La Croix, 30 mars 1982

166.

Brigitte André, ”Le pape confirme la responsabilité primordiale des évêques français”, ICI, 580, novembre 1982

167.

Ibid

168.

Ibid

169.

Muriel du Souich, ”Catéchisme : une mise en route sans histoire”, La Croix, 23 octobre 1982

170.

Anonyme, ”Catéchèse : le pape soutient les évêques français”, La Croix, 3 & 4 octobre 1982

171.

Félix Lacambre, ”Mgr Vilnet défend la catéchèse”, La Croix, 27 octobre 1982