Le synode national, dernière chimère conciliaire

De fait, le projet du père Panafieu n'a donné lieu à aucun vote de l'assemblée plénière. Mgr Etchegaray indique que l'Église de France doit attendre l'assemblée plénière de 1981 pour arrêter des perspectives missionnaires dans un plan sur cinq ans. Les évêques s'entendent pour rencontrer les mouvements, les groupes formels ou informels, les paroisses, etc. pour essayer de savoir ce qui se vit sur le terrain. A cette occasion, le père Molin prend la défense des mouvements réputés rétifs à toute concertation. Ainsi, aucune liste limitative des mouvements à consulter n'est établie. Dans La Croix, Félix Lacambre s'interroge sur le mode opératoire à mettre en œuvre. ”Il faudra veiller à ce que les consultations de type statistique à l'intérieur de l'Église n'occultent pas l'attention proprement missionnaire qui consiste à annoncer Jésus-Christ à ceux qui ne le connaissent pas” 189 .

Plus que jamais, l'Église de France est acculée à refonder son identité dans l'Église universelle. Les hypothèses de synodes diocésains ou de la mise en œuvre d'une session pastorale sur le modèle de celle de 1974 sont évoquées 190 . A l'heure du bilan de l'assemblée plénière, Georges Montaron consacre l'intégralité de son éditorial au discours de clôture du père Etchegaray pour mieux discuter ”la silhouette d'une assemblée du peuple de Dieu, telle que d'autres pays ont eu l'audace et la ténacité de la réaliser” évoquée par le président de la conférence épiscopale. Reste que l'éditorialiste demeure sceptique quant à la volonté épiscopale de réconcilier franges militante et pratiquante de l'Église 191 :

‘Cet état de fait - deux Églises parallèles - nous inquiète. D'autant plus que les évêques de France semblent plus proches de l'Église des militants que de celle des fidèles. Dans leurs évêchés, ils gardent la nostalgie de ces mouvements dont ils ont été les aumôniers.’

Georges Montaron prend alors ses distances avec les commentaires du Monde à l'occasion du voyage papal à Paris. ”N'ont-ils pas eu aussi tendance, en cette occasion, à minorer l'Église des fidèles par rapport à celle des militants ; prenant ainsi leurs désirs pour des réalités” 192 . L'enthousiasme marqué de Témoignage chrétien à l'invitation du cardinal laisse espérer un débat apaisé autour de la redéfinition des perspectives missionnaires de 1967. Familier des colonnes de Témoignage chrétien, Philippe Warnier choisit La Croix pour saisir au bond le ballon d'essai lancé par le cardinal Etchegaray 193 :

‘Quels espoirs, quels enthousiasmes, quelles énergies déclencheraient les évêques français si, hardiment, ils tentaient ainsi de remplir leur mission de serviteurs de l'unité. Non plus seulement en étant de fragiles traits d'union entre des groupes de chrétiens qui s'ignorent ou s'excluent. Mais en animant, courageusement, à travers les différences et les conflits la grande confrontation entre tous les membres du Peuple de Dieu. Afin que tous ceux-ci puissent se redire à eux-mêmes : ”Voilà les croyances et les pratiques qui, tout différents que nous soyons, définissent notre identité chrétienne”.’

Participant enthousiaste des sessions pastorales de 1970 et 1974, Philippe Warnier suggère que soit constituée une assemblée plurielle afin qu'un minimum d'orientations soit soumis à la décision des évêques. ”L'assemblée du peuple de Dieu dont l'évêque de Marseille a lancé l'idée peut être une grande chance pour l'Église de France. Le père Etchegaray a su prendre ses responsabilités en la proposant, fût-ce avec discrétion” 194 . De marginal, le propos du père Etchegaray devient ligne directrice des débats de la scène catholique de la fin de l'année 1980. Le père André Picard, qui a participé à la session pastorale de 1974, prend la suite d'André Vimeux dans Témoignage chrétien et Philippe Warnier dans La Croix. Dans un article au quotidien catholique, le prêtre approuve sur le principe l'initiative d'une assemblée du peuple de Dieu. Il n'en demeure pas moins sceptique quant à la capacité des catholiques français à discuter et dépasser leurs conflits. A ce marasme de l'Église de France, le prêtre oppose la pertinence des discours papaux d'Issy-les-Moulineaux et de l'Unesco. Ces derniers sont alors présentés comme seuls à même de nourrir un hypothétique débat 195 . Une nouvelle fois, la figure papale s'impose au catholicisme français.

Dès la réunion du conseil permanent des 8 et 9 décembre 1980, le président de la conférence épiscopale plaide le quiproquo pour tenter de couper court à la discussion nouée autour d'un hypothétique synode national 196 . L'épiscopat n'en abandonne pas pour autant les perspectives d'un débat dans l'Église de France. A cet effet, l'équipe de Mgr Panafieu est étoffée. Mgr Delaporte (Cambrai), Lustiger (Orléans), Marchand (Valence), Vilnet (Saint-Dié) et les pères Henri Madelin et Latour en sont les nouveaux membres. Il faut que ”les catholiques puissent avoir la possibilité de mieux se connaître par une confrontation et un partage apostolique dans la diversité des charismes et des situations”. Reste à trouver sur quel mode organiser cette confrontation, qui n'est alors envisagée ni sur le modèle d'un ”synode national, ni sur celui d'un ”forum fourre-tout”” 197 . Les contacts engagés dans la perspective du congrès eucharistique de Lourdes de juillet 1981 sont autant d'occasions de trouver les modalités d'un dialogue à venir sur la mission. Le conseil permanent de décembre 1980 arrête le principe d'une étude sur deux ou trois jours du dossier des perspectives missionnaires l'assemblée plénière à venir. Un glissement sémantique est également envisagé avec la substitution de l'expression ”service de l'Évangile” au terme de ”mission”.

Ces mutations interviennent tandis que chaque diocèse tente de cerner l'ensemble des acteurs ecclésiaux en présence et leurs actions 198 . Dès le mois de décembre 1980, le diocèse de Verdun propose à ses diocésains de lui composer un canevas de réflexions pour l'assemblée de Lourdes. Celui-ci consiste en un questionnaire articulé selon quatre chapitres : accueil, vérification, urgences, questions théologiques. L'évêque du Puy consulte ses diocésains. Son questionnaire s'interroge sur les nouvelles orientations à prendre pour l'Église de France dans les années à venir. ”Il s'adresse aux chrétiens engagés dans l'action catholique et, également à tous les chrétiens ”regroupés - c'est à dire qui appartiennent à des mouvements, services, associations, etc. - animés par une vie de foi concrètement vécue et partagée” stipule Mgr Cornet. ”Je viens vous demander votre aide. Je ne fais pas un sondage. Mais simplement, je vous demande ce que vous faites, ce que vous réalisez au service de l'Évangile pour faire naître l'Église ou la faire renaître et la faire grandir” 199 . L'ordonnancement des questions autour des trois pôles de la mission, de la communion et de l'identité chrétienne laisse présager de la réflexion à Lourdes.

Pour sa part, Mgr Delaporte publie 53 pages d'un document intitulé Perspectives missionnaires - horizon 85 au début de l'été 1981. L'évêque de Cambrai y restitue l'ensemble des débats engagés suite à sa lettre pastorale adressée à tous ses diocésains pour définir des objectifs diocésains pour la période 1981-1985. A peine transféré de Nancy à Cambrai au printemps 1980, Mgr Delaporte a encouragé un travail de préparation avec divers groupes qui ont formulé des propositions concrètes pour les années à venir. Finalement, Perspectives missionnaires reprend les suggestions retenues par le conseil épiscopal comme paraissant les plus capables de devenir des objectifs diocésains. Ce document présente alors trois priorités pastorales : la mission – ”une Église qui partage la Bonne nouvelle” –, la coresponsabilité et la communication.

Notes
189.

Félix Lacambre, ”Les trois derniers dossiers”, La Croix, 11 et 12 novembre 1980

190.

Celle-ci avait débouchée sur la rédaction du texte ”Libération des hommes et salut en Jésus-Christ”. Une partie de l'épiscopat des années 1980 demeure attachée à ce type de fonctionnement. Il en est ainsi de Mgr Kuehn qui intervient devant le groupe Confrontations en 1987 sur le thème ”comment les fidèles deviennent ”acteurs” dans un diocèse” dans le cadre du cycle ”l'individu comme sujet” : ”Ce texte avait été préparé à l'époque, sinon par une ”assemblée du peuple de Dieu”, du moins par une session des évêques avec des laïcs responsables de différents mouvements ou associations. Cette session a constitué ma première expérience collégiale de jeune évêque. Elle m'avait beaucoup intéressé en son principe même : le souci ”d'être-avec” avant de prendre la parole”. Mgr Kuehn, ”Comment les fidèles deviennent ”acteurs” dans un diocèse”, Confrontations, 2, 1987, page 64

191.

Georges Montaron, ”L'appel de Lourdes”, Témoignage chrétien, 1898, 24 novembre 1980

192.

Ibid

193.

Philippe Warnier, ”Pour une assemblée du peuple de Dieu”, La Croix, 2 décembre 1980

194.

Ibid

195.

André Picard, ”Une assemblée du peuple de Dieu ? Oui, mais…”, La Croix, 14 & 15 décembre 1980

196.

Félix Lacambre, ”France : les évêques inquiets pour la liberté dans le monde”, La Croix, 13 décembre 1980

197.

Anonyme, ”La petite phrase du cardinal”, Témoignage chrétien, 1901, 15 décembre 1980

198.

Félix Lacambre, ”La mission en France”, La Croix, 10 décembre 1980

199.

Snop, n°408, 14 janvier 1981