Vers un nouveau modèle militant

Au lendemain de son installation à l'archevêché de Paris, Mgr Lustiger apporte également des éléments de réflexion pour la définition de nouvelles perspectives missionnaires. Il s'agit d'appréhender la présence de l'Église au monde à nouveaux frais. ”Nous ne devons pas mesurer l'audience du christianisme à la seule emprise des militants chrétiens et de nos organisations comme le ferait un parti qui dénombre ses électeurs. Nous sommes une des composantes de la conscience française et occidentale” 200 . Avec en filigrane une remise en cause de la méthode quantitative, l'archevêque de Paris appuie les orientations de Lourdes en tant qu'étape pour l'abandon des réflexes acquis lors de la définition de la pastorale d'ensemble 201 :

‘L'athéisme, l'incrédulité, la déstructuration des mœurs sont à prendre en compte. Des conflits fondamentaux sur l'homme s'instaurent partout. Ce glissement de terrain dans notre culture et notre histoire constitue un des enjeux du dossier missionnaire. ”France, pays de missions ?”, le cri d'Yvan Daniel et Henri Godin, quarante ans après, il faut le reprendre, mais critiqué, réinterprété. Et ce bien sûr, en communion avec les chrétiens et les militants. Ce n'est pas simplement une question de stratégie des évêques !’

La réflexion est engagée autour de Mgr Panafieu, archevêque d'Aix, et du père Piétri, directeur du centre national de l'enseignement religieux. Dès l'été 1981, il semble que l'épiscopat s'oriente vers une substitution d'un nouveau ”paradigme” missionnaire au modèle Godin. ”Il convient de reconnaître que les plus audacieuses initiatives missionnaires avaient été encore trop conçues paradoxalement dans la foulée de la chrétienté”, écrit le père Piétri, début juin 1981, alors qu'il opère la synthèse des assemblées partielles mises en place pour préciser les convictions et les propositions des évêques avant l'assemblée de Lourdes 202 .

Devant le conseil permanent réuni les 15, 16 et 17 juin, Pierre Molin, secrétaire général de l'épiscopat pour l'apostolat des laïcs, prévient qu'une Église ”complètement construite sur la seule action catholique pourrait risquer de devenir une Église marquée trop exclusivement par le modèle d'apôtre qui est celui du militant” 203 . Mais de poursuivre… ” En revanche, une Église qui ne ferait pas une place centrale au type de présence de l'action catholique ne pourrait être qu'une Église gravement mutilée” 204 . Les jours suivants, celui-ci persiste dans l’Osservatore romano. Enthousiasmé par la mise au point, La Croix y voit ”une réponse à la campagne d'attaques, de calomnies ou de dénigrement pour son ”inefficacité” ou sa ”politisation” qui continue actuellement en France contre l'action catholique” 205 . De fait de nombreux bulletins diocésains reprennent des extraits de l'intervention du père Molin au conseil permanent tandis que le bulletin épiscopal Documents-Episcopat en publie l'intégralité.

Il n'en demeure pas moins que la redéfinition de la mission met clairement en question la place prééminente du modèle militant, davantage qu'en 1967. La critique épiscopale de l'action catholique porte essentiellement sur sa pédagogie par l'action, soupçonnée de contenir ”en germe une action de type syndical ou même politique”, ainsi que le formule le père Molin 206 :

‘L'appel de l'assemblée plénière de l'épiscopat en 1973 pour que tous se sentent responsables dans l'Église leur est parfois apparu comme susceptible de démobiliser certains de leurs militants parmi les plus ”missionnaires”, pour les orienter vers des tâches dites ”intra-ecclésiales” comme la liturgie, la catéchèse des enfants ou l'accueil des sacrements. L'arrivée en leur sein de membres moins marqués par un passé chrétien, le retour chez d'autres du phénomène religieux les ont parfois pris de court.
Dans ce climat, on comprend aisément que l'ouverture par l'épiscopat d'un dossier visant en quelque sorte à réévaluer les ”perspectives missionnaires de l'Église en France” qui étaient jusqu'à ce jour dominées par ”l'option pastorale ferme pour le type de présence missionnaire que représente en France l'action catholique” (1967), ait pu créer chez certains une sorte de perplexité, voire de méfiance.’

Le conseil permanent confie à l'équipe conduite par Mgr Panafieu l'étude du document théologique produit par Mgr Coffy, président du bureau d'études doctrinales.

Notes
200.

André Vimeux, ”Par la foi, rencontrer l'homme”, Témoignage chrétien, 1915, 23 mars 1981

201.

Ibid

202.

Gaston Piétri, ”L'ambition d'évangéliser”, Témoignage chrétien, 1926, 8 juin 1981

203.

Henri Tincq, ”Les travaux du conseil permanent de l'épiscopat français”, Le Monde, 20 juin 1981

204.

Ibid

205.

Félix Lacambre, ”Les évêques de France et la mission”, La Croix, 20 juin 1981

206.

Pierre Molin , ”Y a-t-il une intuition de l'action catholique ?”, l’Osservatore romano, 23 juin 1981