Enjeux autour d’une mobilisation

Ainsi la préparation du congrès appelle une réflexion théologique spécifique. Celle-ci est confiée à une commission présidée par le père Eyt, président de l'institut catholique de Toulouse. Ce balisage théologique doit s'achever par l'organisation d'un symposium théologique à Toulouse du 13 au 15 juillet 1981 sur le thème ”Responsabilité, partage, eucharistie”.

En novembre 1980, les évêques français rédigent une lettre pastorale à propos du congrès. Ils tentent d'y cerner l'enjeu de la réflexion à naître autour de la manifestation lourdaise : ”Pouvons-nous célébrer l'eucharistie sans nous engager au service de la justice, de la paix et de la liberté pour porter remède à l'indigence spirituelle et matérielle des hommes dont nous partageons l'existence ?”. Édité au Centurion, le document ”Jésus-Christ, pain rompu pour un monde nouveau” doit servir la réflexion dans les diocèses français 208 . ”Un chef-d'œuvre d'équilibre entre les bases traditionnelles de notre foi eucharistique et les mentalités contemporaines qui en exigent la réinterprétation”, s'enthousiasment les Informations catholiques internationales 209 . 125 000 exemplaires du texte sont ainsi distribués ou vendus, de sorte qu'au début de l'été 1981, plus de 7 000 groupes recensés sont en mesure de réagir à sa teneur. L'épiscopat français dispose ainsi d'une radioscopie relativement exhaustive de la foi eucharistique vécue en France.

Telle photographie de l'Église en France peut devenir un outil pastoral essentiel pour l'épiscopat français. Le corpus ainsi constitué est traité par une commission qui dégage 85 questions à débattre à l'occasion des dix tables rondes du congrès : ”l'eucharistie pierre d'achoppement ou fondement du dialogue œcuménique ?”, ”une célébration sans prêtre ?”, ”l'absentéisme des jeunes”, etc. Afin de recueillir le fruit des tables rondes, un bureau pastoral se constitue autour de Mgr Bussini et du père Louis-Marie Chaulvet. L'objectif est alors de parvenir à opérer une synthèse en deux documents différenciés, à destination de l'assemblée plénière pour l'un et du grand public pour l'autre.

Au lendemain de l'attentat contre le pape, le congrès eucharistique international n'est plus certain de compter sur sa présence. ”L'épiscopat redoute que ne se reproduise la déconvenue de la messe pontificale du Bourget le 1er juin 1980, où l'aérodrome était à moitié vide”, relève Henri Tincq 210 . Au-delà du seul événement que représente le congrès eucharistique et la perspective de son échec, les évêques français passent l'épreuve de vérité. L'Église de France est-elle capable de mobiliser en dehors de la tutelle intellectuelle et médiatique du pape ? Une chance est peut-être à saisir pour l'épiscopat français, celle de reprendre la main. ”Encourager le vedettariat au lieu de se prononcer contre, risque d'être exploité au détriment de l'Église à une époque où de nombreux ecclésiastiques et laïcs ont essayé de faire reculer un triomphalisme assez peu évangélique” 211 .

A un mois de la manifestation, les organisateurs enregistrent un faible taux d'inscription. Le père Defois doit alors convenir de défaillances dans l'organisation. ”Nous apprenons qu'ici où là, des individus ou des groupes sont découragés par le système ”de délégation” qu'on a interprété de façon trop restrictive” 212 . Témoignage chrétien voit dans le système de délégation le souci épiscopal d'éviter toute manifestation triomphante. ”Les évêques ont souhaité un rassemblement mûrement préparé, où chacun vient porteur de la réflexion, de la recherche, de la prière d'un groupe, d'une paroisse, d'un diocèse. La barre des exigences a-t-elle été placée trop haut ?”, s'interroge André Vimeux 213 .

La nouvelle droite n'est pas en reste. Michel de Saint-Pierre dans Credo estime que ”tout se prépare comme si la fraction moderniste du clergé qui exerce réellement le pouvoir dans l'Église en France, voulait faire du congrès eucharistique de Lourdes une ”assemblée constituante” de la nouvelle religion postconciliaire” 214 . Edith Delemare poursuit la dénonciation dans Monde et vie du 30 avril 1981 : ”La doctrine qui sera professée à Lourdes est-elle la doctrine catholique ?”

Le thème du congrès eucharistique favoriserait ”la tendance des quinze dernières années à ne voir que les dimensions sociales de l'Eucharistie et à oublier l'essentiel de ce don du Seigneur à son Église”, entend dire René Coste 215 . Acculé par la critique, le théologien prend la défense du rassemblement le 19 mai dans La Croix. Certes, le risque d'une ”dérive horizontaliste” de l'Église n'est pas nul, concède-t-il. L'ouvrage, Liturgie et lutte des classes, du couple Guichard en est pour lui une illustration 216 . Le congrès eucharistique, à l'inverse, peut stimuler une réflexion à frais nouveaux sur l'eucharistie. ”C'est la foi et la pratique eucharistique les plus traditionnelles qui fondent le thème audacieusement retenu pour le prochain congrès eucharistique et lui confère une actualité permanente pour chaque génération de l'histoire”, se réjouit René Coste 217 .

A deux mois de la manifestation le père Robert Beauvery, membre du comité national de préparation du congrès, défend vigoureusement le projet indiquant que ”depuis Vatican II, l'Église de France n'a pas préparé d'événement aussi important” 218 . Pour l'organisateur, l'implication de l'ACI, l'ACO ou le MRJC dans le projet est la preuve de la pertinence du congrès eucharistique. ”En tant que mouvement de jeunes et d'Églises, nous nous sentons partie prenante de l'effort qui se fait pour sensibiliser les chrétiens et plus particulièrement les jeunes à une démarche active d'Église à cette occasion”, indique le MRJC du Sud-Ouest alors qu'il doit animer le village ”Solidarité” au camp des jeunes 219 . Le 9 juin 1981, la JOC, l'ACO-MO et l'ACO officialisent leur participation à l'événement. ”Nous voulons montrer un autre visage de l'Église plus universelle parce que la classe ouvrière y aura sa place”, indique un responsable de l'ACO. Pour sa part, la JOC accepte de prendre en charge l'animation d'un des treize camps de toile qui devraient regrouper 1 000 jeunes chacun 220 . La réinsertion des mouvements d'action catholique dans l'Église de France trouve un soutien de poids auprès de Pierre Pierrard. L'événement est ainsi accompagné d'une chronique de l'historien dans La Croix pour le 90e anniversaire de Rerum novarum. Celui-ci érige alors le catholicisme social au rang de ”matrice du catholicisme contemporain”. Dans son actualité missionnaire, l'Église de France doit se souvenir que ”la pensée et l'action catholique, en France particulièrement, ont reçu de Rerum novarum une impulsion décisive” 221 .

Le 18 juin 1981, après la cathédrale Saint-Jean à Lyon, Notre-Dame de Paris fait le plein autour de Mgr Lustiger et ses auxiliaires Mgrs Frossard et Gilson, accompagnés de 80 prêtres. Le 20 juin 1981, Mgr Boffet réunit 4 000 personnes dans l'enceinte du palais des sports de Montpellier en vue du congrès eucharistique. Les rassemblements diocésains se succèdent ainsi autour du thème de l'eucharistie. Le 8 juillet, le secrétaire général de l'épiscopat intervient dans La Croix. Relevant la dimension internationale de l'événement que constitue le congrès, le père Defois suggère que la réunion de Lourdes soit l'occasion d'interroger le ”piétinement des relations Nord-Sud”. ”Le pari chrétien, c'est de dénoncer cette mondialisation technique ou matérielle par une solidarité et une responsabilité éthique plus haute et plus large” 222 .

Notes
208.

Collectif, Jésus-Christ pain rompu pour un monde nouveau, Paris, Centurion, 1981, 90 pages

209.

Jean-Pierre Manigne, ”Du prosélytisme au dialogue”, ICI, 559, février 1981

210.

Henri Tincq, ”L'absence éventuelle de Jean-Paul II à Lourdes provoque l'inquiétude de l'épiscopat… et le désarroi des hôteliers”, Le Monde, 29 mai 1981

211.

Ibid

212.

Présence et dialogue, 23 mai 1981

213.

André Vimeux, ”Heurts et malheurs du congrès eucharistique”, Témoignage chrétien, 1926, 8 juin 1981

214.

Credo, mars-avril 1981

215.

René Coste, ”Eucharistie et société”, La Croix, 19 mai 1981

216.

Jean & Colette Guichard, Liturgie et lutte des classes : le langage symbolique est-il apolitique ?, Paris, L'harmattan, 1976, 134 pages

217.

René Coste, ”Eucharistie et société”, La Croix, 19 mai 1981

218.

Pierre Servent, ”Depuis Vatican II, l'Église de France n'a pas préparé d'événement aussi important”, La Croix, 26 mai 1981

219.

”Le MRJC en liaison avec le servie jeunes des pèlerinages invite les jeunes ruraux du Sud-Ouest à accueillir Jean-Paul II”, Bulletin religieux de Tarbes et Lourdes, n°29, 21 juillet 1983

220.

Pierre Servent, ”Mission ouvrière et Congrès eucharistique international”, La Croix, 11 juin 1981

221.

Pierre Pierrard, ”Le 90e anniversaire de Rerum novarum”, La Croix, 10 juin 1981

222.

Gérard Defois, ”Lourdes 1981 : carrefour d'Églises”, La Croix, 8 juillet 1981