Mettre en œuvre Evangelii nuntiandi : tous missionnaires

Mêlant analyses historique et sociologique, le rapport Defois formule cinq propositions pour l'Église de France : Il lui faut passer d'une mission-présence à une mission-communication afin d'entrer en dialogue avec le monde. Par ailleurs, toute avancée missionnaire nécessitera désormais une reconnaissance de l'identité chrétienne. Sur ce point l'Église doit œuvrer à l'atténuation des différences entre catholicisme ”conscientisé” et catholicisme ”diffus”. Le père Defois lance l'idée d'une mission de ”service public de la transcendance” qui se comprend comme une parole d'Église sur l'homme. Par ailleurs, les institutions ”doivent témoigner publiquement qu'un signe de salut engendre des relations humaines vraies et une guérison possible d'un corps social éclaté” 245 . Enfin, l'Église doit assumer sa dimension universelle en s'inculturant aux expériences rencontrées à l'étranger.

La réflexion de l'assemblée plénière intervient six ans après la fin des mandats d'action catholique et la promulgation par Paul VI d'Evangelii nuntiandi. En cette année 1975, Paul VI proposait de dépasser les oppositions entre annonce implicite et explication de la foi en expurgeant son exhortation apostolique du terme ”mission” au profit d’évangélisation 246 . Dans le même temps, Mgr Ménager obtient de l'assemblée plénière - par 109 voix pour sur 115 suffrages - l'abandon de la doctrine du mandat à l'endroit des mouvements d'action catholique 247 . Année clef pour l'Église catholique, selon la chronologie mise en évidence par Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire, l'année 1975 est également celle du renouveau du spirituel 248 . La présidence Etchegaray accompagne six ans durant ce mouvement jusqu'à cette assemblée plénière décisive de 1981, car à la croisée des chemins missionnaires et évangéliques.

Les pères Defois et Coffy soumettent deux pans d'une analyse critique de l'expérience pastorale française. Celle-ci révèle alors deux lectures de l'exhortation Evangelii nuntiandi, soit interprétée à partir des documents de l'assemblée plénière de 1967 soit en référence à la doctrine prônée à Puebla par Jean-Paul II, dans le droit fil de sa ligne déductive et classique développée au synode de 1974 sur l'évangélisation. Pendant théologique à l'analyse sociologique du père Defois, le rapport de Mgr Coffy propose de dépasser la dichotomie entre foi et incroyance dans la mesure où l'incroyance fonde la recherche chrétienne de la foi. Doublement influencé par la communauté du Lion de Juda, implantée dans son diocèse, mais aussi par le constat d'un renouveau de la thématique spirituelle, l'archevêque d'Albi refuse d'appréhender la sécularisation comme foyer d'incroyance. La réflexion épiscopale doit, dès lors, articuler : foi, croyances et incroyances.

La résurgence du vocabulaire missionnaire marque la critique de la dialectique intransigeante catholique pour mieux la ressaisir dans son caractère omniscient et globalisant. Nous pourrions reprendre alors le commentaire de Claude Prudhomme concernant le retour de la mission dans le discours papal de la décennie 1990. ”La perspective reste celle d'une société chrétienne qui ne laisse de côté aucun groupe humain, ni aucun domaine de l'activité humaine” 249 . Or, la désertion des paroisses, des mouvements, des séminaires et des organes de l'intelligence chrétienne ont accéléré l'affaissement culturel d'une mémoire catholique que l'Église de France n'est plus en mesure de transmettre. Dès l'assemblée plénière de 1977, le théologien Xavier Dubreil prévenait l'épiscopat que le fossé creusé entre l'Église enseignante et les militants d'action catholique relevait de la crise des générations à forte teneur culturelle 250 .

Mais plus que l'exposé du père Coffy, les débats de l'assemblée sont largement ordonnés autour des propositions Defois. A cette occasion, le cardinal Gouyon s'oppose à une réorientation radicale de la pastorale 251 . ”Il ne faudrait pas que prêtres et laïcs aient l'impression que nous les oublions” 252 . Dans un même souci de pédagogie, l'archevêque de Paris souhaite que l'assemblée ait le souci de trouver ”les mots pour exprimer une réalité nouvelle”. Celui-ci n'en demeure pas moins enthousiaste à l'idée que l'assemblée ”prenne acte des changements historiques à propos des conditions de la foi dans notre pays” 253 . L'unanimité constituée au fil des débats ne débouche cependant pas nécessairement sur des directives claires et précises. ”L'épiscopat sent bien qu'il s'agit davantage de changer des mentalités que de prendre des décisions concrètes immédiates”, relève Brigitte André en citant Mgr Daloz, archevêque de Besançon 254 :

‘Peu importe, à la limite, le document qui sortira de cette première étape de la réflexion. Il nous servira d'outil pour expliquer, faire comprendre, trouver avec les chrétiens les modalités de mise en œuvre de ce nouveau souffle missionnaire.’

Pourtant, une semaine après la clôture de l'assemblée, Témoignage chrétien n'hésite pas à faire sa Une sur ”le rapport qui bouscule l'Église de France” et plaide alors pour qu'en soit faite une lecture attentive 255 :

‘Que tous ceux qui ont renoncé à lire la littérature épiscopale se prennent, pour une fois, par la main, pour aller jusqu'au bout de ce rapport, qui n'évite ni le jargon sociologico-pastoral, ni les manques de clarté, ni les redites et dont la construction n'est pas la qualité dominante. Mais qui, tournant obstinément autour de quelques fortes convictions pose, sans trop se soucier de les enrober dans de pieuses formules, des problèmes essentiels pour notre Église.’

Distinguant les dimensions sociologique, historique et pastorale du rapport, Philippe Warnier discute l'approche du père Defois vis-à-vis du marxisme dans l'Église, en conséquence de quoi toute l'analyse sociologique du secrétaire général de l'épiscopat est sujette à caution. La remise en cause du modèle pastoral traditionnel reçoit, à l'inverse, un accueil très favorable dans la mesure où les évêques français considèrent l'ensemble de l'Église comme missionnaire. Invitée à jouer un rôle de protestation sociale et d'affirmation de son identité chrétienne, l'Église imaginée en 1981 par l'épiscopat veut mettre en échec une tendance à la privatisation de la foi.

Notes
245.

Anonyme, ”Cinq propositions”, La Croix, 28 octobre 1981

246.

Claude Prudhomme & Jean-François Zorn, ”Crises et mutations de la mission chrétienne” in Histoire du christianisme, tome 3, Desclée, Pairs, 2000, page 364

247.

DenisPelletier, La crise catholique, Paris, Payot, 2002, pp. 237-238. Nous trouverons une autre interprétation de la querelle des mandats au détour de l'entretien de François Varillon par Charles Ehlinger, Beauté du monde et souffrance des hommes, Paris, Le Centurion, 1980, page 95

248.

Gérard Cholvy & Yves-Marie Hilaire, ”L'esprit souffle où il veut” in Histoire religieuse de la France contemporaine, tome 3, pp. 431-484

249.

Claude Prudhomme, ”Le grand retour de la mission ?”, XXe siècle, 66, avril juin 2000, page 122

250.

Brigitte André, ”Lourdes : les rapports difficiles entre la foi et l'engagement”, ICI, 521, décembre 1977

251.

Le cardinal Gouyon est semble-t-il isolé au sein de l'assemblée. Le point de vue des observateurs tend à être nuancé lorsque l'archevêque de Rennes est désigné par ses pairs pour représenter les cardinaux français au conseil permanent (1981).

252.

Brigitte André, ”Lourdes : les rapports difficiles entre la foi et l'engagement”,op. cit.

253.

Ibid

254.

Brigitte André, ”La sécularisation n'est pas l'incroyance”, ICI, 568, novembre 1981

255.

Philippe Warnier, ”Le rapport qui bouscule l'Église de France”, Témoignage chrétien, 1948, 9 novembre 1981