Mais absence d’effet d’entraînement à la base

Ainsi l'assemblée plénière ne donne lieu à aucun document ou à aucune publication à même de fournir l'ossature d'une politique pastorale commune. Il n'en demeure pas moins que son travail suscite une attention particulière des commentateurs ainsi que des acteurs de l'Église. Outre La Croix, c'est l'hebdomadaire Témoignage chrétien qui se saisit le plus fermement du rapport Defois en organisant un forum sur plusieurs semaines dans lequel interviennent théologiens et autres responsables de l'Église de France.

Le doyen de la faculté de théologie de Lyon s'interroge dans La Croix sur la pertinence du travail épiscopal à Lourdes. Saluant de bonne grâce la persévérance des évêques dans leur réflexion sur l'évangélisation, Henri Bourgeois est sceptique quant à l'efficacité de leurs méthodes. ”Redéfinir régulièrement ce qu'est l'évangélisation, cela est sûrement utile. Les chrétiens ont besoin de se dire et d'entendre dire ce qu'est leur vocation. Mais ces rappels ne remplacent pas la pratique” 262 . Dispositifs pastoraux, rééquilibrage des structures ecclésiales sont dénoncés comme autant de chimères d'une Église qui se complaît dans la complexité de ses analyses. La situation est d'autant plus déplorable que les évêques perdent leur audience au sein de la société française. Le théologien suggère alors qu'à l'autorité magistérielle se substitue l'élan évangélisateur des catéchumènes.

L'adresse du théologien intervient comme en écho à une tribune de Marie-Georges Delmasure, rédactrice en chef de Croix du Nord magazine, que publiait La Croix à la veille de l'assemblée de Lourdes. ”Dans l'élite de l'Église, on fait appel à toutes les ressources de la sociologie, des sciences humaines, des techniques audiovisuelles et informatiques pour être mieux ”bardé” face aux exigences de la mission”, ironise-t-elle en référence aux deux assemblées de Lourdes précédentes consacrées aux moyens de communications sociales 263 . ”En fait, l'écart ne cesse de s'accroître entre la sur-information politique, sociale, culturelle des gens et leur sous-information sur la vie de l'Église qui retourne aux catacombes”, relève-t-elle en citant la confidentialité du succès du congrès eucharistique de Lourdes et le faible écho fait au texte de la commission épiscopale de la famille, ”Sexualité et vie chrétienne” 264 .

Le rapport Defois souligne les enjeux de la communication. ”La mission implique une participation explicite aux débats de la société. […] Cela nous porte à prendre au sérieux l'image de l'Église dans l'opinion publique” 265 . Un mois après, ils ne sont pas moins de quatre évêques - Mgr Saudreau, Mgr Bouchex, Mgr Boffet, Mgr Rousset - à participer aux journées nationales des centres diocésains d'information. Les responsables de ces centres se réunissent les 28 et 29 novembre au palais des Papes d'Avignon pour examiner les dix orientations arrêtées par l'assemblée de Lourdes de 1980. A cette occasion Mgr Saudreau, président de la commission épiscopale de l'opinion publique, reprend alors la thématique de la mission - communication. ”La mission n'est pas seulement une présence fraternelle de charité mais une communication de l'intervention de Jésus-Christ dans l'humanité qui fait que pour nous Noël est Noël” 266 .

Le problème de communication que connaît l'Église est en partie structurel affirme Gabriel Marc qui dénonce le fonctionnement interne de la conférence des évêques de France. Ainsi le président du C.C.F.D. fait-il part de son ”horrible déception” au lendemain de l'assemblée de Lourdes. Il dénonce alors la pusillanimité de l'assemblée épiscopale portant son dévolu sur un rapport ne souffrant pas la comparaison avec les intuitions de l'épiscopat brésilien et son ”option pour les pauvres” par exemple. Gabriel Marc déplore la méthode ”autoritaire” du secrétaire général qui a éclipsé Mgr Panafieu et son équipe au fil des débats 267 :

‘Ceux-ci avaient fait un gros travail de réflexion et de consultation dont avaient été tirée une intéressante synthèse, portant en filigrane un véritable plan d'action missionnaire. Or ce n'est pas vraiment d'elle que l'on a discutée mais d'un rapport parachuté. Tout se passe comme si la synthèse avait eu le statut de la subjectivité et le rapport celui de l'objectivité, seul digne d'intérêt donc.’

En désaccord complet avec le père Defois sur la forme, le président du C.C.F.D. refuse la lecture que fait le secrétaire général de l'histoire du militantisme chrétien soupçonné d'accointances marxistes. Plus fondamentalement, ”on ne peut pas laisser dire aussi qu'il y a seulement sécularisation et pas incroyance ”, poursuit-il. Dans une telle perspective, l'observateur pourrait être porté à croire que les analyses du père Piétri sont périmées. Le directeur du centre national de l'enseignement religieux (CNE) ne faisait-il pas de l'incroyance l'un des facteurs sociaux déterminants dans la mutation de l'Église de France ? Le père Yvan Daniel conteste également la solidité de l'analyse que produit le père Defois sur l'incroyance. ”Sous le nom fourre-tout de ”catholicisme populaire” nous pouvons croire, et même arriver à faire croire, que l'incroyance n'est pas si massive que cela. C'est masquer la réalité”, écrit l'auteur de France, pays de mission ? 268 . La multiplication des grands rassemblements est à ce titre significatif pour le père Daniel qui y voit autant de tentatives désespérées de l'Église pour entretenir l'illusion de la chrétienté.

A l'inverse, Jean Potin se félicite de la rigueur avec laquelle, les évêques français remontent les racines idéologiques des clivages traditionnels de l'Église. ”Il est sûr que l'on ne se libère pas si facilement d'idéologies qui imprègnent les mentalités et les comportements, mais déjà un pas important est fait quand on prend conscience qu'à la source de ce choix se trouvent des motivations qui doivent être purifiées par l'Évangile” 269 . Pour autant il n'est pas question de mettre en veilleuse l'élan missionnaire des trente années précédentes, essentiellement incarné par les mouvements d'action catholique, assure Mgr Vilnet invité le 19 novembre 1981 sur RMC. Le président de la conférence épiscopale insiste : il s'agit de le renforcer en y insérant catholiques pratiquants et toute personne se revendiquant catholique 270 . Lancinante, la question identitaire se fait pourtant de plus en plus explicite à rebours de la tradition d'enfouissement prônée par l'action catholique. Or pour Jacques Duquesne ce constat d'une Église dépassant largement la seule action catholique doit porter les évêques français à l'imagination 271 :

‘On aurait pu concevoir que [l'action catholique] crée une nouvelle [cohésion] ; mais elle est devenue élitiste, avec toutes les caractéristiques de l'élitisme (jargon pour initiés, réunions séparées y compris parfois pour le culte, commisération pour ceux qui, n'étant pas dans le coup et à l'avant-garde). Les mouvements d'action catholique ont donc considérablement réduit leurs bases : il suffit, pour s'en convaincre, de connaître le tirage réel de leurs journaux et bulletins 272 . Bref, ils ne peuvent guère assurer la nécessaire cohésion de l'ensemble.’

Le sociologue Antoine Delestre surenchérit en faisant du rapport Defois le constat d'une Église qui, ”au nom de la mission [a] scié une à une les branches sur lesquelles elle était installée” 273 . Le père Defois s'invite alors au débat organisé par Témoignage chrétien. Le secrétaire général de l'épiscopat reprend le point central de la conférence qu'il donne à Notre-Dame de Paris pour le deuxième anniversaire du pontificat de Jean-Paul II en octobre 1980 274 : ”l'identité chrétienne” 275 .

‘La question de fond reste bien celle de l'identité chrétienne. Et c'est bien une idée neuve. Tant que la foi semblait un simple héritage culturel, la différence chrétienne se faisait sur les rites, les croyances ou les pratiques morales. […]
Crises et déchirures, problèmes et structures ont depuis trop longtemps été les hardes misérables de nos antagonismes. Le sacrement de communion qui nous est donné par l'Esprit est une victoire de la foi.’

Ancien président de l'action catholique générale des hommes et du C.C.F.D., le docteur René Tardy affirme se saisir de la problématique dégagée par le secrétaire général de l'épiscopat pour redire l'actualité de ”l'agir missionnaire” défini par l'action catholique. En posant la question du statut des laïcs, René Tardy situe à nouveau la question identitaire dans le débat intra ecclésial 276 :

‘Il nous reste à clarifier en France nos rapports de laïcs participant au sacerdoce universel du Christ, avec les prêtres et les évêques, ministres ordonnés. Laïcs, nous ne sommes pas seulement les bras séculiers de la hiérarchie. Certes, rien ne peut se faire sans l'évêque… mais aurons-nous assez d'audace, de créativité et de courage pour inventer, aujourd'hui les voies qui rendent plus crédible le message dont nous sommes ensemble, chacun suivant nos charismes, les dépositaires et les artisans ?’

La Croix s'aligne sur le discours de Mgr Vilnet souhaitant que ”l'effort missionnaire de l'action catholique et des prêtres-ouvriers ne s'affadisse pas mais que ceux-ci reprécisent leur itinéraire et acceptent de se confronter avec d'autres dans l'Église afin qu'ils se souviennent les uns des autres” 277 . De même, le rédacteur en chef des Informations catholiques internationales refuse de penser les rapports Defois et Coffy dans les mêmes termes que Gabriel Marc 278 :

‘Pareille interprétation ne rend pas compte du débat. En fait, la réflexion collective des évêques n'avait pas pour but de définir de nouvelles orientations pastorales. Plus modestement, elle voulait alerter les responsables de cette pastorale - évêques, prêtres et laïcs - sur l'importance des changements qui secouent actuellement la société française et sur la nécessité de les prendre progressivement en compte. Avec les moyens d'hier lorsqu'ils ont fait leur preuve. Avec des méthodes nouvelles si elles s'avèrent adéquates.’

Invité du grand jury RTL - Le Monde du 20 décembre 1981, le nouveau président de la conférence épiscopale est interrogé sur la pertinence d'un synode national tel qu'il est pratiqué en Hollande pour réaliser les orientations arrêtées par l'assemblée plénière. ”Pour le moment, je préconise le développement de cette interrogation réciproque à la base dans les diocèses et que nous en fassions peu à peu la synthèse à Lourdes” 279 . A l'instar de son prédécesseur, Mgr Etchegaray, l'évêque de Lille privilégie le ministère d'union de l'évêque plutôt qu'une démocratisation avancée de l'Église qui la mettrait en péril.

A l'occasion d'un colloque en décembre 1981, la revue Confrontations lance une réflexion sur la ”situation du catholicisme français”. Le 8 janvier 1982, le père Valadier anime la deuxième étape du débat au cours d'une rencontre en comité restreint. Le nouveau directeur de la revue Etudes est alors invité à articuler les deux réalités du particulier et de l'universel au filtre de l'Église catholique. Appelant à un pôle romain permettant ”la communication entre les Églises sous le visage d'une Église particulière, celle de Rome”, le père Valadier reprend par ailleurs pour partie les analyses contenues dans le rapport Defois notamment concernant la nécessaire affirmation de l'identité ecclésiale 280 . Gabriel Marc revient dans La Croix sur le questionnement identitaire affectant alors le catholicisme français. Pour le président du C.C.F.D., il ne fait pas de doute que cette problématique resurgit en réaction aux idées progressistes affectant ”des catholiques, voire des collectifs de catholiques” exprimant une sensibilité politique de gauche 281 .

Pour Gaston Piétri, directeur du centre national de l'enseignement religieux, l'adoption par l'épiscopat du rapport Defois comme feuille de route tend à dépasser la traditionnelle analyse sociologique du catholicisme français selon le binôme militant - pratiquant. Lourdes 1981 marque, dans son esprit, une rupture historique avec le modèle dégagé par Emile Poulat dans son ouvrage Une Église ébranlée. ”L'avenir n'a passé ni par la voie que lui traçait Michonneau - revitalisation et ouverture de la paroisse - ni par celle que montrait Godin - animations de petites communautés naturelles - mais par l'éclatement de ces deux problématiques, qui n'a pas laissé grand chose de leurs intuitions primitives” 282 . Le dépassement d'une telle dialectique par les autorités ecclésiales est heureux pour Gaston Piétri, ”à condition qu'elle n'annule pas la tension. Si celle-ci venait à disparaître, ce serait le signe que l'Église est en train de rééditer d'une manière ou de l'autre cet ”enclos religieux” qu'était devenue, par une dérive commencée très tôt, la paroisse” 283 .

L'enthousiasme de Gaston Piétri à l'écoute des projets épiscopaux ne fait pas l'unanimité. Ainsi le père Georges Durand déplore-t-il dans Témoignage chrétien que la grande masse des chrétiens n'appartient à aucun des modèles ”pratiquant” ou ”militant”. Dans ce contexte, la paroisse apparaît bien terne 284 :

‘N'oublions pas que nous sommes, culturellement, en état de diaspora chrétienne ! Regardons les choses en face : à part des exceptions, ne se rattachent plus aux paroisses que des chrétiens de mentalité traditionnelle, sans engagement politique. Ils constituent ce que j'appelle irrévérencieusement des ”clubs eucharistiques”.’

Il n'en demeure pas moins, pour Gaston Piétri, que l'assemblée plénière de 1981 dépasse, avec la définition de nouvelles perspectives missionnaires, ”les oppositions désastreuses” que dénonçait le rapport de Lourdes 1973 ”Tous responsables de l'Église ?”. Plutôt que d'évoquer une rupture, le père Piétri voit dans les décisions de l'épiscopat l'occasion de mettre en œuvre les intuitions mises en exergue dans le rapport de l'assemblée de 1971, ”Église, signe de salut au milieu des hommes”. Au seuil de la décennie, l'épiscopat a toute légitimité à appeler l'Église à développer une parole éthique au sein de l'espace public 285 :

‘Moins encore qu'hier la foi chrétienne ne véhicule la maquette de la société à construire. Ce qui est sûr, pourtant, c'est que le message évangélique a quelque chose d'irremplaçable à dire chaque fois que, à l'échelle la plus humble d'un quartier comme sur la scène mondiale, les questions sont posées de manière à laisser croire que les changements se situeraient dans les moyens et non dans les fins.’

Fort de ce constat, l’épiscopat doit cependant convenir de son incapacité à consulter les mouvements catholiques sur un plan national. Le risque est grand de voir des dissensions de fond resurgir. La conférence épiscopale opte pour la prudence en réactivant de traditionnelles consultations diocésaines.

Notes
262.

Henri Bourgeois, ”L'Evangile intéresse-t-il le grand public ?”, La Croix, 10 novembre 1981

263.

Marie-Georges Delmasure, ”Question à l'Assemblée… des évêques”, La Croix, 25 & 26 octobre 1981

264.

Ibid.

265.

Henri Fesquet, ”Les travaux de Lourdes : incroyance et vérité”, Le Monde, 29 octobre 1981

266.

Félix Lacambre, ”Des chrétiens au service de la communication”, La Croix, 1er décembre 1981

267.

Gabriel Marc, ”Le bol de ciguë du rapport Defois”, Témoignage chrétien, 1949, 16 novembre 1981

268.

Yvan Daniel, ”Établir l'Église là où le monde vit”, Témoignage chrétien, 1950, 23 novembre 1981

269.

Jean Potin, ”Les perspectives missionnaires de l'Église de France”, La Croix, 11 & 12 novembre 1981

270.

Raymond Mandailles, ”Mgr Vilnet : un cri pour la justice”, La Croix, 21 novembre 1981

271.

Jacques Duquesne, ”L'Église de France manque de projet”, Témoignage chrétien, 1950, 23 novembre 1981

272.

L'Echo Madame propriété de l'Action catholique générale féminine qui tire à 230 000 exemplaires disparaît en décembre 1981.

273.

Antoine Delestre, ”Le nouveau peuple des paumés”, Témoignage chrétien, 1951, 30 novembre 1981

274.

Anonyme, ”Fidélité et mission”, La Croix, 28 octobre 1980

275.

Gérard Defois, ”L'identité chrétienne : c'est une idée neuve”, Témoignage chrétien, 1952, 7 décembre 1981

276.

René Tardy, ”Au coude à coude avec tous les hommes”, Témoignage chrétien, 1953, 14 décembre 1981

277.

Félix Lacambre, ”Une équipe soudée à la tête de la conférence épiscopale”, La Croix, 29 octobre 1981

278.

Ernest Milcent, ”Ouvrons nous yeux, nos portes et nos mains”, ICI, 568, novembre 1981

279.

Anonyme, ”Les structures de l'Église sont plus démocratique qu'il n'y paraît”, Le Monde, 22 décembre 1981

280.

André Vimeux, ”La dialectique du particulier et de l'universel”, Témoignage chrétien, 18 janvier 1982

281.

Gabriel Marc, ”L'identité chrétienne en question”, La Croix, 20 janvier 1982

282.

Emile Poulat, Une Église ébranlée, Paris, Casterman, 1980

283.

Gaston Piétri, ”L'Église aura toujours besoin de lieux”, Témoignage chrétien, 25 janvier 1982

284.

Georges Durand, ”La paroisse n'est plus qu'un club eucharistique”, Témoignage chrétien, 22 février 1982

285.

Gaston Piétri, ”L'autrement de l'Evangile”, Témoignage chrétien, 1970, 12 avril 1982