Marxisme et politique, récurrentes pierres d'achoppement

La problématique de la mission en monde ouvrier connaît des prolongements dans le questionnement des rapports de l'Église et de la politique. Les assemblées partielles du 29 octobre sont l'occasion d'interroger le dialogue entre politique et foi. Si l'affaiblissement de l'idéologie communiste semble perçue par les évêques, en revanche, ils n'évoquent pas le morcellement idéologique du champ politique. Ainsi, Église et politique sont-elles appréhendées dans leur dimension intégraliste. ”Cela viendrait-il du fait que nous sommes croyants et que la vie politique saisit l'homme dans la totalité de sa vie en société ?” s'interrogent les évêques en substance. Ainsi, les évêques se ressaisissent-ils de la problématique de la sécularisation pour se définir aux côtés de la sphère politique. Ceux-ci voient dans l'arrivée de la gauche au pouvoir l'occasion pour les mouvements d'action catholique de solder leur culture d'opposition pour une présence à l'Église plus pragmatique. ”La situation actuelle de la gauche au pouvoir n'est-elle pas une chance pour les militants d'élargir les dimensions de leur engagement ? Celui-ci n'est plus seulement une revendication, c'est l'exercice du pouvoir” 310 .

Réunie tantôt à huis clos, tantôt en carrefours, l'assemblée plénière achoppe sur divers points spécifiques à la mission en monde ouvrier. L'imprégnation marxiste de certains militants reste le point le plus délicat. Par ailleurs, la fidélité à l'Église ne doit pas être mise sur un même plan que celle manifestée aux organisations ouvrières. La question de la pertinence de l'action ouvrière et des mouvements apostoliques comme outil d'évangélisation du monde ouvrier est posée. Si ces derniers sont reconnus comme ”chemins privilégiés”, certains évêques ”craignent que l'on confonde chemin privilégié et chemin unique. D'autres estiment que ce champ est trop étroit”. Reste que le contexte de reflux des engagements syndicaux et associatifs de nature politique, vient renforcer le militant d'action catholique dans sa conviction d'un nécessaire engagement politique. De fait, leur présence en monde ouvrier ”semble liée depuis quelque temps à une vie ecclésiale” 311 . Se pose alors la question de mettre sur pied une commission des communautés chrétiennes pour ”ressaisir le laïcat sans l'angle de la condition de croyants.”

Au terme des travaux, les blocages sont tels que le père Deroubaix, évêque de Saint-Denis, chargé d'opérer la synthèse des carrefours doit avouer son impuissance. ”Mes apports sont très divers. Ils peuvent apparaître parfois contradictoires. Ils témoignent de la diversité des situations et de nos différences personnelles” 312 .

‘L'affirmation conquérante, un peu naïve du début de la JOC, le ”nous referons chrétiens nos frères”, n'a-t-elle pas tendance, aux yeux de plusieurs, à se noyer dans un combat social et politique ? Sans nier les risques d'évasion spirituelle et de désincarnation qui peuvent exister dans des courants comme ceux du Renouveau, un évêque de l'Ouest confiait son secret espoir : voir la ”rationalisation” organisée, poussée parfois à l'extrême, des militants d'action catholique spécialisée et ”l'affectivité”, la ”spontanéité”, des charismatiques avec ses ambiguïtés se confronter dans un dialogue constructif au sein de cellules d'Église. Encore faudrait-il que les murs de suspicion tombent au préalable… 313

C'est en ces termes qu'André Vimeux évoque l'examen concomitant des dossiers de la mission en monde ouvrier et du Renouveau charismatique présenté par Mgr Marcus, évêque de Nantes. Reste que Sylvie Duclaux, présidente de la JOCF, et Alain Mahé, président de la JOC, reviennent satisfaits de la réunion de Lourdes à laquelle ils assistaient comme invités. ”Nous avons rencontré davantage des pasteurs que des docteurs qui ont su écouter longuement et reconnaître l'importance de nos mouvements”, se réjouit notamment Sylvie Duclaux 314 . Tandis que le dossier de la mission en monde ouvrier doit être clos à l'assemblée de Lourdes de 1983, Alain Mahé exhorte les évêques à adopter une appréhension moins dogmatique de l'athéisme qu'à l'accoutumée. Le président de la JOC fait alors référence aux travaux menés au sein du parti communiste français. Il n'en demeure pas moins acquis à l'idée que ”le marxisme dans son absolu entre en contradiction avec la foi” 315 .

Initialement échelonné sur un an, l'examen du dossier est alors programmé sur deux ans. Un groupe de travail se met en place ”pour mieux connaître les points chauds sur lesquels nous devons réfléchir et actualiser notre position”, indique Mgr Rousset 316 . Parmi les causes présidant à cette prudence épiscopale, ce constat dressé par le père Lapie, vicaire épiscopal pour la zone rurale de Corbeil, devant l'assemblée : ”le monde ouvrier en milieu rural a une conscience ouvrière différente, pas toujours moins forte et parfois plus mûre que les ouvriers du milieu urbain. L'évangélisation devra en tenir compte” 317 . S'esquisse alors une remise en cause progressive de l'option ouvriériste des mouvements qui montre ses limites ”parce que les gens n'y trouvent pas leur place ; parce que les mouvements prétendent au monopole de la représentation ; parce qu'ils ont leurs propres circuits de formation, leurs propres célébrations”, relèvent des évêques 318 .

Le risque du séparatisme ouvrier n'est pas loin relève Mgr Fretellière, indiquant que ”les retraites séparés de prêtres des mouvements sont toujours mal vécues par les évêques et provoquent des blocages”. Or pour l'évêque de Créteil, ”la responsabilité est largement partagée. Elle incombe aux mouvements qui se sont parfois séparés parce qu'on ne les tolérait pas avec leur langage à eux” 319 . Sans surprise, les carrefours sur ”choix politiques, idéologies et foi” sont les plus prisés des évêques lors des débats. Reste pour l'équipe évêques-prêtres à confirmer la pertinence des mouvements d'action catholique dans l'évangélisation du monde ouvrier 320 :

‘Ils ont fait progresser chez les militants la conscience d'être solidaires d'une existence, dans des conditions où l'homme est défendu et a besoin de l'être toujours davantage… Ils ont été une authentique présence d'Église parmi ceux que l'on dit loin de l'Église. Ces forces apostoliques sont à relancer par tous les moyens dont l'Église dispose dans sa tâche d'évangélisation.’

Réuni à l'occasion de la session nationale du mouvement, les 30-31 octobre et le 1er novembre, le bureau national de la JOC et de la JOCF salue les travaux de Lourdes. ”C'est un nouveau regard qui est porté sur les réalités vécues à la base et la réaffirmation de la reconnaissance des mouvements apostoliques en milieu ouvrier est pour nous fondamentale”, insiste-t-il 321 . Concernant l'action pastorale de l'Église en milieu rural, il revient à Mgr Taverdet de présenter le rapport de la commission épiscopale du monde rural au conseil permanent des 13, 14 et 15 décembre en l'absence du président de la commission, Mgr de Saint-Blanquat, en visite ad limina à Rome. S'appuyant sur son document de 1979 ”chemins de Dieu en monde rural” diffusé à 5 000 exemplaires, la commission envisage d'en actualiser l'analyse en adoptant les nouvelles perspectives missionnaires arrêtées par l'assemblée plénière 322 . ”Réapparaît la nécessité de l'affirmation de l'identité chrétienne et l'approfondissement de la foi et du sens de l'Église”, insiste Mgr Taverdet 323 . Mais il s'avère que les mouvements ”reçoivent le choc en retour des conflits vécus entre les branches et les catégories de ce monde rural très diversifié” 324 .

Notes
310.

Mission en monde ouvrier. Synthèse des assemblées partielles (vendredi 29 octobre 1982). Archives MRJC

311.

Voir sur l'action des mouvements d'action catholique en monde ouvrier Geneviève Dermenjian, ”Les jeunes ouvriers dans les chants jocistes”, in Collectif, Chrétiens et ouvriers en France, Paris, éditions de l'Atelier, 2001, pp. 261-275

312.

Mission en monde ouvrier. Synthèse des assemblées partielles (vendredi 29 octobre 1982). Archives MRJC.

313.

Ibid

314.

André Vimeux, ”La JOC revient satisfaite”, 2000, Témoignage chrétien, 8 novembre 1982

315.

Ibid

316.

Dominique Gerbaud, ”Vers une nouvelle forme d'évangélisation”, La Croix, 30 octobre 1982

317.

Ibid

318.

Ibid

319.

Ibid

320.

Jean Potin, ”La mission en monde ouvrier : les mouvements restent indispensables”, La Croix, 3 novembre 1982

321.

Bénédicte de Péretti, ”JOC-JOCF : l'urgence d'un dialogue avec les évêques”, La Croix, 4 novembre 1982

322.

Félix Lacambre, ”Ruraux et ouvriers dans la préoccupation des évêques”, La Croix, 18 décembre 1982

323.

DC, 2 janvier 1983, 1843, p. 55

324.

Ibid