Une conférence épiscopale silencieuse quand le malaise s’amplifie

L'épiscopat français doit réagir. Mgr Pézeril intervient dans La Croix le 29 janvier. L'évêque auxiliaire de Paris tente d'apaiser les esprits. ”La recherche du cardinal avait une toute autre ambition que de lancer des petites phrases”, peut-on lire. Selon lui, la ”perspectives était mondiale”. Il souhaite néanmoins que la publication du texte ”soit accompagnée de l'explication pédagogique d'un théologien qualifié”. Distinguant la ”stricte fidélité au texte” et la ”totale liberté dans le commentaire”, le père Pézeril conclut ³²⁷ :

‘Beaucoup de nous se souviennent d'une séance fameuse du centre catholique des intellectuels français à la Mutualité, au moment du concile. Le cardinal Béa était venu expliquer, en exégète averti, ce qui est immuable de ce qui change au cours des siècles dans l'expression de la foi. Nous l'avions, me semble-t-il, fort bien compris. Il n'est certes pas interdit de spécifier une fois de plus auprès du cardinal Ratzinger ce qu'est la situation française ou de lui adresser quelques demandes d'éclaircissement. Nous avons toutes les raisons de nous rendre attentifs à l'investigation positive de son grand exposé et sensible à l'invitation d'entreprendre qu'il comporte.’

Une prise de parole épiscopale isolée ne saurait suffire pour apaiser les esprits. Réuni les 14 et 15 février, le conseil permanent ne fait pourtant aucune déclaration sur le sujet. Sous la plume d'André Vimeux, Témoignage chrétien ne manque pas de s'en émouvoir ³²⁸ :

‘L'épiscopat français, visiblement embarrassé, s'abstient pour l'instant, de déclaration collective. Rien n'a transpiré de la dernière réunion du conseil permanent des 14 et 15 février. A la ”base”, plus d'un évêque, en privé, laisse, pourtant, percer sa gêne devant la situation créée et aimerait que l'on précise le ”statut” de l'intervention du cardinal Ratzinger.’

Très vite Témoignage chrétien lance la rumeur d'une entente cardinalice entre le préfet de la congrégation romaine et l'archevêque de Paris pour discréditer la réforme française de la catéchèse. Pour sa part, Mgr Decourtray adresse une mise au point aux 8 000 animateurs laïcs de la catéchèse de son diocèse. Celui-ci conclut en rappelant le soutien explicite du pape aux évêques exprimé lors de la visite ad limina des évêques d’Île-de-France. Le primat des Gaules tente par ailleurs, d'atténuer la portée des interventions du cardinal Ratzinger en y relevant de nombreuses références positives faites au travail des évêques français.

Jean Potin plaide le malentendu et déplace le sujet de la controverse. Pour l'éditorialiste de La Croix, il ne fait aucun doute que ”manifestement le cardinal ne vise pas un catéchisme pour enfants, mais un manuel s'adressant au moins à des étudiants en théologie se préparant au sacerdoce ou à l'enseignement religieux dans les lycées” ³²⁹ . Or pour Jean Potin, ”on ne voit pas comment les congrégations romaines seraient capables aujourd'hui de bâtir un catéchisme pour adultes valable pour l'ensemble de l'Église, qui conviendrait à l'Europe, l'Asie, l'Afrique, les pas riches, les pays pauvres” ³³⁰ .

Les tentatives d'apaisements semblent vaines. Plusieurs évêques reçoivent sur leur bureau la lettre de démission de leur responsable diocésain de la catéchèse ³³¹ . A Lyon, l'équipe diocésaine de catéchèse envoie une note explicative à la centaine de permanents de catéchèse et d'aumônerie. Pour Charles Paliard, responsable de l'équipe diocésaine de catéchèse de Lyon depuis 1977 et ancien membre de la commission nationale d'enseignement religieux de 1973 à 1979, les ”petites phrases” du cardinal Ratzinger n'augurent en rien une crise de la catéchèse en France ³³² :

‘Des questions, bien sûr, ici ou là, mais point d'inquiétude massive. Chacun travaille de son mieux, sans imaginer qu'une ”crise de la catéchèse” pourrait secouer l'Église de France, vingt-cinq ans après celle de 1957 dont le souvenir, bien sûr, n'est pas effacé à Lyon où Joseph Colomb a inauguré l'œuvre de rénovation dont tous bénéficient aujourd'hui.’

Pourtant le père Jean-Pierre Bagot croit discerner dans le discours de Mgr Ratzinger les signes avant coureurs d'une ”opération de police”. Lui-même critique vis-à-vis de la réforme catéchétique, le père Bagot dénonce un discours dogmatique du cardinal peu en prise avec la réalité ³³³ .

‘Je pense donc que l'avancée catéchétique, si nécessaire dans notre monde bouleversé, ne passera pas par les ”petites phrases” du cardinal Ratzinger, bien au contraire. Celui-ci nous rend mauvais service. Redisant, mal, ce qu'une encyclique papale et les évêques français avaient dit beaucoup mieux que lui dans le document orientant la recherche, il ne fait que détruire.’

Témoignage chrétien poursuit le débat. L'hebdomadaire accueille le point de vue d'Henri Boucherie, responsable de la catéchèse dans le diocèse de Chartres, dans son édition du 7 mars ³³⁴ :

‘Si le cardinal Ratzinger ne citait pas à trois reprises le ”Texte de référence” de la conférence épiscopale française (Lourdes 79), on serait tenté de croire qu'il est mal informé des intentions et des dispositions pratiques de la réforme en cours. Sur certains points, elle apporte la meilleure réponse qui soit à ses inquiétudes.’

Évoquant Mgr Pézeril qui situe l'intervention du cardinal Ratzinger à l'échelle de l'Église universelle, Henri Boucherie regrette de ne pas retrouver sous la plume cardinalice la richesse des travaux du synode de 1977 dont le catéchiste retient une invitation à sortir du cadre de la catéchèse centrée uniquement sur le livre, mais aussi une recommandation à éduquer au témoignage dans la vie quotidienne. Quant aux questions finales sur l'annonce de Dieu créateur et les rapports entre exégèse historique et dogmatique, Henri Boucherie relève qu'elles mobilisent chercheurs, moralistes, théologiens et biblistes pour cerner les contours mouvant de l'expression de la foi. Et de s'interroger sur la capacité de quiconque à revendiquer une quelconque omniscience scientifique en la matière.

La controverse fait rage. Le travail catéchétique sur le terrain ne s'interrompt pas pour autant. Le grand séminaire d'Angers accueille plus de 150 laïcs en responsabilité de catéchèse dans les divers secteurs du diocèse le 13 mars 1983. Il s'agit alors d'étudier un texte concernant ”les équipes responsables de la catéchèse dans les secteurs du diocèse d'Angers” ³³⁵ . Ce travail est le fruit d'une réflexion menée entre catéchistes, le service diocésain de pastorale catéchétique, le conseil épiscopal et l'évêque. Le texte paraît finalement le 20 mars 1983. Fortement ancré à l'exhortation apostolique Catechesi tradendae, il établit ainsi une ligne de conduite aux catéchistes pour trois ans. Une nouvelle évaluation du document est prévue par Pâques 1986.