La conférence épiscopale au risque du dialogue avec Rome

Le Matin évoque le Vatican comme ”le purgatoire des Français”. Le quotidien parisien reproduit des propos de René Rémond à l'occasion du dernier voyage papal. ”On doit nourrir quelque inquiétude à propos de l'éloignement qui caractérise les relations entre la France et Rome”, déclarait alors l'historien. Or, pour l'intellectuel catholique, ”en se repliant sur soi même, il est menacé d'asphyxie intellectuelle” 345 . Or les conférences du cardinal Ratzinger semble susciter un consensus au-delà des seuls milieux traditionalistes. Etienne Borne salue la formule ”parfaite” cardinalice regrettant que ”les méthodes deviennent critères du contenu et n'en sont plus le véhicule” 346 .

Le retentissement des conférences de Carême oblige la conférence épiscopale a s'adresser à la congrégation de la doctrine de la foi dès le mois de janvier. La requête française concerne l'interprétation jurisprudentielle à donner à l'imprimatur : ”un catéchisme peut-il être mis en service sans avoir obtenu l'aval de Rome ?”. Au Vatican, le cardinal Oddi formule la même question. Le cardinal Ratzinger répond par une note du 7 juillet 347 . ”Il est de la compétence de la conférence épiscopale, si cela semble utile, de faire éditer, avec l'approbation du Siège apostolique, des catéchismes pour son propre territoire”, stipule le document 348 . Une activité catéchétique coordonnée doit tenir compte des avis émis par l'évêque diocésain, la conférence épiscopale et le Siège apostolique.

Le cardinal Ratzinger répond que toute publication requiert sans exception l'aval du Vatican. Une distinction se trouve donc opérée entre l'imprimatur accordée à un ouvrage en raison de son orthodoxie quant à la loi et aux mœurs et l'imprimatur ”spécifique” apposée à un livre à contenu et à destination catéchétique. Cette observation tend à réaffirmer le pouvoir diocésain avec pour corollaire, la mise sous tutelle de la conférence épiscopale : les évêques peuvent accorder l'imprimatur à des catéchismes diocésains particuliers même s'ils ont approuvé un catéchisme national. À côté des catéchismes nationaux, d'autres ouvrages peuvent acquérir l'imprimatur et être utilisés comme outils catéchétiques subsidiaires. Enfin, les évêques ne peuvent déléguer à une commission nationale le pouvoir d'approuver des documents de catéchèse. De fait, l'épiscopat français est invité à revoir ses méthodes de travail arrêtées lors de l'assemblée plénière de 1980 349 .

Le cardinal Ratzinger propose ses ”services fraternels” pour suppléer au blocage provenant du dicastère pour le clergé. Or, la congrégation pour la doctrine de la foi n'a pas compétence en matière pastorale. ”Au moment où nous avons à améliorer le document dont nous connaissons la qualité, dans un esprit de service et de dialogue, les chrétiens de France ne doivent pas se laisser ébranler”, déclare Mgr Decourtray lors d'une conférence de presse à Lyon. Gwendoline Jarczyk s'interroge cependant dans La Croix 350 :

‘Si les évêques français se montrent décidés à tirer le meilleur parti de la situation présente, il reste que la procédure à laquelle ils se voient soumis comporte, qu'on le veuille ou non, une connotation que certains estiment inquisitoriale. Pierres Vivantes s'effondrera-t-il ? Question à laquelle aujourd'hui il n'est pas de réponse.’

Invité de RMC, le 27 novembre 1983, Mgr Boffet, président de la commission épiscopale de l'enseignement religieux, tente de minimiser la crise sans jamais en nier l'existence. Dans sa retranscription, l'entretien révèle la prudence de l'évêque : ”La catéchèse se poste bien… sur le terrain” 351 . Les points de suspension sont autant d'aveux de prudence, de malaise au moment où l'épiscopat lance une évaluation des Pierres vivantes auprès de soixante-quinze diocèses.

Le 13 juillet 1984, Mgr Decourtray publie un communiqué pour dénoncer l'inexactitude des informations diffusées en juin par le magazine Familles vivantes - défense du foyer, des éditions Téqui, à propos de la catéchèse. Le vice-président de la conférence épiscopale s'inscrit en faux quant à une condamnation par Rome des Pierres Vivantes et autres parcours catéchétiques 352 . Le père Decourtray refuse par ailleurs de voir la responsabilité des évêques dépréciée dans la définition de la catéchèse. Ainsi déplore-t-il que le magazine minore le rôle de la commission épiscopale de l'enseignement religieux par rapport à celui du centre national de l'enseignement religieux, lui-même suspecté par le magazine de ”se dresser contre le droit des familles” au travers une action au ”caractère subversif contre l'ordre naturel lui-même” 353 .

Le 29 septembre, Mgr Boffet monte une nouvelle fois au créneau. Dans une interview au Midi libre, le président de la commission épiscopale pour l'enseignement religieux, dénonce toute assimilation de Pierres vivantes à un ”traité de la foi”. ”Je crois qu'on fait porter à Pierres vivantes une responsabilité démesurée”, prévient-il 354 . Signe de l'acuité de la crise, La Croix relaie les propos du père Boffet dans son édition du 2 octobre 1984. Les évêques de France sont de plus en plus acculés à faire la preuve de leur bonne foi face aux courants traditionalistes réprobateurs 355 :

‘Selon ses détracteurs, ce livre laisserait croire que c'est une communauté qui a créé sa foi. Or, nous avons bien dit, écrit et répété, que tout découle d'une Révélation. La communauté croyante n'a pas inventé sa foi, elle l'a accueillie… Ce recueil a d'ailleurs reçu l'agrément du Saint-Siège.’

C'est au tour du Figaro de s'attirer les remontrances du primat des Gaules le 30 septembre 1984 356 . Dénonçant l'outrance des propos de la journaliste affirmant que les évêques français ”sont en total opposition avec ce qu'ont demandé Jean-Paul II et le cardinal Ratzinger” 357 , l'archevêque de Lyon pointe du doigt l'amalgame qui est opéré avec l'ouvrage Montrez-nous les chrétiens qu'il a approuvé et dont le Figaro donne une vision erronée, suggérant une collusion cléricale avec l'idéologie communiste 358 . Avant de se rendre à Lourdes, Mgr Picandet, évêque d'Orléans, adresse un message à ses diocésains relayant l'indignation de Mgr Decourtray et dénonçant à son tour le traitement médiatique qui est fait de l'actualité de la catéchèse en France. ”A ce sujet, je veux préciser que le texte de référence n'a pas été condamné par Rome, de même que Rome n'a pas condamné Pierres Vivantes, ni les parcours catéchétiques”, affirme Mgr Picandet, concédant, par ailleurs, la perfectibilité intrinsèque de tout manuel du type Pierres Vivantes 359 .

En octobre 1984, il ne se trouve guère que la revue Etudes pour prendre fermement la défense du manuel sous la plume de Michel Fédou. Celui-ci est ainsi présenté comme ”lecture théologique cohérente, une véritable herméneutique” 360 . Concédant la difficulté d'accès que pourraient rencontrer les catéchistes dans l'usage de Pierres Vivantes, la revue atteste que ”la difficulté même de Pierres Vivantes peut devenir une chance si elle est accueillie comme l'invitation à une tâche, celle d'approfondir par la catéchèse une authentique intelligence de la foi” 361 .

Notes
345.

Gian-Carlo Zizzola, ”Vatican : le purgatoire des Français”, Le Matin, août 1983

346.

Etienne Borne, ”La catéchèse au pluriel”, La Croix, 30 avril 1983

347.

L'épiscopat français ne la rend publique que le 29 octobre.

348.

Anonyme, ”Les catéchismes officiels”, La Croix, 1er et 2 novembre 1983

349.

Anonyme, ”Catéchèse : les précisions du cardinal Ratzinger”, L'actualité religieuse dans le monde, décembre 1983

350.

Gwendoline Jarczyk, ”Catéchèse : les méandres du conflit”, La Croix, 11 et 12 novembre 1983

351.

Dominique Quinio, ”Catéchèse : ne pas amplifier le malaise”, La Croix, 26 novembre 1983

352.

Gwendoline Jarczyk, ”Confiance aux évêques”, La Croix, 18 juillet 1984

353.

Mgr Decourtray, ”Communiqué de Mgr Albert Decourtray, archevêque de Lyon, vice-président de la conférence épiscopale française à propos de Pierres vivantes et de la catéchèse”, Snop, 551, 11 juillet 1984

354.

Anonyme, ”Des accusations non fondées”, La Croix, 2 octobre 1984

355.

Ibid

356.

Mgr Decourtray, ”La bataille des catéchismes : mise au point de Mgr Decourtray, archevêque de Lyon, vice-président de la conférence épiscopale française”, Snop, 558, 10 octobre 1984

357.

Reboul, ”La bataille des catéchismes”, Le Figaro, 22-23 septembre 1984

358.

Montrez-nous des chrétiens, Paris, Tardy, 1979

359.

Mgr Picandet, ”Vers l'assemblée des évêques à Lourdes”, 16 octobre 1984

360.

Michel Fédou, ”La théologie de Pierres Vivantes : à propos d'une catéchèse contestée”, Etudes, octobre 1984, page 374

361.

Ibid, page 386