Affirmation du magistère épiscopal sur l'action catholique diocésaine

Visites pastorales et rassemblements diocésains sont autant de succès pour chaque évêque qui redécouvre ainsi l'ancrage territorial de sa charge. Au fil des rencontres locales l'épiscopat s'applique à retisser le lien avec l'ensemble des acteurs de la pastorale à rebours des dispositions prises lors de l'assemblée plénière de 1967. Au lendemain du concile, la pastorale éclatée prenait acte de clivages pastoraux indépassables au sein de l'Église. En 1973, Mgr Matagrin ne justifiait-il pas l'option épiscopale en termes explicites : ”comment voulez-vous amener à se concerter des gens qui divergent aussi radicalement ? Avouez que ce n'est pas commode !” 373 . Dix ans après la fin traumatisante de la politique des mandats, l'épiscopat français veut réinsérer l'action catholique dans la mission de l'Église de France.

L'examen des archives du centre national du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC) laisse deviner les difficultés rencontrées par les évêques, même si la position de pointe du mouvement au sein de la minorité missionnaire critique 374 incite à la prudence quant à une extrapolation de la logique conflictuelle des débats. Ainsi, le 4 juin 1982, l'assemblée des évêques et vicaires généraux de la région Centre-Est rencontrent les représentants du MRJC régional. Mgr Barbier, évêque auxiliaire d'Annecy, est alors chargé du suivi des discussions avec le mouvement rural 375 . Dans un courrier du 16 février 1983, l'évêque auxiliaire revient sur l'assemblée des évêques de la région qui s'est tenue le 27 septembre 1982. Mgr Barbier ne cache pas les difficultés que rencontrent les évêques pour produire un travail de synthèse 376 :

‘Pour introduire la transmission que j'ai à faire, je dirai que les évêques n'étaient pas habitués à faire pareille reprise. Nous avons donc quelque peu nagé au niveau de la méthode : il a été difficile de dépasser le débat, le partage de nos réactions individuelles assez diverses, à mettre en relations avec les situations diverses du MRJC dans nos diocèses et aussi nos sensibilités personnelles ; il a fallu faire un effort pour aller jusqu'à la mise en forme en commun des remarques et suggestions à transmettre. D'autre part, même si nous avons consacré à ce travail un temps notable, ce temps est apparu trop court, ce qui est bon signe me semble-t-il.’

D'autres évêques sont plus heureux dans leurs initiatives. Ainsi, l'archevêché de Bourges accueille-t-il le 5 février 1983 les mouvements pour discuter de leur mission dans l'Église à la grande satisfaction des représentants MRJC. ”De cette rencontre, nous avons retenu le souci commun de donner la place qui convient aux mouvements d'action catholique dans l'Église pour le monde d'aujourd'hui. Cette place est vue comme porteuse d'avenir” 377 . Pour autant, Mgr Vignancour n'élude pas les problèmes posés par l'action catholique dans la mise en œuvre des perspectives missionnaires arrêtées par la conférence épiscopale 378 :

‘Il a été souligné que cette vision et cette place des mouvements ne sont pas perçues aussi clairement par un nombre important de membres de l'Église, plus tournés vers les institutions et les organisations internes, plus ” habitués à des pratiques et à des œuvres - catéchèse, école… - qui bénéficient plus facilement de l'aide et de l'appui de nombreux chrétiens. ’

Une plus grande concertation des mouvements est alors suggérée pour une meilleure coordination de l'action. A cet effet, le budget diocésain constitue un outil de régulation particulièrement puissant pour l'évêché. Mgr Vignancour propose alors la mise en place d'une enveloppe financière globale pour l'ensemble des acteurs de la mission ; charge à eux de s'en répartir la manne.

Pour sa part, Mgr Plateau rencontre le MRJC le 19 mars 1983. L'occasion pour lui de déplorer que le mouvement se tienne en retrait de la vie diocésaine. Engagés dans l'aide aux défavorisés, les représentants MRJC ironisent : ”les moins favorisés ne sont pas toujours ouverts aux questions d'Église, certains aimeront mieux passer une soirée de samedi à la Pergola (boîte disco) qu'à une rencontre avec l'évêque dans une visite pastorale!” 379 . Mgr Duchêne n'est pas beaucoup plus heureux que son homologue de Bourges. Au lendemain d'une rencontre avec l'évêque le 5 avril 1983, l'équipe départementale du Jura adresse un courrier lapidaire au centre national du mouvement. Il n'en demeure pas moins explicite sur les difficultés épiscopales à réunir un consensus autour d'un nouveau projet missionnaire 380 :

‘On s'attendait à ce qu'il s'attarde sur la Recherche – Foi
Dommage qu'il ne se soit pas arrêté sur ces pages du dossier
Il nous prend pour des missionnaires
Il aurait fallu relever les contradictions dans le discours du père Duchêne
Il défend le diocèse
C'était faussé dès le départ, on a payé de ne pas le rencontrer plus souvent
La préparation s'est trouvée court-circuité par l'événement ”municipales”’

Les consultations épiscopales ne sont cependant pas toutes condamnées à l'échec. Il en est même des fructueuses parmi lesquelles celle qui met en relation l'évêque de Belfort-Montbéliard, Mgr Lecrosnier et la mission ouvrière diocésaine. La situation est pourtant délicate entre les deux parties depuis que les activités de la Mission ouvrière du pays de Montbéliard ont été provisoirement suspendues par l'autorité diocésaine de Besançon le 21 septembre 1979. Alors que le clergé diocésain se déchire sur les options pastorales à prendre en monde ouvrier, il est reproché à la Mission ouvrière et à ses aumôniers de vivre en marge de l'Église diocésaine. Les militants prennent alors fait et cause pour la minorité du clergé focalisée sur la condition ouvrière contre la majorité appréhendant le monde du travail d'une manière globale. Reste que la sanction ne freine en rien les militants présents lors du conflit qui éclate chez Peugeot en 1981. Des tracts stipulent alors : ”Les méprisés, les paumés, les exploités, Jésus-Christ n'aimait pas les voir souffrir. Il a dénoncé ceux qui se paient leur tête et leur peau. C'est pour cela que les puissants ont la sienne”.

Or, Mgr Lecrosnier saisit l'opportunité de sa visite pastorale pour renouer le dialogue avec le mouvement. Une réunion est organisée à l'évêché le 18 juin 1983 en vue de mettre officiellement un terme à cette suspension. L'évêque et le conseil épiscopal concluent alors que ”sans la classe ouvrière, l'Église ne serait pas l'Église ouverte à tous” 381 . La Mission ouvrière au pays de Montbéliard réintègre ainsi la pastorale et la sanction est progressivement levée dans l'ensemble du diocèse. Après concertation des partenaires de la mission ouvrière, la JOC, la JOCF, l'ACO, l'ACE, des religieux et des prêtres ainsi que des membres du groupe de recherche des prêtres en paroisse (GREPO), Mgr Lecrosnier justifie sa décision en ces termes 382 :

‘Connaissant les mouvements apostoliques et ceux qui se consacrent à l'annonce de la foi dans le monde ouvrier, c'était de mon devoir de supprimer publiquement, officiellement, ce malentendu et de mettre un terme à cette épreuve.’
Notes
373.

Mgr Matagrin & Jacques Duquesne, Un nouveau temps pour l'Église, Paris, Centurion, 1973, page 64

374.

Claude Prudhomme, ”Le grand retour de la mission ?”; XXe siècle, 66, avril-juin 12000, pp. 119-132

375.

Mgr Barbier est élu président de la commission épiscopale du monde rurale en 1983. Il remplace Mgr Jacques de Saint-Blanquat arrivé en fin de mandat.

376.

Archives MRJC. Hubert Barbier, lettre du 16 février 1983

377.

Archives MRJC. Compte rendu de la rencontre à l'archevêché à Bourges le 5 février 1983

378.

Ibid

379.

Archives MRJC. Compte rendu de la rencontre avec Mgr Plateau le 19 mars 1983

380.

Archives MRJC. Compte rendu de la rencontre avec Mgr Duchêne, courrier du 29 avril 1983

381.

Snop, n°509, 13 juillet 1983

382.

Claude Mislin, ”La mission ouvrière, après un purgatoire de quatre ans”, Témoignage chrétien, 2050, 24 octobre 1983