L'Église locale garante de la diversité

Dès lors, le président de la commission du monde ouvrier se fait fort de vanter l'équilibre du document adopté par l'assemblée. Ce renforcement du maillage missionnaire autour de l'Église locale s'accompagne d'une main tendue aux mouvements. ”Pour la première fois collectivement, les évêques apportent leur caution à la mission en monde ouvrier, dont ils considèrent qu'elle est bien une ”dimension de nos Églises diocésaines” ” 394 . Pour Mgr Herbulot, ”il ne s'agit pas de récupérer les mouvements dans l'Église diocésaine, mais de les faire reconnaître par toutes les autres communautés comme étant à part entière, non suspectes dans l'Église diocésaine” 395 . Obtenant des évêques la qualification du monde ouvrier comme ”réalité collective”, les mouvements d'action catholique reconnaissent un pluralisme dans les chemins missionnaires. Une appréhension distanciée et critique s'impose vis-à-vis des idéologies et la mission en monde ouvrier se délivre de ses réflexes exclusifs. Les Cahiers insistent d'ailleurs sur la récurrence du terme ”diversité” dans le document de travail arrêté au terme de l'assemblée plénière.

Institutionnellement, l'option pluraliste débouche sur une nouvelle géographie de la mission avec un recentrage autour de l'Église locale et du titulaire de son siège épiscopal. Investit de la responsabilité d'union, l'évêque devient le pivot d'une organisation réticulaire multiforme dont il est le seul à pouvoir rendre la cohérence. Le préambule est l'occasion pour l'épiscopat français de rappeler que ”l'Église du Christ est présente et agissante d'abord dans les églises diocésaines”. Il est alors précisé que les instances nationales ne se situent pas ”à part, en face ou à côté de l'Église diocésaine [car la mission ouvrière] fait partie de celle-ci de par la volonté de l'évêque”. S'ensuit un rappel du charisme propre de l'évêque par rapport à cette assemblée qu'est l'assemblée plénière de l'épiscopat français. ”Chaque évêque jugera de quelle manière il convient d'assurer la continuité de l'effort évangélique en monde ouvrier”. La formulation est d'autant plus significative que le premier projet de texte disait ”toute l'assemblée jugera”… Cette place faite au pluralisme ne laisse aucun doute sur les divergences de vue au sein de l'épiscopat. La quasi unanimité du vote de l'assemblée ne rend pas compte de la diversité des options pastorales. ”Consensus quelque peu ambigu”, relève André Vimeux 396 :

‘L'évêque du Havre, Michel Saudreau, le reconnaît implicitement : ”Il n'est pas sûr, admet-il, que ce consensus porte sur la problématique de la Mission ouvrière”, donc sur sa manière particulière d'aborder le monde ouvrier, mais plutôt sur une prise en compte par toute l'Église d'une expérience vécue de rencontre avec le monde ouvrier. Ce qu'un autre évêque, celui de Meaux, Mgr Kuehn à sa manière confirme : ”Le langage, dit-il, n'est pas neutre - les uns parlent de monde ouvrier - les autres de classe ouvrière”.’

En substituant au ”France, pays de mission”, la formule ”chaque diocèse, pays de mission”, les évêques se réapproprient ”le rôle d'animation de cette tâche d'évangélisation. Ils veulent l'élargir aussi, pour décloisonner la mission ouvrière”, selon les Cahiers 397 . En novembre 1983, que ce soit sur la mission, les séminaires ou la vie religieuse, les évêques se ressaisissent de leur mission pastorale. Dès lors, structures interdiocésaines, commissions épiscopales, bureaux nationaux et autres séminaires régionaux sont au service exclusif de la pastorale locale. Telle redéfinition conjointe du magistère épiscopale et de la géographie missionnaire annonce une tendance lourde pour l'orientation à venir de Église de France 398 :

‘Le tournant marqué par cette assemblée de Lourdes n'est pas sans risque. Les mouvements d'action catholique, les secteurs de la pastorale sont au service de l'Église. Non d'une Église abstraite, mais des diocèses. L'Église n'est pas d'abord une ”machine” nationale, avec commissions et appareils. Elle est le rassemblement des chrétiens en un lieu, autour d'un évêque, pour une mission. On comprend ce désir de retrouver la visibilité d'une Église proche. Mais aura-t-on partout les moyens de renforcer les équipes diocésaines ? Le recentrage sera-t-il un ressourcement aux forces vives des communautés ou, parfois, un repli, un rétrécissement ?’

Notes
394.

Joseph Limagne, ”Vers un renforcement du pouvoir de l'évêque”, Actualité religieuse dans le monde, décembre 1983

395.

Henri Tincq, ”L'enracinement de l'Église dans le combat pour la justice”, La Croix, 27 et 28 novembre 1983

396.

André Vimeux, ”Stimuler l'effort sur la mission en monde ouvrier”, Témoignage chrétien, 2053, 14 novembre 1983

397.

Bertrand Cassaigne, ”Un pari sur les diocèses”, Cahiers d'actualité religieuse et sociale, 278, 15 décembre 1983, page 690

398.

Ibid., page 692