Les Cahiers voient dans cette tendance le symptôme d'une Église de France en difficulté. ”Le fonctionnement de la conférence épiscopale n'a peut-être pas été très heureux cette année”, relève Bertrand Cassaigne 399 . L'assemblée plénière de 1983 est trop courte au regard du nombre important de dossiers à traiter. Il n'en demeure pas moins que le risque existe d'assister à un cloisonnement des Églises locales à rebours de ce qui fit la force de l'épiscopat français post conciliaire : la collégialité. Interpellé par La Croix sur la substitution du terme ”communion” à celui de ”collégialité”, Mgr Herbulot précise les intentions de l'assemblée 400 :
‘Je ne sépare pas la communion et la mission. L'évêque est tout entier investi dans la mission et ce texte de Lourdes je le lis plutôt, moi, comme une incitation à jouer à fond notre ministère épiscopal, qui est d'abord un ministère d'écoute. Écouter, regarder : c'est le sens de toute vie pastorale.’Philippe Warnier semble valider l'analyse du président de la commission épiscopale du monde ouvrier. Tandis que sous les débats ont manqué d’être ajournés sur proposition de Mgr Lustiger, le journaliste de Témoignage chrétien s'enthousiasme des orientations arrêtées à Lourdes 401 :
‘Le texte de Lourdes 1983 n'a pas seulement valeur pour la mission ouvrière: il vaut pour toute l'Église de France et confirme des évolutions déjà amorcées qui, parfois, comportent des risques, mais, le plus souvent peuvent revêtir un sens positif. L'accent mis sur les Églises diocésaines peut affaiblir les coordinations nationales, faciliter certaines pressions romaines, et permettre à un évêque de ”reprendre en main” ou de marginaliser tel ou tel mouvement. Mais il peut aussi ”mouiller” les évêques et toutes les communautés dans l'évangélisation de type action catholique, tout en obligeant celle-ci à la concertation.’La réaffirmation de l'Église locale comme unité missionnaire conforte les évêques dans la nécessité qu'il éprouve d'une revalorisation des instances diocésaines. La contestation publique du document ”Gagner la paix” par l'évêque d'Evreux, Mgr Gaillot, révèle une affirmation toujours plus marquée des sensibilités pastorales au sein de l'épiscopat. Les nouvelles dispositions prises par l'assemblée plénière de 1983 laisse présager une reterritorialisation de la mission, une redéfinition de la charge épiscopale qui appelle de nouvelles relations entre les mouvements et chacun des évêques français.
Le diocèse de Beauvais met en place un comité diocésain de mission en monde ouvrier. La mise en place aussi rapide de structure de ce type traduit un réel enthousiasme des mouvements au texte épiscopal. ”C'est la première fois qu'est ainsi reconnue par des évêques la diversité du monde ouvrier et que sont affirmées aussi clairement l'importance et la spécificité de la Mission ouvrière et de nos différents mouvements au plan national”, indique Didier Niel, secrétaire général de l'ACO 402 . Reste cependant une incertitude fondamentale. ”Ce qui aurait demandé plus de précisions, c'est le sens donné, par les évêques à la mission” 403 . La JOC partage également cet enthousiasme notamment depuis son festival des jeunes pour l'emploi du Bourget auquel plusieurs évêques avaient participé en mai 1983. Il n'en demeure pas moins quelques pierres d’achoppement notamment dans l'analyse de la situation concrète du monde ouvrier relève Didier Niel 404 :
‘Le sens de la mission n'est pas encore bien cerné. L’Épiscopat ne semble pas encore bien mesurer la distance qu'il y a entre l'Église et la classe ouvrière, entre lui et les mouvements : les évêques semblent se situer vis-à-vis des mouvements, plutôt que comme partenaires, à part entière d'une même mission.’Outre les limites de l'analyse épiscopale, les mouvements doivent travailler leur identité chrétienne afin de jouer le jeu de l'insertion dans le maillage ecclésial dans la mesure où les animateurs de mouvement concèdent qu'après tout, ”avant d'être une structure hiérarchique, le diocèse est le lieu géographique où vit le peuple de Dieu” 405 . Or, c'est précisément à cette conversion que doit procéder la JOC selon Alain Mahé 406 :
‘La prise de conscience reste floue. Il faut pourtant comprendre que si de jeunes ouvriers peuvent être sensibles, comme on l'a vu à notre Festival du Bourget, à une parole de foi, à une célébration, ils ne se sentent pas vraiment d'Église. Pour eux, l'évêque c'est la hiérarchie et une église, ce sont quatre murs. Ils n'ont pas encore compris que l'Évangile, c'est nous tous…’Quelques jours après, Philippe Warnier, surenchérit quant au caractère positif des travaux de Lourdes notamment lorsqu'ils ”parient avec audace sur l'enracinement local des mouvements ouvriers dans l'Église ; sur leur partenariat avec chaque évêque appelé à partager étroitement les soucis et les espoirs du monde ouvrier ; sur leur collaborations […] avec les autres communautés chrétiennes” 407 . C'est d'ailleurs avec ce souci en tête que plusieurs évêques ont d'ores et déjà organisé des rassemblements diocésains - à Versailles et Corbeil le 5 juin 1983. De la même manière, 20 000 chrétiens se réunissent autour de Mgr Favreau le 19 novembre de la même année. ”L'un des intérêts majeurs d'un tel rassemblement diocésain est de réunir des communautés et des mouvements d'Église qui, parfois, se connaissent à peine ou sont peu portés à dialoguer ensemble”, relève La Croix 408 . ”Chaque fois que chacun s'enferme dans sa spécialité ou clôt le champ de sa mission, c'est l'Évangile qui en fait les frais”, déclare à cette occasion le nouvel évêque de Nanterre 409 .
Or les onze mouvements du groupe de recherche inter-mouvements (GRIM) se réunit le 9 octobre 1983 410 . Après examen des perspectives missionnaires proposées par les évêques, le GRIM encourage ”la naissance et la vitalité de communautés variées, selon les milieux de vie ou les affinités”. Il suscite également des ministères variés ”à partir des besoins de ces communautés en partant d'une démarche de service et [cherche] à faire reconnaître ces ministères par les chrétiens et la hiérarchie”. L'accent est également mis sur la communication. Dans les relations inter communautés, le rôle du prêtre est essentiel en tant que collaborateur de l'évêque. L'accueil fait à la démarche sacramentelle se double d'une nécessaire réexpression du langage de foi à partir de la situation de chaque mouvement, et accepter le risque d'une confrontation avec d'autres”. L'accent est enfin mis sur une nécessaire formation des chrétiens au servie des communautés ou en quête de responsabilités 411 .
En novembre 1983, Mgr Balland invite ses diocésains à un rassemblement à Dijon pour le 24 juin 1984 ”pour sortir de notre tentation de suffisance et réconforter ceux qui sont isolés, nous rencontrer et nous écouter différents” 412 . Les thèmes abordés intéresseront le développement, la famille et la drogue ainsi que la question de la mission des baptisés dans l'Église 413 . L'évêque de Dijon précise dans le bulletin Église en Côte-d'Or le ton à donner à cette réunion. ”A l'occasion de l’année sainte, ce rassemblement doit être plus que jamais une rencontre de la réconciliation et non une démonstration de force” 414 . Ces précisions relativement circonstanciées laisse paraître une pluralité ecclésiale dans l'appréhension de l'option identitaire prise lors de l'assemblée plénière. A la tête du diocèse de Limoges fortement déchristianisé, Mgr Gufflet éprouve plus que son homologue alsacien la nécessité d'une présence au monde. ”L'Église telle qu'elle existe peut-elle être suffisamment présente, et activement présente aux hommes, à leurs situations, à leurs problèmes et à leurs questions pour pouvoir les évangéliser, s'il est vrai que pour pouvoir évangéliser, il faut d'abord être présent ?” 415 .
Par delà ces divergences circonstancielles, la mise en œuvre du rapport Defois reçoit un accueil prudent de quelques diocèses comme en atteste la réunion du conseil presbytéral de Marseille, des 4 et 5 décembre 1983, au cours duquel un projet de rassemblement diocésain est à l'étude. ”Il n'y a pas d'opposition systématique sur le projet, ni de refus absolu, mais en même temps pas d'enthousiasme démesuré” 416 . Mais si l'archevêque convoque un tel rassemblement, le conseil souhaite que celui-ci privilégie une expression libre à un rassemblement de ”paroles”. Les délégués insistent également pour qu'un tel rassemblement ”ne soit pas tourné uniquement vers le fonctionnement de l'Église”, mais, au contraire, tourné vers les franges de l'Église 417 .
De fait, une partie de l'épiscopat refuse de confondre affirmation identitaire et démarche attestataire. L'évêque d'Arras défend une approche conflictuelle de la communion de l'Église. Relevant la présence d'un ”sentiment de culpabilité très diffus” engendrant des tensions, Mgr Kuehn appelle l'Église à ”accepter la coexistence de positions différentes” 418 . Il met alors l'accent sur les tensions intra ecclésiales nées de problèmes extérieurs à l'Église. ”Il faut (ensuite) accepter qu'au sein d'une telle Église de croyants il y ait des divergences sur les problèmes temporels. Car il ne s'agit pas d'évacuer les questions que l'actualité pose à la conscience de tous les hommes” 419 .
Le 24 juin 1984, le rassemblement diocésain à Orléans s'interroge sur la place de l'Église en France. L'environnement économique et politique incertain marque profondément l'analyse. Entre autres stigmates d'une déprise de la culture catholique, l'analyse d'une perte du sens du pêché dans la société française amène l'Église d'Orléans à encourager le réflexe minoritaire 420 . Les débats révèlent par ailleurs une déconsidération de la politique. A l'inverse, tandis que cette grille de lecture s'affaiblit, les catholiques se montrent de plus en plus attentifs aux travaux menés en sciences humaines. Ceux-ci peuvent s'avérer être un outil pastoral pertinent pour saisir le comportement du chrétien alors que s'achève le XXe siècle. Minoritaire, l'Église d'Orléans n'en demeure pas moins convaincue de la nécessité de témoigner au monde. Cette présence au monde doit articuler retour à la prière et permanence de l'action 421 .
Ibid.
Henri Tincq, ”L'enracinement de l'Église dans le combat pour la justice”, op. cit.
Philippe Warnier, ”Un recentrage positif”, Témoignage chrétien, 2057, 12 décembre 1983
Henri Tincq, ”Comment sortir des chapelles”, La Croix, 27 et 28 novembre 1983
Didier Niel, ”L'Église a besoin de la mission ouvrière”, Témoignage chrétien, 2057, 12 décembre 1983
Ibid
Ibid
Ibid
Philippe Warnier, ”Monde ouvrier : l'affaire de toute l'Église”, La Croix, 30 décembre 1983
Henri Tincq, ”Le peuple de Nanterre en fête”, La Croix, 20 décembre 1983
Philippe Warnier, ”La grande fiesta catholique du 92”, Témoignage chrétien, 2059, 26 décembre 1983
Le GRIM est composé de l'action catholique générale des femmes (ACGF), de l'action catholique des milieux sanitaires et sociaux (ACMSS), des centres de préparation au mariage (CPM), de Dialogues apostoliques, des équipes enseignantes, des groupes de vie évangélique, des groupes Témoignage chrétien, de la jeunesse étudiante chrétienne (JEC), du mouvement des cadres chrétiens (MCC), de VEEA, et de Vie nouvelle. Y participe également le secrétaire général adjoint de l'épiscopat à l'apostolat des laïcs.
Anonyme, ”Ministères pour aujourd'hui et demain”, Témoignage chrétien, 2066, 13 février 1984
Anonyme, ”Dijon : Un rassemblement de tous les chrétiens en 1984”, La Croix, 18 novembre 1983
Église en Côte d'Or, n°228, 8 juin 1984
Ibid
Mgr Gufflet, ”Dans l'espérance, l'Église de Limoges prépare son avenir”, L'Église de Limoges, n°22, 9 décembre 1983
Conseil presbytéral de Marseille, ”Consultation sur le projet d'un rassemblement diocésain”, L'Église aujourd'hui à Marseille, n°42, 25 décembre 1983
Ibid
Mgr Kuehn, ”L'intolérance crée la guerre”, Église d'Arras, n°1, 6 janvier 1984
Ibid
Collectif, ”Le pêché ? Oser en parler”, Panorama, numéro-spécial, mars 1984
Semaine religieuse d'Orléans, n°11, 10 juin 1984