A/ Lourdes 1984, capitulation épiscopale et sortie de crise

Désavoué, le manuel Pierres vivantes est remanié

Au sein même de la commission épiscopale pour l'enseignement religieux, la critique romaine fait son chemin. Mgr Bernard confesse ne pas avoir mesuré le risque de voir l'enfant prendre le récit biblique sous son seul aspect historique. L'équipe évêques-prêtres est applaudie par une bonne partie de l'assemblée lorsqu'elle souligne le caractère ”relatif” de Pierres vivantes. L'ouvrage ”ne pourra jamais être la somme des connaissances sur Dieu car l'homme ne sait pas Dieu, mais il le cherche”. Le père Gilson peut être amer. ”Je ne pensais pas en 1977 que nous étions à l'aurore d'un débat exégétique”, lâche-t-il 448 .

Au terme ”d'un jeu de force”, l'évêque du Mans finit pourtant par avoir gain de cause 449 . Le principe d'une réédition des Pierres Vivantes pour 1985 est confirmé massivement par 100 voix pour, un vote négatif et un vote blanc - sur 102 votants. Pourtant, la nouvelle mouture de l'ouvrage n'est pas sans contrarier les projets initiaux de l'épiscopat contenus dans la première version. Ainsi, Dieu n'est plus une présence à découvrir progressivement pour l'enfant et la théologie augustinienne du pêché se substitue à celle développée par Saint-Irénée faisant de l'incarnation la source première de salut. Reste au secrétariat de l'épiscopat à minimiser l'âpreté des débatsau nom du consensus, critère principal de la mission 450 :

‘Beaucoup d'évêques ont retrouvé dans ces heures laborieuses, l'expérience même du concile. Au nom même de leur responsabilité commune, il ne s'agissait pas qu'une majorité impose ses vues à une minorité ni qu'une situation de compromis ou de marchandage permette d'aboutir à une décision, mais au contraire que dans une disponibilité à l'Esprit Saint qui animait et devançait cette assemblée, un consensus progressif s'exprime pour le service de la mission. Les débats ne reflétaient pas des clivages simplistes et manichéens qui enferment chaque personnalité dans un seul bloc, mais exprimaient une recherche libre et responsable en vue d'une avancée et décision commune.’

”Tout au long d'un tel débat, j'ai eu l'impression de revivre un débat conciliaire au cœur duquel, par un va-et-vient fréquent entre la commission et l'assemblée, se préparait lentement un consensus”, confie Mgr Maziers 451 . Les péricopes sont rétablis dans l'ordre où ils se trouvent dans les Ecritures. Ce changement est celui qui divise le plus l'assemblée. Sur 104 votants, seuls 78 sont favorables à ce changement tandis qu'une opposition conséquente se manifeste avec 25 votes négatifs.

Autre pomme de discorde : le vocabulaire. Plus précis, celui-ci risque de devenir énigmatique pour l'enfant regrette Mgr Gilson. Or, pour Mgr Billé, il est certain que ”le rapport théologie-pédagogie n'est pas forcément toujours ce qui a présidé aux débats car le problème ne ressortissait pas uniquement à la méthode mais aussi au contenu” 452 . Pour l'évêque de Laval, les évêques ont à remplir scrupuleusement leur mission d'enseignement. ”Nous ne nous trouvons pas en état d'apesanteur par rapport aux divers mouvements exégétiques : on n'est plus dans le temps de l'exégèse historico-critique, autrement dit, on est moins sensible à la genèse des textes et plus attentifs à la continuité des récits bibliques”, poursuit-il 453 .

L'accent est alors mis sur la figure du Christ tandis qu'une ”double insertion du récit de la Pentecôte rappelle que, si chronologiquement la Pentecôte vient après la mort, la Résurrection et l'Ascension du Christ, aujourd'hui, le chrétien ne peut vivre le mystère pascal du Christ mort et ressuscité qu'avec le don de l'Esprit Saint de la Pentecôte reçu en Église” 454 . Soucieux d'orthodoxie, les évêques n'en éludent pas pour autant le caractère dynamique de l'apprentissage catéchétique. De ce fait, le support pédagogique doit renoncer à être exhaustif. La formation des catéchistes intervient finalement pour palier l'autorité relative des Pierres vivantes.

Pour Bernard Stephan, la controverses Pierres vivantes renouvelle la problématique de la réception conciliaire 455 :

‘La première version de Pierres Vivantes insistait justement sur cette vision historique d'un peuple marchant à la rencontre de Dieu. La deuxième version souligne davantage une conception plus verticale de la révélation ; c'est le Dieu de Jésus-Christ, par sa parole, qui apporte le salut.’

”Nous avons été provoqués par le mouvement intégriste. Il faut reconnaître qu'il a un certain pouvoir dans ce pays”, confesse le père Gilson, pour qui la révision des Pierres vivantes est une victoire offerte aux milieux conservateurs 456 . La double conjoncture d'une déchristianisation et d'une crise économico-sociale avancées semble faire le lit à une lecture pessimiste des rapports de l'Église au monde. Le désenchantement semble saisir l'ensemble des réalités ecclésiales. ”Les mêmes évolutions se font jour concernant la pastorale, ou du moins, la vie des communautés chrétiennes”, déplore Témoignage chrétien. Pour le père Gilson, la controverse des Pierres vivantes n'intéresse le phénomène intégriste qu'à la marge. Éminemment théologique, le débat concerne l'évolution de l'Église en son entier 457 :

‘L'organisation du livre serait tributaire d'une certaine école d'exégèse. En fait, la catéchèse se doit d'être au-dessus de pareil débat. Pourtant, en 1980, nous ne pouvions pas faire l'impasse sur l'enseignement donné partout dans le monde, et notamment dans nos facultés et dans nos séminaires. Nous ne pensions pas, il est vrai, que ce qui paraissait être acquis, un ”bien commun” en exégèse, serait aujourd'hui pour une bonne part remis en question.
Les exégètes ont raison de nous dire, à nous catéchètes, que nous n'avons pas à entrer dans leurs querelles, mais nous n'avons pas non plus à renoncer aux acquis. Sans doute nous faut-il être plus prudent…’

Tout en regrettant la révision précoce des ouvrages, Mgr Gilson concède cependant la pertinence des remarques romaines concernant l'absence de formation à la vie morale. ”En effet, la première attitude morale du chrétien est de prier. Par ailleurs, il n'y a pas de vie morale possible sans accueil de la grâce du Seigneur par les sacrements” 458 .

La révision des Pierres vivantes fait débat au-delà de l'enceinte lourdaise de l'assemblée plénière. La Croix ne tarde pas à ouvrir ses colonnes à la controverse. Le 21 novembre, une double page du forum est ainsi ouverte à Mgr Maziers, au courrier des lecteurs mais également à Pierre Pierrard et Odon Vallet, tous deux attachés à la première version des Pierres vivantes. Historien mais aussi catholique, Pierre Pierrard évoque son souci de voir l'Église ”disponible à l'intelligence de l'histoire”. ”Ma gêne vient peut-être aussi de la crainte de voir le peuple juif faire une fois encore les frais de l'opération, le judaïsme restant extérieur à notre histoire du salut : ce qui serait proprement catastrophique”, indique Pierre Pierrard 459 . Soucieux d'incarner les protestations du catéchiste lambda, l'historien use de son statut d'intellectuel pour dénoncer la pente moralisante sur laquelle est engagée la nouvelle version de Pierres vivantes en regrettant la légitimité accordée aux intégristes au terme du processus de révision.

”Merci à l'évêque courageux”, titre Odon Vallet. La gratitude s'exprime, sans grand risque de nous tromper, à Mgr Gilson ”qui a dit non à la refonte de Pierres vivantes”. Pour le chroniqueur, les travaux de Lourdes ne sont pas sans rappeler la crise moderniste condamnant l'exégèse ”progressiste” de l'abbé Alfred Loisy 460 . ”Enfin, la quasi-unanimité des évêques sur le besoin d'un catéchisme plus classique n'est pas sans rapport avec leur quasi-unanimité de l'an dernier sur ”Gagner la paix””, indique-t-il 461 . ”Les périodes de tension internationale favorisent le retour à des valeurs sûres et à une exégèse ancienne”, conclut Odon Vallet 462 .

Notes
448.

Gwendoline Jarczyk, ”La mise à plat des Pierres vivantes”, op. cit.

449.

Bernard Stephan, ”Pierres Vivantes sauvé des eaux”, Témoignage chrétien, 2104, 5 novembre 1984

450.

Anonyme, ”Comme au Concile… Un travail de collégialité pour un consensus pastoral et non un compromis”, Snop, n°561, 7 novembre 1984

451.

Mgr Maziers, ”Donnez-leur vous-mêmes à manger”, La Croix¸21 novembre 1984

452.

Gwendoline Jarczyk, ”Pierres Vivantes : l'édifice reconstitué”, La Croix, 30 octobre 1984

453.

Ibid

454.

Ibid

455.

Bernard Stephan, ”L'Église au service du Royaume”, Témoignage chrétien, 2104, 5 novembre 1984

456.

Ibid.

457.

Gwendoline Jarczyk & Dominique Quinio, ”La découverte, l'expérience sans évacuer l'enseignement”, La Croix, 11 & 12 novembre 1984

458.

Ibid

459.

Pierre Pierrard, ”Pour Pierres vivantes”, La Croix, 21 novembre 1984

460.

Etienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, 325 pages

461.

Odon Vallet, ”Merci à l'évêque courageux”, La Croix, 21 novembre 1984

462.

Ibid