Fragilisation avancée de la collégialité et culture de crise

Au sortir du conseil permanent des 10-12 décembre 1984, Mgr Vilnet en convient, ”Pierres vivantes aurait pu être pierre d'achoppement. Une fracture aurait pu apparaître dans notre conférence ou, une hésitation surgir quant à l'adoption de la nouvelle édition : aurait-elle encore été offerte par ”les” évêques de France ou par ”des” évêques ?” ⁴⁶³ . Les conditions difficiles faites aux journalistes et observateurs n'ont pas été fortuites, le huis-clos intervient en circonstance de crise, concède le président de la conférence. L'épiscopat s'est privé d'une audience. Le président de la conférence épiscopale promet alors une ouverture plus large de l'assemblée sur le modèle de l'assemblée plénière 1983, étalon en matière de concertation.

En février 1985, Montpellier accueille l'exposition ”Mille ans de catéchèse”. Mgr Boffet saisit cette occasion pour mettre en perspective le conflit Pierres vivantes. La définition d'un catéchisme est présentée comme ”une entreprise difficile, même périlleuse, à laquelle toutes les générations se trouvent affrontées depuis les premiers disciples jusqu'à Pierres vivantes. La nôtre n'est pas logée à meilleure enseigne que celles qui nous ont précédés. Nous en savons quelque chose…” ⁴⁶⁴ . L'enjeu consiste en un équilibre conjuguant orthodoxie et attention portée aux signes des temps. Conscient de la crise larvée qui secoue les catéchistes, le père Boffet décide de consulter l'équipe régionale de la catéchèse de Provence-Méditerranée sur la perception qu'elle a de la crise Pierres vivantes ⁴⁶⁵ .

Le 27 février, Le Monde révèle que Mgr Vilnet a reçu un courrier du cardinal Ratzinger exigeant la mise en œuvre d'un catéchisme national. Le lendemain, Mgr Vilnet se rend à Rome pour demander des éclaircissements auprès des dicastères. Le 1er mars, La Croix conteste la légitimité de l'intervention du cardinal Ratzinger ”puisque selon le droit canonique, il est de la compétence des conférences épiscopales de promouvoir leurs documents catéchétiques (canon775)” ⁴⁶⁶ . Le lendemain, pourtant, le quotidien catholique doit se résoudre à publier un communiqué cosigné par le cardinal Ratzinger et Mgr Vilnet. Celui-ci annonce la mise à l'étude d'un ”exposé organique et complet de la foi”. Dominique Quinio revient sur une succession de coups de théâtre dans lesquels une part belle est faite aux ”fuites” en tous genres pour aboutir à un dénouement contesté ⁴⁶⁷ :

‘Même s'il ne s'appelle pas ”catéchisme national”, mais plutôt ”exposé organique de la foi”, c'est sur un nouveau texte que le cardinal Ratzinger demande aux évêques français de se pencher. Alors qu'il existait déjà depuis 1978, Il est grand le mystère de la foi, sorte d'acte de foi proposé par l'épiscopat aux catholiques français, et le Texte de référence de 1979.
Dès la fin de cette année, les évêques devront se remettre au travail. N'est ce pas prématuré ? Ne doit-on pas laisser aux textes existants, aux instruments en place le temps d'être étudiés et exploités à fond ?’

”Voilà donc la question sur laquelle débouche ce qu'on a appelé la querelle de la catéchèse”, conclut Jean-François Bouthors quelques semaines plus tard ⁴⁶⁸ . Quant à l'opportunité d'un exposé organique et complet de la foi, ”force est de constater que l'étiquette catholique a pris dans notre pays tous les traits de l'auberge espagnole. La diversité des modes de pratique religieuse en est une indication, mais elle n'est peut-être pas la plus pertinente. […] Il s'agit simplement de signaler que la confusion qui règne sur le contenu de la foi est dommageable pour le devenir de tous, car elle est un obstacle à la croissance spirituelle de chacun et aux bénéfices qui en résultent nécessairement pour l'ensemble”, constate le chroniqueur ⁴⁶⁹ .

Le 24 mai 1985, Mgr Decourtray s'adresse aux catéchistes de son diocèse dans un éditorial de la semaine religieuse de Lyon. En dépit des communiqués officiels faisant valoir une communion de vue entre Rome et l'Église de France au sujet de la catéchèse, l'archevêque de Lyon éprouve le besoin d'opérer une mise au point et rassurer les acteurs diocésains de la catéchèse ⁴⁷⁰ :

‘Ne vous laissez pas troubler ! Dans l'ensemble, Dieu merci ! vous ne l'êtes pas encore trop. Vous ne vous êtes pas laissés trop influencer par ceux qui cherchent à vous faire croire que les évêques de France sont ”désavoués” par Rome et que les services diocésains de la catéchèse sont minés par… l'hérésie.’

Le primat des Gaules engage une rétrospective de la démarche épiscopale depuis la publication en 1979 de son ”texte de référence” fondé sur le directoire catéchétique publié par le Vatican en 1971 et l'exhortation apostolique Catechesi tradendae de Jean-Paul II. Certes, les ”parcours catéchétiques” sont perfectibles, concède le primat des Gaules et ”les échos qui sont parvenus de certaines interventions de la congrégation pour la doctrine de la foi expliquent en partie l'inquiétude manifestée par certains” ⁴⁷¹ . Concernant la décision de la mise en œuvre d'un ”exposé organique et complet de la foi” sous la responsabilité de l'épiscopat français, le vice-président de la conférence épiscopale botte en touche et rappelle que seul l'évêque a la compétence de sa compétence en matière de catéchèse pour son Église locale.

Les 27 et 28 juin, Mgr Vilnet et Raymond Michel, secrétaire général de l'épiscopat, se rendent à Rome. ”Dans le climat actuel des débats publics grevés de soupçons injustifiés par rapport aux projets ou aux intentions de l'épiscopat français, Mgr Vilnet a témoigné de la convergence des évêques de France sur les buts fixés pour le synode par Jean-Paul II” ⁴⁷² . Reçu à déjeuner par le Pape, Mgr Vilnet remet symboliquement à son hôte un des premiers exemplaires de la nouvelle édition de Pierres Vivantes pour bénédiction.