Du symposium au synode : l’épiscopat conciliaire en première ligne

Il n'en demeure pas moins que l'optimisme du symposium ne fait pas florès auprès de l'ensemble de l'épiscopat français. Ici se dessine l'une des césures au sein de l'épiscopat entre la génération conciliaire et sa suivante. Prise au mouvement du désenchantement du monde, la nouvelle génération développe une anthropologie pessimiste de l'homme pour appuyer un retour de la mystique christique incarnation purifiée de l'être à rebours des intuitions de la génération Matagrin qui consacre l'homme comme créature reine de l'humanité. Pour cette génération, le reflux du structuralisme et des thèses de la mort de l'homme, fils de la philosophie nietzschéenne, permet la renaissance d'une anthropologie optimiste à décliner dans la mission fondée sur la théologie de l'incarnation.

Pour l'évêque de Grenoble notamment, le synode 1985 ne doit pas se focaliser sur la bonne ou mauvaise réception du concile. L'enjeu demeure la validité d'une anthropologie humaine qui articule dans un même mouvement l'individuel et le collectif. Et de citer Paul Ricoeur et André Malraux pour déplorer l'inflation des moyens dont l'homme se dote en comparaison d'un délitement toujours plus grand des fins auquel il aspire 517 . Le 20e anniversaire du concile doit être l'occasion de contrarier le modèle immuable d'une Église en conflit avec la modernité. Citant l'encyclique de Paul VIEcclesiam suam et le document de Jean XXIII par lequel il convoqua le concile de Vatican II le 25 décembre 1961, l'évêque de Grenoble insiste sur la nécessité de repenser l'inscription du message chrétien dans la société contemporaine 518 .

Mgr Honoré ne dit rien d'autre lorsqu'il fait du concile un catalyseur. ”Mouvement de réveil, conduit par l'esprit, afin de rejoindre et de comprendre ces signes des temps que sont les changements de l'histoire, l'évolution rapide des mœurs et de la culture”, celui-ci ancre l'Église dans la modernité afin d'y puiser une dynamique 519 . Pour leur part, les délégués du service ”incroyance et foi” de la région Sud-Ouest s'adressent à leurs évêques durant l'été. Il s'agit alors de rappeler la vigueur et l'actualité de la théologie du ”peuple de Dieu”. La mise en œuvre des conseils de laïcs et des synodes constitue ainsi à leurs yeux les prémices d'une réalisation complète de celle-ci. Une réflexion sur les relations qu'entretient l'Église avec la société et la culture contemporaine devient, à cet égard, urgente. ”Pour que notre institution soit au service d'une communion universelle, il lui faut trouver un juste équilibre entre intro et extra version”, écrivent-ils 520 .

Le journal Le Monde du 14 septembre 1985 ouvre ses colonnes à l'ancien archevêque de Paris. Celui-ci s'inquiète de la tournure de la commémoration. ”Ne soyons pas comme ces états-majors à qui on a reproché d'être toujours en retard d'une guerre” écrit-il à la suite d'un exposé sur les mutations économiques, politiques et intellectuelles depuis la promulgation de Gaudium et Spes. Au-delà de la présence au monde, le synode ne peut faire l'économie d'une autoréalisation du concile dans le sens d'une réforme conciliaire de l'institution ecclésiale. ”Que le synode, avec le Pape présent et intervenant, parvienne à des conclusions serait une véritable avancée. Cela ne retirerait rien à la responsabilité spécifique du Pape, mais elle apparaîtrait davantage encore en lien, en articulation, avec la responsabilité des autres évêques, dans la communion” 521 .

Sous la plume de Mgr Marty, se réalise ce que Mgr Matagrin définit comme ”l'expérience de dissentiment” vécu par l'évêque quant au gouvernement de l'Église 522 . Représentant de la conférence épiscopale française au synode 1974, Mgr Marty n'est-il pas celui qui en appelle à l'autorité du pape pour ressaisir les travaux synodaux comme alternative à la synthèse insatisfaisante du cardinal Wojtyla ? Le cardinal racontait l'incident en ces termes lors de l'assemblée plénière de l'épiscopat le 9 novembre 1974 523 :

‘Une large commission d'experts et d'évêques avait été désignée pour rédiger le rapport de synthèse. Le mardi matin, 22 octobre, le cardinal Wojtyla nous a lu, pendant près de deux heures, les trente-cinq pages d'un long texte. Nous avons été étonnés de ce qui nous a été présenté comme le résultat de nos travaux. Par manque de méthode, le document proposé était devenu un bon devoir de théologie pastorale. Il ne ressaisissait pas les témoignages et les interrogations, les recherches et les propositions - souvent très riches - qui avaient alimenté le travail des trois semaines précédentes.’

Au surplus, celui-ci accueillera avec enthousiasme l'exhortation évangélique Eganvelii nuntiandi du 8 décembre 1975. Une décennie plus tard, la jurisprudence et devenue coutume, dépréciant ainsi la dimension collégiale de l'Église au profit de son centre romain. A la veille du synode 1985, l'ancien président de la conférence épiscopale suggère de briser la quadrature du cercle.

Plus originale est la suggestion de l'évêque d'Autun. Insistant également sur la dimension collégiale de l'Église, Mgr Lebourgeois se risque à suggérer que le synode soit l'occasion d'opérer ”un bilan discret de l'action de Jean-Paul II et de ses méthodes”, reprenant en cela l'idée lancée par Hans Küng en 1979 524 . Pour singulière qu'elle soit, cette approche institutionnelle de la réception conciliaire reflète pour partie la préoccupation de l'épiscopat français.

Notes
517.

Mgr Matagrin, ”Les enjeux du synode de 1985”, Bulletin diocésain de Grenoble, n°2, 25 septembre 1985

518.

Ibid

519.

Mgr Honoré, ”Et si le Concile n'avait pas eu lieu…”, Bulletin diocésain de Tours, n°17, 20 septembre 1985

520.

Anonyme, ”A propos du partage des délégués du service Incroyance et foi de la région Sud-ouest : au sujet de l'avenir de l'Église dans les diocèses”, Snop, 17 juillet 1985

521.

Mgr Marty, ”20 ans après le concile Vatican II”, Le Monde, 14 septembre 1985

522.

Mgr Matagrin, ”Autorité et dissentiment”, Lumières et vie, n°229, 2000

523.

DC, 1665, 1er décembre 1974, p. 1011

524.

Madeleine Garrigou-Lagrange, ”Comment former un vrai 'peuple de Dieu' dans un diocèse ordinaire ?”, L'actualité religieuse dans le monde, n°28, 15 novembre 1985