Appréciations épiscopales diverses de la réception conciliaire

Le 8 octobre 1985, La Croix propose une revue des trois bulletins diocésains de Grenoble, Rennes et Rouen. ”Il est intéressant de saisir le cheminement des pasteurs lorsqu'ils s'adressent à leurs diocésains”, justifie Yves de Gentil-Baichis 525 . Pour le cardinal Gouyon, archevêque de Rennes, le concile Vatican II est ”admirable” dans ce qu'il permet à l'Église de passer ”de l'image d'une forteresse bien gardée mais isolée à l'extérieur” pour celle de ”levain dispersé dans la pâte” 526 . Yves de Gentil-Baichis relève que mai 1968 représente un tournant pour le cardinal 527 :

‘Les lendemains ont été euphoriques et les difficultés sont venues de la ”révolution culturelle de 1968” qui a ”fait éclater les limites dans lesquelles les Pères du concile avaient sagement canalisé le courant novateur”.
L'archevêque de Rennes estime que ”l'esprit 68” a bousculé bien des barrières et en particulier ”la notion d'autorité, indispensable au bon fonctionnement de toute société”. S'il y a eu des ”excès regrettables” chez les chrétiens, Vatican II n'en est pas responsable.’

Concernant l'analyse de Mgr Matagrin, La Croix reprend le texte que produit l'évêque de Grenoble dans son bulletin diocésain du 25 septembre 1985. Outre l'approche culturelle du père Matagrin, Yves de Gentil-Baichis insiste sur l'appréhension du concile comme point d'équilibre entre ”une doctrine trop défensive” et ”un souffle nouveau”. Cet équilibre se poursuit dans la réception conciliaire entre les traditionalistes qui ”veulent se réfugier dans les serres chaudes sans affronter véritablement les défis du monde d'aujourd'hui” et ceux qui, ”au nom de l'ouverture au monde manque d'esprit de discernement”. Pour sa part, Mgr Duval adopte une ”démarche plus pastorale”, estime La Croix 528 . Concédant que ”tout n'est pas parfait” dans l'Église conciliaire, l'archevêque de Rouen salue le concile comme un ”moment de grâce” où les catholiques sont ”sortis d'une attitude individualiste et passive” 529 .

D'une autre sensibilité, le cardinal Lustiger développe une lecture plus culturelle de l'événement insistant pour la Nouvelle revue théologique sur la trame civilisationnelle qu'offre aux chrétiens occidentaux Vatican II. L'élément décisif de l'événement se joue dans une attention particulière au renouveau liturgique intervenant comme inscription irréversible de la foi chrétienne dans les sociétés empruntant les voies de la sécularisation 530 . Dans l'interstice, les bulletins diocésains voient s'exprimer diverses sensibilités épiscopales qui confrontées à l'œuvre de commémoration procède d'un nécessaire exercice de réflexivité.

Mgr Boillon se trouve à mi-chemin entre les lectures de l'archevêque de Paris et de l'évêque d'Autun. Ainsi, refuse-t-il de réduire le concile Vatican II à sa dimension pastorale en insistant sur l'importance qu'occupe la constitution conciliaire Dei verbum dans la définition du renouveau biblique. La réappropriation du Livre permet une nouvelle articulation des Ancien et Nouveau Testaments. ”Certains auraient tendance à négliger l'Ancien Testament puisque le Nouveau le complète et le dépasse. Mais cet Ancien Testament est d'une part la manifestation de la pédagogie de Dieu pour faire entrer les sommes dans son mystère et, d'autre part, il souligne l'importance des différents aspects du Nouveau Testament par l'attention que Dieu attire déjà des siècles avant l'événement” 531 .

Sous la plume de l'évêque de Verdun, cette revivification des sources spirituelles de l'Église intervient comme l'inverse d'un monde occidental déclinant et ”que le progrès matériel a grisé et a enlisé dans le confort, le culte de l'érotisme, la course à l'argent” 532 . La culture matérialiste altère alors l'humanité au sens ontologique pour se manifester dans la sphère sociale : ”l'égoïsme qui replie les hommes sur eux-mêmes, stérilise les foyers par le refus de l'enfant ou même du mariage, engendre les injustices, les misères et les violences” 533 . Dans un entre-deux consistant à la mise en œuvre juridique du concile et l'élaboration d'un socle philosophico-théologique pour une nouvelle évangélisation, Mgr Duval tente de concilier juridisme et phénoménologie des signes des temps pour concéder les insuffisances du processus de réception. Il apparaît urgent de réfuter l’idée selon laquelle une ”modification de structure suffisait à transformer l'Église, alors que les mentalités étaient à changer et, surtout, les cœurs à convertir sous l'action de l'esprit Saint”. 534

Notes
525.

Yves de Gentil-Baichis, ”Trois démarches originales”, La Croix, 8 octobre 1985

526.

La vie diocésaine de Rennes, septembre 1985

527.

Yves de Gentil-Baichis, ”Trois démarches originales”, op. cit.

528.

Ibid

529.

Église de Rouen et du Havre, 20 septembre 1985

530.

Mgr Lustiger , ” Vatican II pour un nouvel âge de l'histoire”, Nouvelle revue théologique, dossier ”Vatican II et l'Église de l'an 2000”, n°6, novembre-décembre 1985

531.

Mgr Boillon, ”L'Église, 20 ans après le Concile”, Bulletin diocésain de Verdun, n°17, 27 septembre 1985

532.

Mgr Boillon, ”Vingt ans après le concile”, Église de Verdun, n°14, 12 juillet 1985

533.

Ibid

534.

Mgr Duval, ”Le concile Vatican II, une richesse toujours à découvrir”, Bulletin diocésain de Rouen et Le Havre, n°15, 20 septembre 1985