L’épiscopat français retrouve un peuple de Dieu travaillé aux marges

En novembre, Mgr Vilnet ressaisit les réflexions de l'épiscopat sur le concile Vatican II : ”Il a été un don de l'Esprit-Saint, une chance pour l'Église. Celle-ci, certes, dans les années qui ont suivi, a connu une crise importante, mais le concile n'en est pas responsable”. Le président de la conférence épiscopale identifie les mutations profondes du monde sécularisé pour explication. ”Elle est le contrecoup des profonds changements qui ont secoué nos sociétés occidentales. De nombreux évêques ajoutent : heureusement qu'il y a eu le concile pour surmonter la tempête !” Et le président de concéder des excès à la tendance traditionaliste du catholicisme. ”Il est vrai que, dans l'application de Vatican II, on est souvent allé vite, sans toujours donner les explications nécessaires, en matière de liturgie, par exemple. Mais les ”bavures” ne doivent pas masquer les fruits du concile : approfondissement de la foi, engagement des chrétiens - la France compte 220 000 catéchistes - groupes de prières, renouveau spirituel” 556 .

L'évêque de Lille fait alors valoir la revivification du centre de l'Église par ses marges. Telle assertion pourrait alors confirmer l'hypothèse de Martine Cohen selon laquelle la mouvance charismatique s'impose comme pierre angulaire d'une redéfinition des rapports entre évêques et laïcs 557 . Les mouvements d'action catholique n'en demeurent pas moins actifs dans la recomposition du catholicisme français. Ainsi dix mouvements catholiques français - parmi lesquels le M.R.J.C., Vie nouvelle, des groupes d'action catholique en milieux sanitaires et sociaux, ruraux, enseignant, catéchétique - adressent le 22 octobre 1985 une lettre aux évêques français pour regretter l'attitude peu respectueuse de Rome quant à la ”légitime autonomie des Églises particulières”. Les signataires évoquent alors pêle-mêle, les problèmes de la catéchèse en France, les difficultés de l'Église de Hollande, les mesures prises à l'encontre des théologiens de la libération et ”les entraves mises à la présence au monde de certains ordres religieux, masculins et féminins”.

Par ce soutien tacite à l'épiscopat, l'action catholique satisfait à une logique du consensus unanimiste. Ce ralliement tardif aux conditions exigées par les autorités ecclésiales postconciliaire intervient à rebours de l'émergence identifiée d'un nouveau type de consensus, de type ”conflictuel”, qui fait de la tension un principe de ”créativité institutionnelle”. La lecture d'Église en Poitou évoquant la controverse autour de l'Entretien sur la foi deux mois avant le synode tend à confirmer cette révolution du catholicisme. ”Que les évêques ne soient pas d'accord avec une interprétation chagrine des suites du concile, c'est leur droit, et il y faut du courage : celui qui comporte le risque de déplaire. Les uns et les autres témoignent à leur manière, et suivant leur charisme, de la santé de l'Église actuelle. Une molle unanimité - fut-elle épiscopale - serait autrement inquiétante.” 558 .

La mobilisation de l'action catholique à l'occasion du synode extraordinaire marque la réconciliation des mouvements avec l'Église institutionnelle. Or cette reconnaissance de l'autorité épiscopale par la périphérie intervient alors que les évêques français érigent Lumen Gentium et Gaudium et Spes comme fondations de l'édifice conciliaire. Ces initiatives concomitantes tendent à concilier l'identité de l'Église et son mode de présence au monde. Ainsi, l'épiscopat français peut-il espérer refaire l'unité d'une Église aux options et orientations diverses depuis un catholicisme militant et une démarche attestataire. L'archevêque de Toulouse relevant que ”beaucoup ne connaissent du concile que des réformes extérieures, dont l'esprit est insuffisamment perçu”, Henri Tincq voit dans le synode l'occasion de refonder l'union de l'Église de France 559 .

Notes
556.

Mgr Vilnet , ”Le Synode”, Bulletin de l'Association nationale de la Presse catholique de Province, 22 novembre 1985

557.

Martine Cohen, ”Vers de nouveaux rapports avec l'institution ecclésiastique : l'exemple du Renouveau Charismatique en France”, Archives des sciences sociales des religions, 62-1, juillet septembre 1986

558.

Abbé de Ligugé, ”Le R.P. Abbé de Ligugé parle du Concile”, Église en Poitou, n°32, 28 septembre 1985

559.

Henri Tincq, ”Les évêques français entendent défendre les acquis de Vatican II”, Le Monde, 1985