Des nouvelles perspectives missionnaires à la nouvelle évangélisation

De retour de Rome, Mgr Vilnet ne nie pas les difficultés. ”Apparaissaient, bien sûr, les difficultés rencontrées pour mettre en application le concile, aussi bien en raison du peu de temps qui nous en sépare (vingt ans, un délai si court pour une pleine conversion intérieure !), que des problèmes soulevés par la crise de société (celles des pays développés) ou par la pauvreté et l'endettement de pays immenses, et par le manque de liberté de ces Églises plus nombreuses que nous n'en avons conscience, qui vivent sous l'oppression le mystère de la croix” 560 .

Dans les colonnes de son bulletin diocésain du 18 décembre 1985, Mgr Matagrin se livre à l'exercice de la synthèse. Dans un commentaire de trois pages, l'évêque de Grenoble concède qu'à la veille du synode chacun était en droit de s'interroger si les pères synodaux n'allaient pas freiner la mise en œuvre de Vatican II, voire le remettre totalement en cause. L'évêque de Grenoble ressaisit alors ce que furent les intuitions et réalisation du concile. Le père Matagrin insiste notamment sur le passage d'une ”Église-société” à une ”Église-Mystère, Corps du Christ”, sur la fin d'une Église exclusivement cléricale pour une plus grande répartition des responsabilités ainsi que l'ouverture du dialogue interreligieux. A l'écoute de la frange anti-conciliaire de l'Église, Mgr Matagrin tente une nouvelle fois de ramener à sa juste place la responsabilité de l'Église dans les difficultés du monde occidental. ”Les bouleversements très profonds dans la société et dans la culture qui ont commencé dans les années 1960. Étant donné que ces bouleversements, à travers les média, atteignent tout le monde, il eût fallu que l'ensemble du peuple chrétien ait une formation spirituelle et théologique plus solide que celle qui lui avait été donnée”, nuance-t-il 561 . L'âge d'or de la vie intellectuelle catholique en France entre les années 1930-1960 intervient alors en contre point, concédant son caractère trop exclusivement élitiste. Telle concession confirme d'ailleurs l'intuition de Mgr Matagrin selon laquelle l'Église ne se révélera que dans sa capacité à réaliser pleinement la théologie du ”peuple de Dieu”.

Pour sa part, Mgr Saudreau opte pour l'organisation d'un cycle de quatre conférences autour du thème ”Dans l'élan du concile, l'Église au cœur du monde”. C'est alors l'occasion pour le cardinal Marty d'intervenir sur ”l'expérience de l'Église vécue au concile” lors de la conférence inaugurale. Comme en préliminaire à la réflexion diocésaine, l'évêque du Havre veut prévenir toute dissension qui pourrait se faire jour entre les diverses sensibilités de l'Église. Évoquant le désenchantement consécutif aux espérances placées dans le concile, le père Saudreau suggère que ”c'est peut-être maintenant le temps de la lucidité et du réalisme pour vivre les intuitions du concile malgré la difficulté de la tâche et les résistances inévitables” 562 .

A Autun, Mgr Gaidon insiste sur le vocabulaire utilisé au fil du rapport synodal : ”mystère”, ”intériorisation spirituelle”, ”théologie de la Croix”, ”sainteté”, ”communion” constituent l'ossature du document. L'évêque auxiliaire d'Autun en convient : chacun de ces termes sont susceptibles d'annoncer une Église qui se détourne du monde. ”Alors que dire de tout cela ? Recentrage, restauration, retour en arrière, fuite en avant… ”, s'interroge-t-il 563 . C'est ici qu'intervient, dans son esprit, la responsabilité personnelle de l'évêque pour libérer l'élan insufflé au concile. Or pour Mgr Jullien, l'évêque a pour première tâche, une mission enseignante. L'évêque a l'impératif de stimuler ”un effort de réappropriation des grands textes conciliaires dans les années qui viennent par toutes les instances de formation” 564 .

C'est précisément sur le vocabulaire que L'actualité religieuse dans le monde s'interroge en citant l'éditorialiste du New York Times, Peter Steinfels relevant la large place faite au ”mystère” auquel font régulièrement appel les conservateurs pour ”sauvegarder les formes courantes de l'organisation ecclésiastique des critiques, lesquelles étaient déboutées comme analyses sociologiques ou politiques. L'Église semblait ne pouvoir être évoquée que comme une colonne de nuée le jour et de feu la nuit. Pourtant, parmi ceux qui sont habitués aux fins de non-recevoir de l'autorité romaine, beaucoup songeraient plutôt à l'image de l'écran de fumée. Le Mystère peut devenir mystification” 565 .

Face à l'unanimisme qu'affichent les évêques au sortir du Synode romain, Jean-Pierre Manigne livre une analyse nuancée du processus. Si les derniers espoirs des traditionalistes de voir le concile Vatican II désavoué se sont envolés, ce sont les deux adresses des évêques à Rome concernant la définition du principe de ”subsidiarité” 566 et du concept de ”conférence épiscopale” 567 qui préoccupent le journaliste de L'actualité religieuse dans le monde. Dans Témoignage Chrétien, le père Chenu émet ses réserves. La référence au mystère de l'Église ne doit pas servir de lieu d'évasion pour évacuer la question du type d'organisation” 568 . Et le théologien d'insister : ”la foi n'a à être ni béate ni triomphaliste, elle doit travailler l'histoire. Or j'ai l'impression que, dans ce synode, un certain nombre d'évêques n'aimaient pas le monde et s'en retournaient alors vers une fausse sécurité spiritualiste et désincarnée” 569 .

Pourtant, Mgr Balland refuse de voir au terme du synode l'expression d'un recentrage pour préférer évoquer un décentrage d'une Église qui, par un recentrage sur le mystère de la Croix abandonne le débat institutionnel pour une démarche plus théologique 570 . Pour leur part, les Etudes identifient deux tendances au sein de l'assemblée synodale 571 :

‘Deux sensibilités s'affirment ici. La première, plus attentive aux exigences spirituelles, aux appels de nos contemporains en quête d'une vie spirituelle véritable, et peut-être de sainteté, sans le savoir… Il a beaucoup été question dans ce synode de l'appel à la sainteté. Mais ces mêmes hommes sont moins attentifs au visage concret que l'Église présente au monde. Pour eux, la lumière du Christ doit se refléter sur le visage de l'Église pour illuminer le monde.
Les seconds sont plus conscients que l'aspiration des hommes d'aujourd'hui à prendre en main leurs propres affaires est aussi un signe des temps, une marque du travail de l'Esprit. Il ne convient pas d'y dénoncer trop vite une contamination par l'esprit démocratique.
La synthèse, au terme des travaux privilégie nettement la première tendance. On a parlé de mystère plus que de ministères, davantage d'approfondissement théologique et spirituel que d'organisation. La conversion du cœur est le préalable nécessaire à toute réforme de structures renvoyée à plus tard.’

Quelques semaines après la clôture du synode, le secrétariat de l'épiscopat regrette le peu de cas fait par les médias français de la quarantaine d'interventions épiscopales relatives à l'événement 572 . Le Snop reprend, par ailleurs, l'éditorial du père de Charentay dans les Cahiers de l'Actualité religieuse et sociale du 15 décembre 1985 dénonçant l'attitude du Figaro-Magazine à l'encontre des évêques français affublés du sobriquet de ”communisants” en contraste avec l'orthodoxie papale 573 . Au ”tableau déprimant et polémique que dresse le Figaro-Magazine”, le journaliste et la conférence des évêques de France par la même, oppose l'unité affichée par l'épiscopat français lors de son assemblée plénière de 1985. Le secrétariat national de l'épiscopat dénonce alors l'usurpation ” du langage et la structure de l'Église au service des vues partisanes” d'un journal d'opinion.

Pour sa part, Mgr Rabine s'interroge le 7 janvier 1986 sur l'état religieux de l'Europe au lendemain du sixième symposium des évêques d'Europe lors de l'élargissement le 1er janvier 1986. Au filtre de cette géopolitique du religieux, l'évêque de Cahors dresse un constat pessimiste de la situation du catholicisme en s'appuyant sur les études de Jean Stoetzel 574 d'une part et de Gérard Defois 575 d'autre part 576 :

‘Si certaines valeurs chrétiennes ou christianisées subsistent dans la conscience, elles survivent à la manière de blocs erratiques de glace, flottant au gré des océans, après s'être détachés de la banquise polaire. Ces valeurs ne vont-elles pas fondre progressivement dans les flots tièdes d'une sécularisation croissante ? ’

La génération charnière des trentenaires constitue un défi pour l'Église en matière de transmission de la foi. Tandis que les Églises subissent la loi du marché pour n'être réduites qu'à des prestations de sacrement, Mgr Rabine croit déceler une lueur d'espoir dans la réhabilitation de la famille comme valeur essentielle pour les Européens. Au terme du constat, l'évêque rappelle l'expression forgée par Jean-Paul II de ”seconde évangélisation de l'Europe” et s'attache à proposer des pistes pour accomplir le dessein papal tout à la fois imprégné de la figure du Christ et de l'effusion de l'esprit.

Au lendemain de la réunion romaine, Paul Ladrière évoque ”une deuxième période postconciliaire dans le catholicisme” au terme d’une étude comparative des rapports préparatoires publiés par certains épiscopats et le document final du synode 577 . Des écarts sensibles sont ainsi mis en lumière, notamment concernant le dialogue au monde. ”Le catholicisme officiel est très résolument entré dans une phase privilégiant ce qui l’ancrait en profondeur à la configuration historique de la Contre-Réforme” 578 .

Notes
560.

Mgr Vilnet , ”Le Synode”, Snop, n°609, 18 décembre 1985

561.

Mgr Matagrin , ”8 décembre 1965 - 8 décembre 1985”, Église à Grenoble, n°8, 18 décembre 1985

562.

Mgr Saudreau , ”XXème anniversaire de Vatican II à la cathédrale du Havre”, Rouen - Le Havre, n°22, 27 décembre 1985

563.

Mgr Gaidon, ”Redécouvrir Vatican II ”, Bulletin diocésain d'Autun, n°1, 10 janvier 1986

564.

Mgr Jullien , ”Synode : un bout de chemin ensemble”, Bulletin diocésain de Rennes, n°1, 08 janvier 1986

565.

Jean-Pierre Manigne, ”Docteurs tant mieux, docteurs tant pis”, L'actualité religieuse dans le monde, n°30, 15 janvier 1986

566.

”Est recommandée une étude pour examiner si le principe de solidarité en vigueur dans la société humaine peut être appliqué à l'Église, et dans quelle mesure comme dans quel sens l'application pourrait ou devrait être faite”, Document final du Synode.

567.

”Puisque les conférences épiscopales sont particulièrement utiles, voire nécessaires, dans le travail pastoral aujourd'hui de l'Église, on souhaite l'étude de leurs 'statuts' théologiques pour qu'en particulier la question de leur autorité soit plus clairement et plus profondément explicitée, compte tenu de ce qui est écrit dans le décret conciliaire Christus Dominus n°38 et dans le Code de droit canonique, can. 447 et 753”, Document final du Synode.

568.

Témoignage Chrétien, 16 décembre 1985

569.

Ibid

570.

Mgr Balland, ”Lumière pour notre temps”, Bulletin diocésain de Dijon, n°261, 10 janvier 1986

571.

Joseph Thomas, ”Synode 1985”, Etudes, 3645, janvier 1986, pp. 107-108

572.

Mgr Maziers, ”Vingt ans après le Concile : par l'Église, accueillir Jésus-Christ et vivre davantage de Lui et par Lui”, Église de Bordeaux, n°45, décembre 1985 ; Mgr Bardonne ”Vingt ans après le Concile”, Église de Châlons, n°22, décembre 1985 ; Mgr Abele, ”Vingt ans après le Concile ”, Église de Dignes, n°12, décembre 1985 ; Mgr Billé, ”Vivre le Concile en Mayenne dans des temps nouveaux”, Église de Laval, n°534, décembre 1985 ; Mgr Lustiger, ”Le sens du Synode”, Dialogue, n°371, décembre 1985 ; Mgrs Badré, Bernard & P. Cancouet, ”Le Concile Vatican II, vingt après : témoignage de trois participants”, Bulletin diocésain de Bayeux, n°1, décembre 1985 ; Mgr Coffy, ”Vatican II, vingt ans après…”, Église aujourd'hui à Marseille, n°1, décembre 1985 ; Mgr Ménager, ”Noël et le Synode”, Bulletin diocésain de Reims, n°867, décembre 1985 ; Mgr Boillon, ”Vingt ans après Vatican II”, Bulletin diocésain de Verdun, n°22, décembre 1985 ;

573.

P. de Charentay, ”Éditorial”, Cahiers de l'Actualité religieuse et sociale, 15 décembre 1985

574.

Jean Stoetzel, Les valeurs du temps présent, une enquête européenne, Paris, P.U.F., 1983

575.

Gérard Defois, L'Europe et ses valeurs, Paris, Centurion, 1983

576.

Mgr Rabine, ”Réévangéliser l'Europe”, Bulletin diocésain de Cahors, n°2, 19 janvier 1986

577.

Paul Ladrière, ”Le catholicisme ente deux interprétations du concile Vatican II. Le synode extraordinaire de 1985”, Archives de sciences sociales des religions, 62/1, juillet-septembre 1986, pp. 9-51

578.

Ibid