Doctrine : un épiscopat sous contrôle romain

Prenant acte, l'épiscopat français consacre une partie des travaux de son assemblée de Lourdes d'octobre 1985 au sujet. ”Les évêques ont ressenti, en effet, au cours de leur visite pastorale, l'importance d'avoir des points de repère manifestes pour la foi catholique”, avance le père Stanislas Lalanne, directeur du centre national de l'enseignement religieux (CNER) 579 . Le principe d'un catéchisme national est adopté. Il n'est pas question, pour autant, de remiser l'ensemble des documents catéchétiques travaillés depuis 1979 à l'adresse des enfants. Le document à venir doit s'adresser exclusivement aux adultes. ”Il s'agit d'un texte de portée magistérielle”, souligne le père Lalanne. Ce faisant, ”il doit être soumis à l'approbation de Rome”, souligne le directeur du CNER.

Au cours de sa réunion des 9-11 décembre 1985, le conseil permanent décide la constitution d'un groupe de travail sous la responsabilité de la commission épiscopale de l'enseignement religieux pour suivre la rédaction de ”l'exposé organique et complet de la foi”. Le président de la commission doit par ailleurs rencontrer les auteurs de ”parcours” pour étudier avec eux les améliorations à apporter à leurs ouvrages afin de répondre à la première demande de l'assemblée plénière de l'épiscopat français ”que soient mis en valeur les éléments du contenu doctrinal de leur parcours, pris dans son ensemble, en les structurant dans un exposé organique et complet de la foi” 580 .

En février 1986, les Cahiers publient un article sur la transmission de la foi. Le père René Marlé, ancien directeur de l'institut supérieur de pastorale catéchétique, tente d'y ressaisir les débats catéchétiques. Certes il existe ”un ”déséquilibre désolant par rapport à la culture profane”, mais la défaillance n'est pas le fait du catéchisme officiel. Les traditionalistes déplorent la seule mise en valeur de la forme au détriment du fond. Ils sont pourtant les premiers à user ”le plus souvent de ”formules”, c'est à dire finalement de ”formes”, qui peuvent, pour le moins, rester vide” 581 .

Quelque mois après, une commission se met en place afin de rédiger un ”projet de catéchisme”, selon l'Osservatore Romano du 11 juin 1986. Celle-ci est composée de douze cardinaux et évêques de la Curie, des Églises locales et du secrétariat du synode sous la présidence de Mgr Ratzinger. Au cours d'une réunion de prière du Sacré-Collège et des collaborateurs de la Curie, Jean-Paul II annonce le 28 juin 1986 que le catéchisme universel doit être publié pour le vingt-cinquième anniversaire du concile. A cette occasion, le pape rappelle que cette initiative répond au souci d'une ”plus grande clarté et sûreté doctrinale pour mettre fin à des enseignements ou interprétations de la foi ou de la morale, non concordants entre eux ou avec le magistère universel” 582 .

Poursuivant son allocution, le souverain pontife évoque la question du statut théologique des conférences épiscopales. Jean-Paul II se fait alors plus évasif. ”Elles sont devenues, ces dernières années, une réalité concrète, vive et efficace dans toutes les régions du monde. Le synode a souhaité que soit approfondie l'étude théologique des conférences épiscopales et surtout de leurs tâches doctrinales” 583 . Charge au secrétariat du synode de définir la pertinence du concept de ”subsidiarité”.

Le 20 mars 1987, le pape s'adresse aux évêques français de la région Centre-Est venus à Rome effectuer leur visite ad limina. Après avoir entendu le rapport de Mgr Didier-Léon Marchand, évêque de Valence et président de la région apostolique, évoquant la France en situation de mission et non pas de chrétienté, le pape insiste sur la nécessité de ”libérer les pauvres de l'ignorance religieuse” 584 . Il s'agit alors pour Jean-Paul II de valoriser la pastorale de l'intelligence à travers des moyens catéchétiques mais également la rencontre des milieux intellectuels, universitaires et scientifiques. Évoquant la catéchèse, le souverain pontife indique qu'il ne faut ”pas sacraliser une méthode qui est de l'ordre des moyens”. Il n'en demeure pas moins que les 200 000 catéchistes français et leurs évêques continuent de s'interroger sur la pertinence d'un projet d'exposé complet organique de la foi.

La rencontre nationale de catéchèse réunie à Angers les 21 et 22 juin 1987 est l'occasion pour 350 laïcs engagés au service du catéchisme de dialoguer avec la commission de l'enseignement religieux. Mgrs Plateau, Billé, Bardonne, Saint-Macary participent à la manifestation. Ainsi, Mgr Billé insiste-t-il pour rappeler que le texte de référence voté lors de l'assemblée de Lourdes de 1979 ”demeure la charte de la catéchèse en France” 585 . ”C'est le seul document de la conférence épiscopale qui s'impose à chaque évêque”, insiste-t-il en faisant valoir qu'il y ”n'y a pas actuellement de processus - officiel ou clandestin - engagé pour la mise en place de nouveaux dispositifs catéchétiques” 586 . Outre ces questions enracinées dans les polémiques suscitées par les conférences du cardinal Ratzinger, les catéchistes s'interrogent sur la pertinence d'un traité organique de la foi. ”A quoi bon se lancer dans cette entreprise alors que précisément, nous nous heurtons à un mur d'indifférence ?”, interpelle l'un des participants 587 . Dans La Croix, Dominique Quinio rapporte que le président de la commission ne fait pas mystère d'une main vaticane derrière l'entreprise. ”Bien certainement, répondit Mgr Plateau, cet exposé ne résoudra pas tout. Mais si c'est essentiellement parce que Rome le demandait que les évêques se sont lancés dans l'entreprise, c'est aussi parce que les pasteurs qu'ils sont ont constaté que beaucoup de catéchistes de base avaient besoin de points de repères doctrinaux”, écrit la journaliste 588 .

Dans leur double numéro juillet-août 1987, les Etudes s'étonnent que le souhait minoritaire du synode de 1977 soit devenu une proposition ferme huit ans après dans la même instance synodale. ”Dans les rapports préliminaires, envoyés par les conférences épiscopales, la demande d'un catéchisme universel est très minoritaire ; en tout cas, elle n'est pas reprise, ni mentionnée, dans le rapport initial du cardinal Danneels, qui synthétise les rapports préparatoires”, relève Gilbert Adler dubitatif. Et l'auteur de continuer de s'étonner que le rapport final occulte la dénomination compendium au profit du seul terme ”catéchisme”. Au carrefour de plusieurs exigences - affirmation de Vatican II, définition doctrinale de la foi et de la morale, juguler le ”laxisme moral” ambiant, besoin de vigueur doctrinale -, le catéchisme universel tel qu'il est envisagé par le document final du synode offre des contours très flous. Or tandis que le rapport initial stipulait que ”les déficiences postconciliaires ne peuvent être traitées par des mesures d'avant le concile”, Gilbert Adler relève que la tentation tridentine est forte. ”Avec le recul du temps, le modèle tridentin a de quoi fasciner un évêque contemporain, à condition de ne pas oublier les catéchismes qui en constituent la descendance”.

Notes
579.

Anne Ponce, ”Itinéraire chaotique d'un catéchisme”, La Croix, 26 octobre 1989

580.

Anonyme, ”Catéchèse”, Snop, n°609, 18 décembre 1985

581.

René Marlé, ”La transmission de la foi”, Cahiers de l'actualité religieuse et sociale, 324, 15 février 1986

582.

Georges Mattia, ”Le catéchisme universel prêt en 1990”, La Croix, 1er juillet 1986

583.

Ibid

584.

Alexandra Viatteau, ”Catéchèse : la grande mission d'aujourd'hui”, La Croix, 24 mars 1987

585.

Dominique Quinio, ”Indifférence et différence”, La Croix, 23 juin 1987

586.

Ibid

587.

Ibid

588.

Ibid