Individu et modernité, mutations missionnaires

Or, l'assemblée de Lourdes de 1985 opère un bilan rapide des perspectives missionnaires. Mgr Vilnet salue, dans son discours de clôture, ”la somme d'effort”, ”la mobilisation quasi permanente”, ”l'éventail impressionnant des tâches d'animation ecclésiale” ayant cours dans les diocèses ⁶⁰⁶ . Reste que pour Yves de Gentil-Baichis, bilan ne vaut pas perspectives. ”Une fois l'identité fortement réaffirmée, que peuvent faire concrètement les évêques ?”, s'interroge-t-il ⁶⁰⁷ . Reste qu'au lendemain du synode romain, l'épiscopat français réitère sa volonté de mener la mission dans un dialogue optimiste avec la modernité. ”Devant cet univers surprenant, les évêques ne se reculent pas, effrayés”, poursuit le journaliste ⁶⁰⁸ . A cet égard, les mouvements d'action catholique apparaissent comme dépositaires d'un pan entier de la mémoire de l'Église de France. Le président de la conférence épiscopale n'hésite pas à affirmer une reconnaissance de dette concernant sa capacité à entretenir l'utopie communautaire ⁶⁰⁹ :

‘Sans doute l'heure est-elle venue de vérifier mieux encore la cohérence de nos projets pour la mission. Les chrétiens ne peuvent déserter le champ de la vie sociale. Encore moins encore lorsque survient le reflux des engagements lorsque se défont les solidarités… Les mouvements apostoliques, enracinés dans la longue histoire de l'action catholique, conservent non seulement toute leur raison d'être, mais doivent pourvoir, comme en un second souffle, s'avancer, dans le temps qui vient, jusqu'aux frontières de l'évangélisation.’

Outre le synode extraordinaire, Lourdes 1985 intervient tandis que paraît La pensée 68 de Luc Ferry et Alain Renaut ⁶¹⁰ . Engagé dans une généalogie des penseurs de 1968, les deux animateurs du collège de philosophie condamnent les Deleuze, Lacan, Bourdieu, Foucauld et Derrida pour avoir mené la philosophie à son abîme. Or il apparaît que cet ouvrage est déterminant pour Mgr Matagrin dans son dialogue avec la modernité. La critique de l'élan soixante-huitard foisonne également dans les écrits de Mgr Jullien qui s'insurge contre ”les champions de la liberté absolue” qui favorisent des réflexes de mort ⁶¹¹ . Outre l'évêque de Grenoble et son homologue rennais, cette rétrospective critique de l'événement 1968 et ses conséquences semble trouver un écho favorable chez les catholiques français. Ainsi, Alain Renaut prête-t-il sa plume régulièrement au journal La Croix à partir de 1987.

Réuni à Paris, les 10, 11 et 12 mars 1986, le conseil permanent propose un examen critique du synode extraordinaire de 1985. Il apparaît aux évêques français qu'un tel bilan, vingt après la fin du concile, permet de repenser la présence de l'Église au monde par-delà l'opposition entre démarches identitaire et d'enfouissement. ”L'Église redécouvre à la fois l'effort d'évangélisation et l'importance de la sanctification des personnes”, relève La Croix ⁶¹² . A cette occasion, Yves de Gentil-Baichis retient une double préoccupation de l'épiscopat ⁶¹³ :

‘De nombreuses personnes ont une conscience évangélique profonde, mais elles ne se retrouvent dans aucune forme d'Église. D'autre part, quand on parle du retour du sacré et du religieux chez les jeunes, que fait-on pour leur évangélisation ?’

Or, pour le mariste Jacques Arfeuillère qui intervient dans le forum de La Croix, il semble difficile de mettre en œuvre une réelle dynamique missionnaire dans le droit fil du synode. ”Les vrais bénéficiaires du synode étaient, à n'en pas douter, les évêques venus du monde entier, qui ont vécu ce grand moment d'Église”, relève-t-il ⁶¹⁴ . Charge aux évêques de donner corps aux ”affirmations abstraites” du synode pour les diffuser et les partager avec l'ensemble du peuple de Dieu.