Lourdes 1986 en attendant le synode romain : laïcs ou baptisés ?

”Voici bientôt vingt ans, notre conférence définissait, dans la foulée de Vatican II, les ”exigences de la présence missionnaire de l'Église en France” (1967). En 1981, conscients des changements intervenus dans la société et dans la vie de l'Église, nous nous sommes donnés à nouveau des repères et convictions pour la mission”, déclare Mgr Vilnet devant l'épiscopat réuni en assemblée plénière du 24 au 30 octobre 1986 654 . Dès son discours d'ouverture, le président de la conférence épiscopale relie l'actualité du synode romain à venir avec les enjeux contenus dans l'impératif missionnaire de l'Église.

Or, à mi-chemin entre les perspectives missionnaires et la préparation du synode romain sur les laïcs, Mgr Coffy s'interroge sur la pertinence de l'appellation laïc pour définir la théologie du peuple de Dieu. ”En s'occupant de la place et du rôle des laïcs en son sein et dans le monde, l'Église ne donne-t-elle pas l'image d'une société religieuse qui se regarde, dénombre ses membres et mobilise ses troupes (…) alors qu'elle doit se définir par le Seigneur qui l'appelle et qui l'envoie ?” 655 . Cette question trouverait alors sa résolution dans la substitution du terme de ”baptisé” à celui de ”laïc”. Cette proposition ne fait pas l'unanimité dans l'Église. Pour Didier Niel, secrétaire national de l'ACO, l'appellation ”baptisé” est problématique. ”Je ne la refuse pas, mais j'ai peur que cette notion individualise à l'extrême des groupes humains qui se définissent aussi par leurs particularités culturelles ou par leurs appartenances sociales” 656 .

Mgr Bouchex reste dubitatif. ”Je ne sais pas si il faut supprimer le mot de laïc alors même qu'il appartient à la langue universelle”, déclare-t-il 657 . Finalement, les débats de l'assemblée prennent un tour désordonné. Au-delà de la mauvaise coordination du dossier, Gwendoline Jarczyk y voit la manifestation d'un fait fondamental : ”à réalité nouvelle, à situation nouvelle, ne correspond pas encore une théologie appropriée” 658 . Une nouvelle fois, la discussion dévie sur la dichotomie Église - monde avec notamment les interventions de Mgrs Gilson et Orchampt. ”Église - monde à partir de quel point de vue ?”, s'interroge ce dernier. D'une Église rassemblée capable de susciter un certain optimisme en regard du monde, ou bien d'une Église qui découvre qu'elle ne connaît pas le monde alors même qu'elle pensait le cerner ?” 659 .

Tandis que les débats s’enlisent, le père Decourtray propose de ressaisir les notions clefs du débat. Et l'archevêque de Lyon d'évoquer le statut du laïc en termes de pouvoir. ”Avons-nous peur du mot, de la chose ?”, s'interroge-t-il alors 660 . Envoyée spéciale pour La Croix, Gwendoline Jarczyk semble sur sa faim au terme des débats. ”On est en droit de se demander si, peu à peu, ne s'est pas imposée la question de la ”mission” proprement dite au détriment de celle portant directement sur les laïcs, et qui, on l'a vu, suscite bon nombre de difficultés, de tâtonnements et de désaccords”, conclut la journaliste 661 .

Interrogé par La Croix, Mgr Lacrampe justifie les difficultés de l'assemblée par la faible tradition théologique de l'Église concernant les laïcs et leur place dans l'Église 662 . Pour Yves de Gentil-Baichis, les interventions des laïcs invités à participer aux débats ont participé à la cacophonie. ”Certaines déclarations de laïcs n'ont pas enthousiasmé non plus les évêques. Non par leur caractère subversif - aucune ne l'était - mais parce que longues et préparées d'avance, elles ne s'intégraient guère au débat. Elles arrivaient comme des ”cheveux sur la soupe””, note-t-il 663 . Dans L'actualité religieuse dans le monde, la sortie de l'ouvrage collectif Printemps d'Église : aujourd'hui les laïcs 664 , est l'occasion de s'interroger sur la pertinence de ”la méthode en vigueur qui consiste à accumuler les interventions successives” 665 . Pour Janine Feller, celle-ci ”ne semble pas la plus efficace” 666 :

‘Les laïcs font remonter les vœux de leur base, ils expliquent qui ils sont, c'est à dire des partenaires qui veulent être ”reconnus à part entière”, ”traités en adultes responsables”. Des vœux pieux ? En fait, cette expérience leur apprend à s'insérer dans une instance épiscopale où ils apportent ce qu'ils sont et notamment leur langage concret qui tranche souvent dans ce haut lieu, même si les mouvements peuvent avoir leur langue de bois.’

A la fin du mois de novembre, le bulletin diocésain de Marseille publie un article de Mgr Coffy. A cette occasion, celui-ci reconnaît que les débats de l'assemblée plénière 1986 ont été pour le moins brouillon concernant ”la vocation et la mission des laïcs dans l'Église et le monde”. L'aveu formulé, Mgr Coffy tente cependant de ressaisir les éléments qui conduisent la réflexion épiscopale sur le sujet 667 . Ainsi un questionnement du laïcat ne peut faire l'économie d'un détour par la définition du ministère ordonné et l'état religieux. L'archevêque inscrit la problématique dans le mouvement historique de sécularisation des sociétés occidentales. Celui-ci se manifeste selon deux facteurs qui ”retentissent sur les relations entre les membres de l'Église : la généralisation de la conscience démocratique et la montée de l'individualisme qu'il serait plus juste d'appeler montée de l'individualisation. Ce dernier phénomène se caractérise par le primat donné à l'individu sur le collectif, par une défiance vis-à-vis de l'institution et par la revendication du droit à la différence” 668 .

L'archevêque de Marseille voit donc l'Église travaillée par la modernité selon une double dynamique contre-hétéronomique et anti-communautaire. En référence à Lumen Gentium, ”on ne peut dire l'originalité de la condition du laïc qu'en la situant dans le peuple de Dieu et en notant son rapport au ministère ordonné et à l'état religieux” 669 . Et d'ajouter que c'est la synthèse des travaux qui est éclairante, non l'analyse.

De fait, l'épiscopat opte pour le terme baptisé. En janvier 1987, le président de la conférence épiscopale attire l'attention des catholiques sur un dossier de la revue Fêtes et saisons consacré au synode à venir sur les laïcs. Cette publication qui réunit notamment les plumes des pères Régnier et Piétri, tous deux du secrétariat de l'épiscopat, porte l'intitulé ”nous les baptisés” 670 . Outre l'analyse historique du sujet, cette réflexion reprend les points litigieux intéressants les laïcs : le désir de reconnaissance, le débat laïcs-prêtres, la place de la femme et la question des ministères.

Pour l'épiscopat français, le synode romain s'annonce sous les meilleurs auspices. Les controverses nouées autour de la catéchèse, les inquiétudes nourries lors du synode extraordinaire de 1985 semblent dépassées. ”Les relations avec Rome sont au zénith”, jubile Georges Mattia dans La Croix pour la clôture de la visite ad limina des évêques de la région apostolique du Centre 671 . Mgr Picandet déclare au Pape que son diocèse est parvenu à susciter un nouveau dynamisme avec une mise en relation affirmée des mouvements de jeunes. ”Une véritable conversion des mentalités” s'est opérée affirme l'évêque d'Orléans pour qui le congrès eucharistique international de Lourdes de 1981 constitue l'événement fondateur. La préparation de la visite ad limina a également révélé l'impact de la visite du Pape en France sur le tissu ecclésial français. Mgrs Streiff, Plateau et Ernoult insistent sur la dynamique constituée pour l'événement tandis que le père Goupy établit un parallèle avec le renouveau du MEJ, des Focorali et des groupes charismatiques dans son diocèse de Blois.

L'enthousiasme épiscopal n'est cependant pas contagieux à l'ensemble des acteurs ecclésiaux. Ainsi, le théologien lyonnais, Henri Bourgeois s'interroge sur la mise en œuvre réelle de la théologie du peuple de Dieu par l'Église de France et la pertinence du couple ministères – baptisés. Il apparaît que cette dernière se trouve à la croisée des chemins 672 :

‘Aujourd'hui, il y a deux grandes représentations de la vie ecclésiale. On voit d'un côté, la vie interne, faite de catéchèse, de célébrations liturgiques, de règlements intérieurs, et de l'autre une vie tournée vers le monde et qui serait la mission et l'évangélisation.
Ce binôme, qui a eu son intérêt, commence à agacer des prêtres, des laïcs et des évêques car on ne peut séparer ces deux dimensions.
Je sens une certaine insatisfaction quand on dit que la mission des laïcs est d'être dans le monde. Cela voudrait dire à la fois que la vocation des clercs est de rester dans leurs églises et que les laïcs n'ont pas trop à s'occuper des choses d'Église. Or, tout chrétien, qu'il soit prêtre ou laïc, est d'abord un baptisé.’

De son côté, Philippe Warnier interpelle les évêques français sur le fait que la convocation du synode romain sur les laïcs rend de plus en plus aigu le problème de définition du catholique en France. Il en appelle alors à une ”prise de conscience” : ”L'urgence la plus grande, aujourd'hui, me semble donc être de construire, au plan local, des communautés suffisamment vastes pour toucher un éventail large des différents groupes chrétiens, des différentes sensibilités ecclésiales, et pour permettre à la fois l'échange et la confrontation entre ces groupes” 673 .

Au plan diocésain, Mgr Rousset convoque les 55 permanents laïcs de son diocèse stéphanois en juillet 1987. Lui même animateur des aumôneries locales, Vincent Berthet soumet à La Croix un compte-rendu des deux journées organisées autour de l'événement. Il souligne ainsi que ”se renforce, concrètement et dans les mentalités de l'Église diocésaine, la conviction que la distinction entre le rôle des prêtres et celui des laïcs ne se traduit pas par une différenciation des tâches dévolues aux uns et aux autres. A preuve, l'emploi de plus en plus fréquent, dans les services où les laïcs responsables sont nombreux, de l'expression ”permanents-prêtres”” 674 .

Notes
654.

DC, 1929, 7 décembre 1986, page 1091

655.

Bernard Stephan, ”Les laïcs n'existent plus”, Témoignage chrétien, 2254, 21 septembre 1987

656.

Ibid

657.

Gwendoline Jarczyk, ”Un débat hésitant sur le rôle des laïcs”, La Croix, 29 octobre 1986

658.

Ibid

659.

Gwendoline Jarczyk, ”La mission des laïcs : un vaste chantier”, La Croix, 30 octobre 1986

660.

Ibid

661.

Ibid

662.

Yves de Gentil-Baichis, ”La concurrence prêtres-laïcs n'a plus de raison d'être”, La Croix, 30 octobre 1986

663.

Yves de Gentil-Baichis, ”Heureux mais déconcertés”, La Croix, 30 octobre 1986

664.

Marie-Jo Hazard (dir), Printemps d'Église : aujourd'hui les laïcs, Paris, Desclée de Brouwer - La Vie, 1987, 157 pages. Outre Marie-Jo Hazard, Henri Vulliez, M. Garrigou-Lagrange, Philippe Warnier, M. Dannus et Jean de Broucker participent à la réflexion.

665.

Janine Feller, ”La mode ou le mode des laïcs ?”, L'actualité religieuse dans le monde, novembre 1987

666.

Ibid

667.

Mgr Coffy, ”Le futur synode sur les laïcs”, Église aujourd'hui à Marseille, n°39, 23 novembre 1986

668.

Ibid

669.

Ibid

670.

Collectif, ”Nous les baptisés”, Fêtes et saisons, 411, janvier 1987

671.

Georges Mattia, ”Le paradoxe du Centre”, La Croix, 14 janvier 1987

672.

Yves de Gentil-Baichis, ”La place des femmes de l'Église, une question ignorée”, La Croix, 28 mars 1987

673.

Philippe Warnier, ”Une Église à deux vitesses ?”, La Croix, 7 janvier 1987

674.

Vincent Berthet, ”Permanents-laïcs et permanents-prêtres : le partage des tâches”, La Croix, 11 juillet 1987