Humanae vitae, prétexte au contournement de la conférence épiscopale

Entre le 11 et le 14 septembre 1986, l'association Provie organise à Paris le neuvième congrès international de la famille sans la moindre consultation de l'épiscopat. A la veille de l'événement, La Croix en vient même à s'interroger sur l'origine du financement de la manifestation. Le quotidien catholique ne manque pas d'interroger, par ailleurs, Angela de Malherbe, présidente de l'association, sur l'uniformité des intervenants. ”Une quarantaine de conférenciers prendra la parole, plus de la moitié venant de l'étranger. Le lien entre tous, une vision traditionnelle de la famille. Le congrès ne privilégie donc pas le débat entre tendances différentes” 692 avec parmi les conférenciers français : Daniel Ange, le professeur Lejeune, Jean Foyer et Pierre Chaunu. Sur le plan religieux, les organisateurs revendiquent une sensibilité très romaine. Humanae vitae et Familiaris consortio articulent la réflexion du mouvement. Mgrs Caffara et Tchidimbo interviennent à la tribune comme pour mieux souligner l'absence de l'épiscopat français à la manifestation.

”Les évêques français auraient voulu que nous nous concertions mais nous n'avons pas eu le temps, explique Angela de Malherbe. Aussi avons-nous pris le taureau par les cornes pour être prêts à la date fixée” 693 . Pour sa part, Mgr Jullien ne dissimule pas sa surprise de voir qu'une association internationale organise un tel événement sans consulter le moindre acteur de la pastorale familiale en France. A défaut de son président, la commission épiscopale de la famille envoie son secrétaire, le père Bernard Housset, qui assiste aux interventions à titre d'auditeur. Le désaveu épiscopal n'est cependant pas total. Ainsi Mgr Lustiger dit-il une messe pour le congrès à quelques encablures de son lieu de réunion. La Croix n'en demeure pas moins sceptique sur la pertinence d'un tel événement. ”Est-ce vraiment en faisant l'apologie d'une seule méthode de régulation des naissances que l'on parviendra à provoquer un réel changement de mentalité ?” 694 .

La controverse se poursuit alors par la voix de Mgr Tchidimbo qui s'émeut devant l'assemblée de l'absence de l'épiscopat français à la manifestation. Aussitôt La Croix ouvre ses colonnes au président de la commission épiscopale de la famille. ”Nous n'arrivions pas à savoir clairement qui étaient les organisateurs de ce congrès ni les groupes qu'ils représentaient”, justifie Mgr Jullien 695 . Au surplus, le congrès intervenait alors que la conférence épiscopale était engagée dans l'organisation du congrès de pastorale familiale réuni du 1er au 4 mai 1986. Mettant en avant la réalité de ”gens qui travaillent sur le terrain, sans faire de bruit, en liaison avec des milliers d'autres personnes”, le père Jullien doit alors se justifier de son absence à une manifestation au succès médiatique certain. ”Dans Familiaris consortio, Jean-Paul II rappelle que le premier responsable de la pastorale familiale est l'évêque. L'épiscopat français tout entier a dégagé la commission de la famille de ses autres tâches pour qu'elle prenne très au sérieux les questions familiales” 696 .

La rupture semble imminente dans l'Église de France. Le ralliement in extremis de Mgr Lustiger à la manifestation ne doit pas faire illusion. Le congrès de Paris propose un mode de présence au monde alternatif à celui défini par l'épiscopat français au début de la décennie 1980. Membre du secrétariat Incroyance et foi, le père Xavier Nicolas (s.j.) donne à La Croix une réflexion sur le statut minoritaire de l'Église à rebours du réflexe identitaire de la frange conservatrice de l'Église de France. ”La barre étant désormais dans la main ferme d'un pape et le doute étant révolu, églises et séminaires s'empliront-ils à nouveau ? La nostalgie a la vie dure”, ironise-t-il 697 . Définissant l'Église conciliaire par sa fonction inchoative, Xavier Nicolas voit dans l'Église minoritaire une chance. ”C'est cette Église-là, vulnérable, humaine, exposée, qui est pour le monde qui court le meilleur témoin du Dieu pauvre et désarmé de l'Évangile” 698 .

Les réflexions du père Nicolas résonnent avec une certaine acuité dans la perpective de la venue de Jean-Paul II à Lyon. De fait, cette nouvelle visite de Jean-Paul II en France intervient alors que l'Église de France s'est passablement remodelée depuis 1980. ”Le courant risque de passer car la communauté catholique se reconnaît davantage en Jean-Paul II qu'il y a six ans”, relève Yves de Gentil-Baichis 699 . L'évolution de la ligne éditoriale du journal La Croix la reflète 700 :

‘Dans une France sécularisée, les catholiques sont confrontés, non pas à l'athéisme militant comme il y a une quinzaine d'années, mais à l'indifférence religieuse.
C'est parfois difficile à vivre si l'on ne veut pas suivre le courant majoritaire. D'où toutes ces dernières demandes récentes pour retrouver l'identité chrétienne. ”Qui sommes-nous ?” se demandent certains catholiques. ”Qu'avons-nous à dire d'original ? En quoi sommes-nous différents des autres ?”
Pour beaucoup Jean-Paul II symbolise cette identité.’

La mouvance charismatique n'est pas exempte, elle aussi, de tensions et tiraillements de tendances. Charge à l'épiscopat, en dernier ressort, de gérer ces dissensions. Depuis février 1985, un groupe réuni autour d'un couple lyonnais, Pierre et Maryse Pelletier, travaille à l'organisation d'un rassemblement national des groupes de prières charismatiques au Bourget pour 1987. Face au refus des mouvements charismatiques tels que l'Emmanuel ou le Chemin neuf d'assurer la coordination, ces derniers sollicitent l'ensemble des délégués diocésains pour recenser les quelques 1200 groupes de prière et diffuser l'information auprès d'eux. Il s'agit alors d'honorer dix ans de présence des charismatiques dans le paysage catholique français et rappeler la pertinence de ses intuitions. ”Nous pensons qu'il est important pour un chrétien de faire une expérience de Dieu qui ne soit pas seulement intellectuelle, car il y a trop d'arguments dans notre monde d'aujourd'hui pour démolir une foi intellectuelle”, déclare Pierre et Maryse Pelletier 701 . Finalement, la réalisation du projet est programmée pour les 21, 22 et 23 mai 1988 et l'épiscopat appuie résolument l'initiative. Le cardinal Lustiger donne son accord pour présider l'eucharistie de Pentecôte tandis que le cardinal Decourtray prendra en charge la messe de clôture. Outre la présence des deux cardinaux, Mgr Duchêne a pour mandat de représenter l'ensemble de l'épiscopat à la manifestation au titre de sa fonction d'accompagnateur national de la mouvance charismatique.

Notes
692.

Yves de Gentil-Baichis, ”Le docteur Billings au secours de la famille”, La Croix, 10 septembre 1986

693.

Ibid

694.

Ibid

695.

Yves de Gentil-Baichis, ”Famille : les évêques français sont mobilisés”, La Croix, 17 septembre 1986

696.

Ibid

697.

Xavier Nicolas, ”Une Église minoritaire”, La Croix, 20 septembre 1986

698.

Ibid

699.

Yves de Gentil-Baichis, ”Le courant devrait passer”, La Croix, 4 octobre 1986

700.

Ibid

701.

Dominique Quinio, ”La Pentecôte nouvelle des groupes de prières”, La Croix, 20 avril 1988