Itinéraire de la génération 68

En janvier 1979, Jean-Paul II se rend à Puebla au Mexique pour rencontrer les évêques d'Amérique latine. A cette occasion, le souverain pontife exhume l'expression ”doctrine sociale de l'Église” pour la substituer à celle ”d'enseignement social”. Pour Jean-Marie Mayeur, ”Le retour de la formule ”doctrine sociale” n'est pas dépourvu de signification et traduit la volonté du Pape d'éviter que l'enseignement social de l'Église ne perde sa spécificité” 715 . A la veille de sa première visite en France, Jean-Paul II confirme dans Redemptoris hominis une anthropologie mystique consacrant un primat de la culture sur le politique 716 .

Le synode sur la famille, qui se déroule à Rome du 27 septembre au 4 octobre 1980, est l'occasion pour l'épiscopat de prendre le pouls de leur Église dix ans après le traumatisme d’Humanae vitae. Lors de la réunion du conseil permanent des 9-11 juin, Mgr Duchêne, président de la commission épiscopale de la famille, revient sur le questionnaire qu'il a adressé le 25 août aux mouvements, diocèses et communautés de base 717 . Celui-ci a provoqué des milliers de réponses des secrétariats nationaux de 23 mouvements, de 83 diocèses, de 2 440 équipes de mouvements à la base (487 ACGF, 386 des CMR, 177 de groupes paroissiaux, etc.) et d'individualités catholiques.

Pour La Croix, les évêques procèdent à une évaluation de leur pastorale. Or ”peu de réponses parlent de mariage des mal-croyants, de la dimension sociale du mariage ou de la sexualité ; par contre, beaucoup parlent de la morale”, relève Félix Lacambre 718 . Pour les évêques, ”ce qui frappe ici, c'est que, presque unanimement, on identifie doctrine catholique du mariage et morale conjugale” 719 . Or les Informations catholiques internationales croient percevoir chez les pères synodaux une volonté d'élargir le discours de la famille au-delà des seuls thèmes moraux. Finalement les extraits du document préparatoire laisse poindre une relative incompréhension 720 :

‘Les groupes se montrent éloquents dans l'approche sociologique (la situation des familles - question I). Ils peinent sur la doctrine catholique (question II), au point de paraître à bout de souffle pour la mission de la famille chrétienne (question III), si bien que certains ne répondent pas à la question sur le synode, son message et son langage - (question IV). Comme dans une course cycliste, le peloton s'étire et certains ont déjà abandonné.’

Le volontarisme catholique ne suffit ainsi pas à panser les plaies encore béantes de la décennie 1968. Les visites ad limina de 1977 avaient déjà souligné les insuffisances de la pastorale de l'Église de France. En 1982, les évêques se rendent à Rome dans un contexte toujours plus délicat, selon Robert Ackermann. Celui-ci regrette une ”certaine marginalisation de l'Église face aux problèmes éthiques et sociaux, comme la montée du chômage…” 721 . Ici réside le défi des présidences Vilnet à la tête de l'épiscopat français qui n'a de cesse de retisser le lien avec la société et ses débats. L'audience de documents tels que ”Pour de nouveaux modes de vie” et ”Gagner la paix” n'est pas le fait du hasard. Le volontarisme présidentiel soutenu activement par un secrétariat général sous la haute main du père Defois participe à désenclaver la parole épiscopale.

A défaut d'une doctrine propre, l'épiscopat français ne peut négliger l'influence intellectuelle de Jean-Paul II. L'instauration de l'état d'urgence en Pologne crédibilise la doctrine papale sur les droits de l'homme. Celle-ci devient une référence à travailler pour les évêques de France. Le 6 janvier 1982, Mgr Vilnet prêche à Cologne pour une renaissance de l'intelligence catholique 722 :

‘Dans un univers de sécularisation, l'Église ne peut pas se taire. Le christianisme n'est pas seulement une affaire privée. Les chrétiens doivent s'engager, comme tels dans la société. Car la parole de Dieu est ferment de paix et sauvegarde de la liberté des hommes. Jean-Paul II dans ses encycliques comme dans ses discours ne cesse de le répéter. Il se veut le défenseur des droits de l'homme.’

Notes
715.

Jean-Marie Mayeur, ”L'enseignement social de l'Église” in Collectif, Histoire du christianisme, Crises et renouveau, Tome 13, Paris, Desclée, 2000, page 323

716.

Yves Congar, Jean-Marie Domenach & Albert Nicolas, ”Un bilan du voyage du Pape en France”, ICI, 552, juillet 1980

717.

Jean-Pierre Manigne, ”Au cœur du débat : le discours moral de l'Église”, ICI, 555, octobre 1980

718.

Félix Lacambre, ”Les évêques affrontés à l'avenir”, La Croix, 22 & 23 juin 1980

719.

Jean-Pierre Manigne, ”Au cœur du débat : le discours moral de l'Église”, op. cit.

720.

Ibid

721.

Robert Ackermann, ”1982 : l'année des évêques français à Rome”, La Croix, 4 mars 1982

722.

Snop, n°446, 13 janvier 1982