Une collégialité épiscopale à rude épreuve

Le succès de la lettre pastorale des évêques américains auprès du mouvement pacifiste ne se réduit pourtant pas à une réponse circonstancielle. Intervenant dans le droit fil du débat sur l'avortement de 1973 au cours duquel l'épiscopat américain prenait fermement position contre toute atteinte à la vie humaine, la lettre pastorale réhabilite à sa manière l'intégralisme catholique. Dès leur lettre pastorale de 1976, ”Vivre en Christ Jésus”, portant sur la vie familiale, la sexualité, le mariage et la doctrine sociale de l'Église, les évêques américains esquissaient le contenu d'une réflexion plus spécifique sur la paix et la dissuasion nucléaire 784 :

‘En ce qui concerne les armes atomiques, du moins celles qui peuvent entraîner une destruction massive, le premier impératif est d'empêcher leur utilisation. En tant que possesseurs d'un vaste arsenal nucléaire, nous devons également prendre conscience que non seulement c'est un mal d'attaquer les populations civiles, mais même de menacer de les attaquer dans le cadre d'une stratégie de dissuasion.’

Les 5 et 6 mai 1983, les évêques français se réunissent, pour la première fois depuis 1974, en assemblée extraordinaire et à huis clos en vue du synode romain sur la réconciliation. Il ne leur est alors pas possible d'éluder le sujet de la paix. D'autant plus que les évêques hollandais prennent officiellement position sur le sujet le 5 mai. Pourtant la perspective d'un texte est finalement jugée inopportune. L'idée un temps émise de constituer un livre blanc où des chrétiens pourraient discuter leurs positions est également écartée. Reste des prises de positions individuelles comme celle de Mgr Jullien lors du 554e anniversaire de la libération d'Orléans par Jeanne-d'Arc.

A l'occasion des fêtes de Jeanne d'Arc du 8 mai, Mgr Jullien prêche à partir de la lettre pastorale américaine. L'évêque de Beauvais juge alors déraisonnable de prôner le désarmement unilatéral. La défense de la paix passe par une dissuasion crédible. ”Jeanne-d'Arc fut pacifique et non pacifiste”, précise-t-il 785 . Les conclusions de l'Académie pontificale des sciences (1982) font alors référence. ”L'Église, ”experte en humanité”, n'a jamais réclamé un désarmement unilatéral, au contraire, elle prône un désarmement mutuel, progressif et contrôlé. Elle sait que des générosités mal éclairées ont parfois provoqué les périls qu'elles croyaient exorcisés. La paix de Munich était grosse du drame de 39-45 et de ses suites. Le conseil évangélique de tendre la joue droite après la gauche demeure, mais transposition au plan collectif interdit les simplifications abusives”, prévient Mgr Jullien 786 . L'absence de condamnation par Paul VI des armes défensives et l'appel de Jean-Paul II à un ”dialogue lucide” entre États plaident alors en faveur d'une approche pragmatique du problème de la paix.

Vicaire aux armées, Mgr Fihey esquisse également les bases de ce que pourrait être un positionnement de l'épiscopat français pour la revue L'Église dans le monde militaire tandis que mute la guerre froide : ”Nous avons fait cette paix parce que le renoncement n'est pas possible pour une nation : un homme peut accepter le martyre, une nation ne peut arriver à l'unanimité totale nécessaire pour légitimer un renoncement absolu. Nous avons bâti cette paix par la dissuasion parce que la loi du plus fort appelle toujours une revanche et parce que force nous est de constater que l'humanité n'est pas arrivée aujourd'hui à en bâtir une sur la fraternité universelle” 787 .

Notes
784.

DC, 1712, 16 janvier 1977, p. 70

785.

Anonyme, ”Mgr Jullien : le message de Jeanne d'Arc”, La Croix, 12 & 13 mai 1983

786.

Mgr Jullien, ”Devant le péril nucléaire : pacifiques et non point pacifistes”, Snop, n°502, 11 mai 1983

787.

Mgr Fihey, ”Sur les problèmes de la paix et de la défense”, L'Église dans le monde militaire, mai 1983