Fissures dans la collégialité

La méthode qui prévaut pour la rédaction du texte laisse perplexe l'éditorialiste. La production, l'adoption ainsi que la diffusion de ”Gagner la paix” laissent présager d'un affaiblissement conséquent de la collégialité au sein de l'épiscopat. Les deux abstentions et huit refus épiscopaux traduisent un malaise certain chez les évêques français selon l'auteur qui ne voit dans l'activisme public de Mgr Gaillot qu'un facteur démultiplicateur d'un phénomène préexistant. La rédaction du document en équipe restreinte à l'occasion d'une session plénière exceptionnellement courte consacrant une ”décentralisation de l'Église” 867 annonce une mutation de l'exercice magistériel de l'épiscopat français 868 . Trois ans après, Mgr Le Bourgeois confirme que l'adoption puis la réception de ”Gagner la paix” est décisive dans la manière d'appréhender le ministère épiscopal 869 :

‘Prenons l'exemple de la déclaration de l'épiscopat en 1983 à propos de l'armement atomique : ”Gagner la paix”. Personnellement, j'ai signé, je le reconnais, mais j'ai hésité à le faire. Aujourd'hui, je ne le ferais plus. J'ai été sincèrement content que quelques-uns disent ouvertement qu'ils n'étaient pas d'accord. Je crois qu'à ce moment-là, à contre-courant, ils expriment quelque chose d'important. Le fait même que ce sont des évêques, donne plus de poids à leur intervention.’

La position de l'évêque d'Autun ne semble pas marginale au vu des déclarations du conseil permanent des 12-15 décembre 1983. Le président de la commission Justice et Paix, Mgr Ménager, regrette de ne pas avoir été sollicité pour la rédaction de ”Gagner la paix”. La commission n'ayant pas le statut de ”commission épiscopale”, la critique de Mgr Ménager doit de fait être relativisée d'autant qu'elle porte davantage sur la méthode que sur le fond. En revanche, les déclarations du président de l'épiscopat, au sortir de la réunion, sont davantage équivoques en ce qu'elles tendent à contredire le texte de Lourdes. Celles-ci prennent la forme d'un vœu : ”que soient bannies de partout, effectivement, simultanément et publiquement, toutes les armes, plus redoutables les unes que les autres, dont se dotent les États” 870 . Invité de l'émission de RMC pour l'émission ”Église d'aujourd'hui”, le président de la conférence épiscopale persiste à atténuer la portée du texte 871 .

A l'occasion de son quarante-neuvième numéro, la revue Alternatives non-violentes fête son dixième anniversaire. Elle y publie une interview de Mgr Gaillot réalisée avant la réunion de Lourdes 1983. L'évêque d'Evreux explique les raisons pour lesquelles il a soutenu un objecteur de conscience Michel Fache, lors de son procès. La figure de Mgr Riobé est alors évoquée. Mgr Gaillot exprime par ailleurs son admiration pour les évêques américains, espérant que l'Église de France sera capable d'organiser telle consultation pour ”aborder courageusement les questions de défense, de stratégie nucléaire, de défense populaire non violente”. Un temps pressenti pour participer à la réflexion française sur la paix, Mgr Gaillot laissait déjà poindre dans l'interview une certaine défiance à l'égard de la tradition en matière de paix 872 :

‘Il est certain que la tradition non-violente n'est pas prise en compte dans les débats d'aujourd'hui. Peut-on parler de ”guerre juste” quand la menace nucléaire pose un problème radicalement nouveau à la conscience de l'humanité. ’

Pour sa part, le Journal de la Paix du mouvement Pax Christi consacre un numéro spécial à la déclaration épiscopale ”Gagner la paix” en janvier 1984 873 . Le numéro comporte une interview de Mgr Jullien et des éclairages divers apportés par Mgr Ernoult (président de la section française de Pax Christi), par le père Coste, Jacques Duquesne, etc. Le secrétariat de l'épiscopat salue la démarche du mouvement Pax Christi allant dans le sens d'un dialogue entre communautés. ”Sans l'opinion, il est impossible de parvenir progressivement à un désarmement général, nucléaire et conventionnel, simultané et contrôlé” 874 . C'est ainsi que le Ceras organise une session sur le thème ”le défi de la paix en Europe : aspects militaires, politiques, éthiques” du 31janvier au 9 février 1984.

Après sa tribune dans La Croix du 18 novembre 1983, Jean Klein assure que ”dans la mesure où les évêques ont fait largement écho, dans leur déclaration de Lourdes, aux préoccupations de Pax Christi, leur prise de position a été, dans l'ensemble, favorablement accueillie” 875 . Refusant de voir dans ”Gagner la paix” une caution morale au nucléaire ainsi qu'une condamnation sans retour du bloc soviétique, le président de la section française de Pax Christi insiste sur la portée à donner au texte épiscopal. La section française de Pax Christi ”continuera d'agir en restant fidèle à sa tradition qui postule le pluralisme des options politiques et le souci d'affirmer la spécificité de l'apport chrétien dans le combat pour la paix” 876 .

Notes
867.

Bertrand Cassaigne, ”Un pari sur les diocèses”, Cahiers d'actualité religieuse et sociale, 275, 15 décembre 1983, pp. 689-692

868.

Joseph Limagne, ”Vers un renforcement du pouvoir de l'évêque”, Actualité religieuse dans le monde, décembre 1983

869.

Mgr Le Bourgeois & Jean-Philippe Chartier, Un évêque français, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, page 201

870.

Gwendoline Jarczyk, ”Un rappel à l'unité”, La Croix, 17 décembre 1983

871.

Henri Tincq, ”Un appel à l'unité”, La Croix, 24 décembre 1983

872.

Anonyme, ”ANV a dix ans”, Témoignage chrétien, 2059, 26 décembre 1983

873.

Collectif, ”Gagner la paix”, Journal de la paix, janvier 1984

874.

Anonyme, ”Gagner la paix, un numéro spécial du Journal de la paix”, Snop, n°526, 4 janvier 1984

875.

Joseph Robert, ”D'un cœur nouveau pour la paix”, Témoignage chrétien, 2060, 2 janvier 1984

876.

Ibid