”Gagner la paix” : trame de la génération Jullien

En faisant adopter le document ”pour une pratique chrétienne de la politique” par l'assemblée plénière de 1972, Mgr Matagrin a offert un texte de référence à la double génération épiscopale du concile et des années 68. Commandant ce tournant intellectuel, l'évêque de Grenoble a imposé un style de travail à l'épiscopat trois ans avant d'en occuper la vice-présidence. A lire l'historiographie disponible sur le catholicisme français des années 1970, le texte de 1972 a imprimé un style à l'épiscopat et à l'Église catholique dans son ensemble, imposant de relativiser le fait politique pour mieux l'intégrer dans la pastorale.

A sa manière, ”Gagner la paix” intervient dans un contexte de nouvelle mobilisation de l'opinion catholique, dont Jean Donegani a depuis fait la preuve du pluralisme 940 . Pris dans le double mouvement d'une réévaluation de la pastorale et d'une difficile négociation avec Rome concernant la catéchèse, l'épiscopat français saisit le débat de la paix comme une opportunité de refonder un discours crédible dans la société française mais également au sein de l'Église universelle. L'itinéraire et le discours du père Jullien incarnent ce renouvellement de l'épiscopat. Evêque de la transition entre Paul VI et Jean-Paul II, le père Jullien offre une position originale à mi-chemin entre la génération épiscopale conciliaire et les nouveaux évêques.

Soldant le politique pour l'éthique, Mgr Jullien perpétue la tradition pastorale de l'épiscopat français échaudé par l'événement Humanae vitae. Devenu président de la commission familiale, l'ancien professeur de morale saisit l'éthique comme interstice du dialogue entre l'Église et le monde. Le style direct du père Jullien marque le retour d'un magistère ferme qui ne rechigne pas au débat. Reste à l'épiscopat à évaluer dans quelle mesure elle expose son fonctionnement collégial au débat. Avec le document ”Gagner la paix”, l'épiscopat donne une dernière fois la parole à Témoignage chrétien qui perd par la suite son rôle moteur dans les débats ecclésiaux.

Riches de tous ces éléments, ”Gagner la paix” et son processus de réception inaugurent une nouvelle ère pour l'épiscopat français et l'Église de France. En cela ils constituent la matrice explicative d'une histoire de l'épiscopat français des années 1980. Prise à la double influence du monde et d'un centralisme romain toujours plus affirmé, tandis que s'estompe la référence conciliaire, la génération épiscopale des années 1980 conditionne sa légitimité à la définition d'un ”consensus éthique”.

Notes
940.

Jean-Marie Donegani, La liberté de choisir. Pluralisme religieux et pluralisme politique dans le catholicisme français contemporain, Paris, Presse de la FNSP, 1993