La pastorale économique de l’épiscopat américain pour référence

Le 12 novembre 1984, l'épiscopat américain publie son projet de lettre pastorale ”L'enseignement social catholique et l'économie américaine”. Deux jours après, La Croix y consacre sa double page ”L'événement” avec extraits, reportages ¹⁰⁰⁵ et commentaire ¹⁰⁰⁶ . Or, les épiscopats français et américains ne partagent pas la même culture intellectuelle et démocratique. Pour l'épiscopat conciliaire du moins, le processus de rédaction du texte ”pour une pratique chrétienne de la politique” constitue la référence ultime. Ainsi ne nous faut-il pas négliger la dette intellectuelle contractée par l'Église de France à l'endroit de Mgr Matagrin alors qu'il s'efface au fil de la décennie 1980 ¹⁰⁰⁷ .

Les 23 et 24 novembre 1984, la commission sociale de l'épiscopat français et l'institut d'études sociales de l'institut catholique de Paris accueillent un colloque privé réunissant évêques, universitaires, journalistes et fonctionnaires autour du thèmes : ”Église et économie”. La Croix persiste pourtant à concentrer son attention sur la lettre pastorale des évêques américains sur l'économie ¹⁰⁰⁸ .

Témoin d'une telle ébullition, Emile Poulat plaide dans La Croix du 14 décembre pour l'émergence d'une pensée chrétienne de l'économie. L'Église catholique ”s'est donnée une pensée sociale, elle n'a jamais eu de véritable pensée économique, elle le découvre aujourd'hui. Longtemps, elle n'en a ni vu l'intérêt ni fait l'effort. Elle n'a jamais eu souci de mobiliser et d'exploiter les ressources dont elle disposait, qui n'étaient pas négligeables”, déplore-t-il ¹⁰⁰⁹ . Emile Poulat n'en demeure pas moins attentif à l'évolution du discours de l'épiscopat français depuis les ”nouveaux modes de vie” jusqu'à ”Attention… pauvretés” ¹⁰¹⁰ .

Le 2 février 1985, le bulletin Documents-Episcopat publie une réflexion du père René Coste sur l'esquisse du document américain ¹⁰¹¹ . Tel exposé n'est pas fortuit lorsque l'épiscopat français, deux ans après sa publication, tente de renouer le contact avec les mouvements réfractaires au texte ”Gagner la paix”, sympathisants des méthodes de l'épiscopat américain. Pour les évêques français, leurs homologues d'outre-Atlantique sont incontournables ¹⁰¹² . René Coste ne manque d'ailleurs pas de souligner la présence originale de l'Église dans l'espace public américain. Le théologien consacre une bonne partie de son exposé à l'implication des laïcs dans les débats au travers de la commission laïque sur l'enseignement social catholique et l'économie des Etats-Unis ¹⁰¹³ - Lay commission on catholic social teaching and US economy.

René Coste s’inspire clairement des réflexions d’Emile Poulat. Au risque de la controverse et du débat contradictoire l'enseignement social tel qu'envisagé par l'épiscopat américain pose la question du magistère épiscopal selon le théologien ¹⁰¹⁴ :

‘On peut évidemment se demander s'ils ne devraient pas s'en tenir en principe aux orientations éthiques et moins entrer dans le détail des applications pratiques : ce qu'on pourrait appeler ici la ”technique” économique. Rappelons-nous l'appel du concile Vatican II à la compétence et à la responsabilité spécifique des laïcs dans la vie en société : ”Aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières… C'est à leur conscience, préalablement formée, qu'il revient d'inscrire la loi divine dans la cité terrestre.” En ce qui concerne les problèmes de société, la caractéristique propre de la fonction pastorale est celle de l'éducation de la conscience humaine et chrétienne à la lumière de la foi. Il faut donc à la fois le courage et l'audace prophétiques du magistère ecclésial pour éclairer les consciences, mais, en même temps, de sa part un profond respect des compétences propres des laïcs.’

Ce développement intervient alors qu'au printemps 1985, un forum public doit permettre à des spécialistes de dialoguer avec des groupes de travail sur l'économie sous la direction de Mgr Rozier. ”Ainsi, au terme de toute cette démarche, après ”avoir libéré la parole”, fidèle à son ministère d'enseignement, l'épiscopat français pourra envisager de publier sous sa propre responsabilité un document qui pourrait répondre à cette perspective et à cette dénomination, ”pour une pratique chrétienne de l'économie” ”, relève le secrétariat de l'épiscopat ¹⁰¹⁵ . Pour le président de la commission sociale de l'épiscopat, les évêques ont une double mission dans l'accompagnement des laïcs dans leur réflexion ¹⁰¹⁶ :

‘D'abord une compréhension de la société et de la nature de l'activité économique en fonction des situations, et avec l'aide d'outils intellectuels conduisant à une analyse. […]
Ensuite une compréhension du donné biblique porté par une tradition, pour qu'il soit et demeure une ”Bonne nouvelle” pour aujourd'hui. A ce titre nous avons à veiller à ce que les communautés chrétiennes portent le souci d'une pratique de la foi qui donne des fruits, y compris dans la vie sociale. Nous avons à veiller à ce que les analyses sociopolitiques ne se replient pas sur elles-mêmes, à ce qu'elles demeurent toujours ouvertes à une autre dimension.’

La seconde mouture du projet de lettre des évêques américains sur l'économie paraît le 7 octobre 1985. Le père Jean-Yves Clavez ne manque alors pas d'en livrer un commentaire dix jours après dans le même quotidien ¹⁰¹⁷ . Le directeur du Ceras a déjà consacré maints articles aux travaux de l'épiscopat américain dans le même quotidien des 5 et 6 mai, la revue Projet des mois de juillet et août, dans les Cahiers et L'actualité religieuse dans le monde du 1er octobre 1985.