”Attention… Pauvretés !” pour une éthique économique

Tandis que la société française voit émerger le monde associatif comme acteur majeur de l'espace public, le nouveau code de droit canon valorise la constitution d'associations. Ainsi, le père Jean Passicos, doyen de la faculté de droit de l'institut catholique de Paris, insiste-t-il sur les améliorations qu'apporte le nouveau code de droit canonique en la matière :

‘Le droit associatif est bien renouvelé. Il permettra sûrement à l'Église d'aujourd'hui de trouver des solutions qui sont attendues.
De plus, il prend en compte la législation antérieure de Paul VI concernant la participation, à travers les conseils pastoraux, les conseils presbytéraux, le synode diocésain où participent désormais des représentants de toutes les catégories du peuple de Dieu et pas seulement des prêtres. On pourrait aussi parler d'une participation élargie à l'ensemble du peuple de Dieu pour les conciles particuliers.’

Le 2 octobre 1984, la commission sociale publie une déclaration sur les nouvelles pauvretés apparues dans la société française au cours des dernières années, ”Attention… Pauvretés !”. Le lendemain, La Croix consacre son éditorial et ses pages ”L'événement” au document. Sous la plume d'Henri Tincq, le quotidien salue le texte épiscopal qui ”écarte à la fois les apitoiements faciles et le transfert classique au tout politique” 1018 . Le texte intervient le jour où Laurent Fabius reçoit le père Joseph Wrésinski, fondateur d'ATD quart-monde, afin de discuter le principe d'un moratoire de deux ans pour les expulsions, l'embauche prioritaire des chômeurs de longue durée et la création éventuelle d'un revenu minimum garanti. Dans le même temps, le ministre de la ville, Paul Quilès, annonce la mise à disposition de plusieurs logements HLM aux associations pour qu'elles sous-louent aux personnes en difficulté, ainsi que le demandait le Secours catholique. A Paris, le premier centre d'accueil ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre est inauguré à la Cité Saint-Pierre.

Jean Potin voit dans l'adresse épiscopale une légitimation du monde associatif, relais de l'action publique affrontée aux ruptures de la société au nom d'une nécessaire ”volonté de proximité physique et cordiale avec les pauvres”. Pour l'éditorialiste de La Croix, ”le document épiscopal est ainsi amené à soutenir le caractère irremplaçable des organisations caritatives et particulièrement des organisations chrétiennes” 1019 . Dans le droit fil des travaux menés par le théologien René Coste, les évêques français réhabilitent la charité comme posture opératoire dans le champ social. ”Il y a là, de la part des évêques français, un langage nouveau, encore que traditionnel. En période d'expansion économique, on a pu penser que les institutions caritatives chrétiennes pouvaient disparaître et que les chrétiens devaient s'insérer avec les autres dans les organismes officiels œuvrant pour la justice” 1020 . L'assistance devient terrain missionnaire spécifique pour l'Église qui peut y faire valoir sa différence.

Le 10 octobre 1984, le Premier ministre Laurent Fabius reçoit l'abbé Pierre dans le cadre de la préparation d'une action gouvernementale à l'adresse des nouveaux pauvres. Le même jour, La Croix publie une chronique du président du Secours catholique, André Aumônier. Celui-ci appréhende le texte épiscopal dans les mêmes termes que Jean Potin. Largement influencé par le personnalisme, André Aumônier considère la ”responsabilité de la personne” comme ”la pierre angulaire de toute société qui privilégie l'homme” 1021 . Confronté à de nouvelles pauvretés, le corps social a ainsi résolument un rôle à jouer dans l'accomplissement des tâches pour lesquelles l'Etat reste inopérant. ”La protection sociale ainsi conçue ne consiste pas à débarrasser l'Etat de ses responsabilités : celles-ci restent premières dans l'ordre des ressources à affecter aux détresses des plus défavorisés” 1022 .

”L'un des mérites du document est de soutenir la thèse que le problème étudié n'est pas seulement un problème politique, mais plus profondément, un problème de société, appelant à la fois la solidarité nationale et celle de chacun”, relève René Coste 1023 . En ce sens, ”Attention… pauvretés” dissocie formellement la nation de l'Etat qui se trouve alors pris au mouvement de l'échec du modèle ”providence” de Keynes. Ainsi René Coste salue-t-il l'affirmation du ”rôle indispensable des institutions caritatives chrétiennes et sa chaleureuse invitation à ce que la paroisse devienne une ”communauté hospitalière et servante” ” 1024 . Reste à préciser certains aspects du texte selon le théologien. Ainsi en va-t-il de la définition du pauvre. Et d'évoquer les travaux de François Perroux distinguant la ”pauvreté absolue” de la ”pauvreté relative”. René Coste reprend également la critique adressée aux ”nouveaux modes de vie” concernant le faible intérêt porté à la croissance économique. Enfin, le critique se permet d'interroger la pertinence du propos théologique du texte. ”L'argumentation biblique du document, quoique très pertinente sur le fond, ne contient-elle pas diverses affirmations contestables ?”, s'interroge-t-il 1025 :

‘Est-il, par exemple, tout à fait exact de dire que Jésus a été condamné à mort parce qu'il a pris parti pour les pauvres (je résume le texte) ? Ne l'a-t-il pas été pour des raisons plus complexes ; à la foi pour son opposition radicale à l'idéologie politico-méssianique de nombre de ses compatriotes, pour sa vigoureuse critique de la religion légaliste des Pharisiens et pour ses prétentions de pouvoir proprement divins qui semblaient blasphématoires ?’
Notes
1018.

Henri Tincq, ”Attention… pauvretés ! Les évêques parlent”, La Croix, 3 octobre 1984

1019.

Jean Potin, ”L'efficacité de la charité”, La Croix, 6 octobre 1984

1020.

Ibid

1021.

André Aumônier, ”Défi des pauvretés et mutation de société”, La Croix, 11 octobre 1984

1022.

Ibid

1023.

René Coste, ”Pas de pauvre chez toi”, La Croix, 18 octobre 1984

1024.

Ibid

1025.

Ibid