Les droits de l'homme pour substitut

Mgr Lustiger convie le directeur du Ceras aux conférences de Carême de 1985 à Notre-Dame. A cette occasion, le père Calvez propose une réflexion sur ”Droits de l'homme, justice, Évangile”. ”J'ai présenté les droits de l'homme comme un nouveau départ pour l'engagement social chrétien”, indique-t-il dans La Croix comme en réponse aux interrogations d'Emile Poulat sur la pertinence de l'enseignement social de l'Église ¹⁰⁵⁶ . Pour le père Defois la question est décisive ”sinon nous tombons dans une sorte d'évangélisme sans philosophie, sans interprétation philosophique de base, une sorte d'affection spirituelle, qui n'est pas sérieusement pensée ; on peut avoir sur le plan sociologique une sorte de communautarisme spirituel sans impact dans une vie publique. Or il n'y a plus ce brassage intellectuel que pouvaient représenter les Semaines sociales, ce qui fait qu'un certain nombre de chrétiens, des anciens du MRP, par exemple, se sont rangés à droite ou à gauche, mais dans une déshérence totale de références éthiques par rapport à leur action politique”.

Le 12 janvier 1986, Mgr Delaporte prononce une homélie en la cathédrale de Cambrai dont La Croix publie des larges extraits deux jours plus tard avec un commentaire de Gwendoline Jarczyk. Le président de la commission de l'immigration reprend alors le document publié par le conseil permanent en novembre 1982 comme colonne vertébrale de son analyse. ”Quand les évêques de France ont publié, en novembre 1982, leur document ”pour de nouveaux modes de vie”, ce fut un beau tollé, de tous côtés… C'était bon signe”, indique-t-il avec trois ans de recul ¹⁰⁵⁷ . L'expérimentation de nouveaux modes de vie par certains acteurs catholiques de la vie économique ”ont invité les évêques eux-mêmes à accentuer davantage leur réflexion pour une pratique chrétienne de l'économie et un développement sur le plan international”, assure le père Delaporte ¹⁰⁵⁸ . Pour Gwendoline Jarczyk, l'appel de l'évêque de Cambrai s'inscrit dans le droit fil du synode de 1985 reconnaissant un destin commun à l'Église et au monde. ”Sans dénier le bien-fondé aux prévisions raisonnées, Mgr Delaporte oriente le regard vers l'attitude, les mentalités et le sens. Voilà, qui, en ce texte, mérite d'être souligné”, note Gwendoline Jarczyk ¹⁰⁵⁹ .

L'année 1985-1986 est l'occasion pour Mgr Rozier de réunir une quinzaine de personnes pour une réflexion sur le chômage et ses conséquences sociales. Ce groupe de réflexion est constitué d'universitaires, cadres de l'administration ou de la banque. Au terme de leurs travaux, l'évêque de Poitiers et ses collaborateurs signent un texte en octobre 1986 : ”une solidarité créative”. La Croix ne tarde pas à s'en faire le relais et en publie de larges extraits dans son édition du 15 octobre ¹⁰⁶⁰ . Le 18 octobre, c'est au tour de l'évêque de Nanterre de jouir du forum du quotidien catholique. Mgr Favreau y dénonce alors une résignation des acteurs économiques face aux lois du marché. ”Refusons les fatalités baptisées ”lois économiques”. Celles-ci ont leurs contraintes : ce serait démagogique de l'ignorer. Mais elles n'ont pas un caractère absolu” ¹⁰⁶¹ . Abdiquant toute compétence technique en matière économique, l'évêque de Nanterre n'en demeure pas moins attentif aux glissements lexicaux qui s'y opèrent ¹⁰⁶² :

‘Pas plus que je ne supporte la banalisation de l'acte si grave de l'avortement en le désignant par des initiales anonymes d'IVG, je n'accepte que l'on parle de ”dégraissage” pour dire que des hommes et des femmes, demain, n'auront plus d'emploi. La vérité des mots est nécessaire pour la vérité du regard porté sur la réalité.’

Interrogé sur le document ”avant les élections de mars 1986” publié durant l'été 1985 alors qu'il était président de la région apostolique Est, Mgr Bernard esquisse une critique de l'approche épiscopale de l'économie. ”Evêques, nous n'avons peut-être pas assez parlé de la nécessité d'être créatifs, inventifs dans la vie sociale. Faire preuve d'imagination pour créer des emplois peut être une forme de charité” ¹⁰⁶³ .