”Liberté chrétienne et libération”, réhabilitation post mortem du politique

L'annonce de la publication pour Pâques 1986 d'un document romain intitulé ”Liberté chrétienne et libération”, donne l'occasion aux Cahiers de réévaluer l'apport de la théologie de la libération dans l'enseignement social de l'Église. ”Les questions posées par la théologie de la libération ne sont ni des élucubrations d'intellectuels en chambre, ni des idéologies de révolutionnaires rêveurs”, note Pierre de Charentenay dans son éditorial 1064 . Qualifiant de ”très sévère” le premier document romain sur cette même théologie en septembre 1984 ”Quelques aspects de la théologie de la libération”, les Cahiers discernent une nouvelle ère pour s'interroger sur ”la force de libération et de salut de sa propre foi” 1065 . Le document répond alors aux suggestions avancées par le synode romain extraordinaire réuni en novembre 1985, au terme duquel les évêques catholiques demandaient un double approfondissement de l'option préférentielle pour les pauvres et de la doctrine sociale de l'Église.

La publication jésuite salue la troisième partie du document qui propose une ”sorte de catéchèse d'ensemble” concernant trois domaines particuliers chers à Jean-Paul II : le travail, la culture et la solidarité. La portée du texte est d'autant plus significative pour les Cahiers que celui-ci présente une architecture et une pensée vigoureuse 1066 :

‘Ce long document a pratiquement le caractère d'une encyclique : importance des thèmes abordés et de la synthèse proposée, longueur (une centaine de paragraphes) et précision de l'exposé. Il propose en effet un véritable traité théologique sur la liberté chrétienne et l'œuvre de libération. Par son contenu et ses formulations, il s'adresse beaucoup plus aux croyants qu'aux incroyants.’

Pour Mgr Coffy, l'instruction du 5 avril 1986 ne contredit pas celle du 3 septembre 1984. L'archevêque de Marseille refuse toute lecture dialectique des deux instructions et préfère y voir une identité d'esprit dans la mesure où la première annonçait dès 1984 le prolongement de la réflexion en vue de la publication ultérieure d'un texte 1067 .

La venue de Jean-Paul II à Lyon pour la béatification du père Chevrier provoque le maire de Villeurbanne, Charles Hernu, à la réflexion dans Lyon-Matin : ”Lyon est la ville où, pendant une quinzaine d'années, il y a eu un mouvement chrétien social. Si l'Église de cette époque, au lieu de s'engager dans la défense des maîtres des forges, s'était mise au diapason des Chevrier ou des Lamennais, si ce mouvement chrétien social avait rencontré le mouvement social, ce dernier n'aurait pas été le communisme”, avance-t-il 1068 . Le père Defois, recteur de l'université catholique de Lyon, ne tarde pas à répliquer à l'ancien ministre de la défense que l'Église n'a pas attendu la visite papale du 7 octobre pour intervenir sur le terrain social. Et l'ancien secrétaire général de l'épiscopat de citer les encycliques Rerum novarum, Populorum progressio et Laborem exercens. Le père Defois n'oublie alors pas d'opérer pour l'Église de France un mea culpa. ”Ces textes n'ont pas été suffisamment relayés par l'épiscopat français” 1069 .

Le 20 février 1988, La Croix livre l'intégralité de l'encyclique papale à l'occasion des vingt ans de Populorum progressio. La deuxième encyclique de Jean-Paul II consacrée à la question sociale est accueillie avec enthousiasme par le quotidien catholique qui y voit une synthèse des enseignements du pontificat de Jean-Paul II. Le 22 juin 1988, Mgr Gilson assiste à Paris à une soirée-débat des patrons chrétiens autour de l'encyclique Sollicitudo rei socialis 1070 .

Le dominicain Hugues Puel, rédacteur de la revue Economie et humanisme, s'enthousiasme pour l'encyclique Sollicitudo rei socialis. Dans son commentaire à La Croix, il salue l'usage que fait le Pape de l'expression ”doctrine sociale de l'Église” au détriment de celle d' ”enseignement social”. Dans le sillage de Populorum progressio, l'encyclique papale saisit la réalité économique dans sa dimension mondiale. Un bémol est quand même apporté à l'évaluation du texte concernant l'association des acteurs économiques qui développent ”créativité, efficacité, imagination” dans le domaine productif. Le dominicain regrette que ”la valeur éthique de leurs efforts et de leurs réalisations” ne fasse l'objet d'aucune reconnaissance 1071 .

Pour Mgr Rozier, une approche éthique de l'économie s'opère par glissements analogiques. ”Si le travail comme la santé est un bien essentiel à l'existence, ne peut-il pas désormais être traité avec la même attention et selon la même logique ?”, interroge-t-il dans La Croix au lendemain des élections présidentielles 1072 . Sans ambages, l'évêque de Poitiers apporte un soutien appuyé au système d'indemnisation chômage et à la mise en place d'un revenu minimum d'insertion. ”Il s'agit d'autre chose que du traitement social du chômage. Il s'agit, par la prise en compte consciente et solidaire d'un problème qui concerne toute la collectivité, d'une humanisation de la société” 1073 .

Au terme d'une réflexion de deux ans, le diocèse de Troyes met en place une commission ”pauvreté-solidarité” en novembre 1988. Le texte fondateur de l'initiative précise les lignes d'action. ”Il ne s'agit pas de faire quelque chose en plus, mais dans ce que je fais déjà, d'être plus attentif aux pauvres que je rencontre, et d'apprendre à en être mieux solidaire”. Il s'agit alors d'inventorier les situations de pauvretés pour définir ensuite des formes d'action pour palier les carences du tissu social. Une structure diocésaine permanente est envisagée en vue d'une meilleure collaboration entre les divers acteurs de la solidarité. Rappelant que ”les pauvres seront toujours une dimension structurante de la vie et de la mission de l'Église”, Mgr Fauchet consulte une quarantaine de maires du département pour une plus forte inscription du réseau catholique de charité dans la réalité locale 1074 .

Notes
1064.

Pierre de Charentenay, ”Liberté chrétienne et libération”, Cahiers de l'actualité religieuse et sociale, 327, 1er avril 1986

1065.

Ibid

1066.

Collectif, ”La liberté fonde la libération”, Cahiers de l'actualité religieuse et sociale, 328-329, 15 avril 1986

1067.

Mgr Coffy, ”La théologie de la libération et les mass médias”, Église aujourd'hui à Marseille, n° 15, 20 mars 1986

1068.

Anonyme, ”Charles Hernu attend un ”message social” du pape”, La Croix, 19 septembre 1986

1069.

Anonyme, ”Rôle social de l'Église : Mgr Defois répond à Charles Hernu”, La Croix, 26 septembre 1986

1070.

Louis de Courcy, ”Il faut i-ma-gi-ner”, La Croix, 25 juin 1988

1071.

Hugues Puel, ”Éthique économique”, La Croix, 8 & 9 mai 1988

1072.

Mgr Rozier, ”Le travail c'est la santé”, La Croix, 18 mai 1988

1073.

Ibid

1074.

Louis de Courcy, ”Les pauvres, les premiers servis”, La Croix, 9 novembre 1988