E/ 1988 : les évêques français entrent en économie

Tandis qu'Emile Poulat interpelle le centre Lebret sur la pensée chrétienne et l'économie, Hugues Puel (o.p), rédacteur de la revue Economie et humanisme, établit une distinction entre les méthodes pastorales des épiscopats américain et français dans leurs textes ”pour de nouveaux modes de vie” (1982), d'une part, et ”La justice économique pour tous” (1986), d'autre part 1124 . L'essentiel demeure cependant que les deux épiscopats ”tendent à la formation de la conscience des chrétiens et de tous ceux qui acceptent d'écouter” 1125 .

Reste que le débat lancé par Emile Poulat fait des émules. A cet égard, les textes successifs de l'épiscopat français ”Pour de nouveaux modes de vie”, ”Attention… pauvreté” ou le document de l'épiscopat américain sur l'économie sont accueillis avec enthousiasme par Bernard Perret dans les colonnes de La Croix. Reprenant pour partie l'analyse historique proposée par Emile Poulat des relations entretenues par l'Église avec l'économie, Bernard Perret justifie le faible impact du magistère épiscopal sur les catholiques en matière économique 1126 :

‘En matière économique, les choix sont dilués dans les choix collectifs, voire semblent dictés par la logique propre des structures. La perception de responsabilités collectives laisse beaucoup moins de prise au sentiment de culpabilité que l'éventualité d'une faute concernant la vie intime. […]
En opposant ”pensée chrétienne” et ”vie économique”, Emile Poulat désigne la vraie difficulté : la pensée chrétienne n'est pas tant confrontée à une pensée économique, peu assurée de ses fondements, qu'à des réalités vécues de manière contradictoire par des hommes et des femmes.’

Confrontés à la nécessité de prononcer une parole éthique en matière économique, les évêques disposent cependant de ressources intellectuelles dans la pensée chrétienne. Ainsi, le père Lebret et l'économiste François Perroux ont-ils ouvert une voie avec la définition de leur concept d'une ”économie humaine”. L'Église est alors acculée à procéder à une œuvre anthropologique pour sonder les fondations de l'économie moderne. Jacques Delors ne manque pas de saluer la contribution épiscopale au débat économique. Interrogé par Le Monde au lendemain de la visite de Jean-Paul II au parlement européen, le président de la commission européenne se félicite que ”l'Église de France, injustement critiquée, a fait preuve d'humilité et de capacité d'écoute des autres” dans l'élaboration de son enseignement 1127 . Pour l'ancien ministre des finances, le document ”pour de nouveaux modes de vie” de 1982 demeure une ”référence” pour son action politique.

Notes
1124.

”L'un s'attache au conseil en matière de comportement et de pratiques, l'autre s'efforce à la proposition politique”, écrit le chroniqueur. Hugues Puel, ”L'Église en économie”, La Croix, 23 janvier 1988

1125.

Hugues Puel, ”L'Église en économie”, La Croix, 23 janvier 1988

1126.

Bernard Perret, ”L'Église et l'économie”, La Croix, 1er octobre 1988

1127.

Henri Tincq & Philippe Lemaître, ”Un entretien avec le président de la commission de Bruxelles Jacques Delors et le message européen de Jean-Paul II”, Le Monde, 11 octobre 1988