L'hommage de Jacques Delors intervient à quelques jours d'un nouveau texte épiscopal. Le 18 octobre 1988 la commission sociale publie le document ”face aux défis du chômage : créer et partager”. Dans La Croix, Mgr Rozier insiste sur la volonté des évêques de ”ne pas décrocher des situations concrètes et des problèmes humains” 1128 . Pour l'évêque de Poitiers, il s'agit d'inculturer le concept théologique de ”l'option préférentielle pour les pauvres”. Plaidant pour un couplage des logiques économique et monétaire, les évêques se font l’écho des nouveaux acteurs de l'économie internationale telles que les organisations non gouvernementales. Reste au père Rozier à circonscrire le domaine de compétence de l'épiscopat et sa commission sociale 1129 :
‘[Le texte] ne vise pas à apporter des solutions. Cela n'est pas de la compétence des évêques. Mais, au cœur d'une situation faite de difficultés et de chances, ce texte exprime un appel à l'espérance. Appel qui ne se traduit pas sur le mode de l'incantation, mais de l'invitation pour chacun à découvrir, à son niveau, les leviers et les créneaux d'action dont il dispose. […]L'actualité religieuse dans le monde se félicite de voir prises en compte les critiques consécutives au texte de 1982 - ”n'oubliez pas la croissance, l'entreprise, le développement”. Pour l'hebdomadaire chrétien, il ne fait aucun doute que la lettre pastorale des évêques américains, ”Justice économique pour tous : l'enseignement social catholique et l'économie américaine”, publiée en 1986 a influencé le travail de la commission 1130 .
”Ce texte moral et pastoral interpelle directement l'économiste, chrétien ou non, sur quatre points”, commente Gilbert Blardone. Et l'économiste d'évoquer le chômage de longue durée, la nécessité de partager mais aussi d'accroître la richesse, le développement de l'homme comme finalité de l'économie et les problèmes posés par le marché unique en terme de concurrence et solidarité. Ressaisissant ces quatre points, Gilbert Blardone voit reconstituées les préoccupations de la recherche de François Perroux prenant en compte l'épanouissement de l'homme. Membre de l'association lyonnaise des amis de l'économiste chrétien, l'auteur de la chronique se félicite de voir les évêques français reprendre à leur compte les intuitions de ce dernier 1131 :
‘Prendre en compte ”les coûts de l'homme”, ce n'est donc pas simplement céder à des préoccupations morales et humanitaires, mais c'est assurer à la croissance économique des pays industrialisés et au développement des autres les bases matérielles les plus larges possibles. Ainsi, la réalisation de ce qu'on appelle ”les équilibres fondamentaux de l'économie”, c'est à dire des relations harmonieuses entre les demandes et les offres de travail, de capital, de biens et de services entre toutes les recettes et toutes les dépenses internes et externes, devient possible.’Dans La Croix, Bernard Perret s'étonne que les évêques ”admettent, conformément au sens commun, que l'on doive d'abord créer les richesses pour, éventuellement, les partager ensuite” 1132 . Il salue cependant ”l'amorce d'une alternative au matérialisme des systèmes” avec l'émergence d'une ”pensée centrée sur l'échange”. Celle-ci appelle un désenclavement des pensées anthropologique, éthique et économique. ”Or, on a parfois l'impression que les évêques ne veulent pas prendre le risque de mélanger les genres et préfèrent s'en tenir à une séparation confortable entre ce qui est censé relever de l'autonomie du savoir humain et ce qui engage directement l'autorité morale”, regrette Bernard Perret 1133 .
Ce refus de se positionner dans le débat économique limite la portée de l'appel épiscopal. Il faut ”dépasser le partage des rôles un peu illusoire qui laisse aux évêques le dernier mot sur les grands principes moraux et aux laïcs la contingence des choix techniques”, poursuit Perret plus à même de relever l'ambivalence du discours tenu 1134 :
‘Dans un autre domaine, celui de la morale conjugale et de la bioéthique, l'Église tente en revanche de faire prévaloir une conception très extensive de ce qui relève des seuls principes moraux, au détriment de l'autonomie des logiques humaines et des compétences spécialisées. Elle ne reconnaît pas officiellement la même liberté aux médecins qu'aux technocrates, et pourtant les enjeux moraux de l'économie ne sont pas moindres que ceux de la sexualité.’Yves de Gentil-Baichis, ”Un appel à l'espérance”, La Croix, 18 octobre 1988
Ibid
BG, ”Toujours le partage, mais avec la croissance en plus”, Actualité religieuse dans le monde, 15 octobre 1988
Gilbert Blardone, ”Les évêques et l'économiste”, La Croix, 20 & 21 novembre 1988
Bernard Perret, ”Partage et droit à la création”, La Croix, 8 décembre 1988
Ibid
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