Quand Rome parle

Mis à part aux états-Unis, l’heure n’est pas au débat dans l’église. Le Vatican veille. L'assemblée plénière des membres et consulteurs de 23 pays du secrétariat pour les non-croyants se réunit à Rome du 2 au 5 mars 1988 autour du thème : ”L'Église devant le défi des idéologies et des mentalités contemporaines”. La réunion est l'aboutissement d'un long processus de consultation lancé plusieurs mois en amont. En octobre 1985, le secrétariat romain adresse aux conférences épiscopales et universités catholiques un questionnaire intitulé ”Idéologies, mentalités et foi chrétienne”. Il s'agit d'explorer la réalité de l'athéisme, de la non-croyance et de l'indifférence religieuse dans les divers pays où est implantée l'Église. Le secrétariat pour les non-croyants tente de cerner les courants de pensée,. Ces derniers sont assimilés comme soubassement spirituel de la culture contemporaine exerçant une influence profonde sur la mentalité et le comportement de l'homme contemporain 1149 .

‘1. Quelles sont les idéologies et les mentalités dominantes dans votre pays ?
Quel est leur impact sur la pensée et la vie des chrétiens ?
2. Quelle influence exercent-elles sur la pensée et la vie des chrétiens ?
3. Quelles difficultés pour la foi et l'engagement chrétiens présentent les idéologies politiques ?
Jouent-elles un rôle de purification et de discernement par rapport à la foi et à la pratique chrétienne ?
4. Quels risques et chances présentent les mentalités technologiques pour la vie de la foi ?
5. Suggestions pastorales pour la présentation de la foi et pour l'orientation de la vie chrétienne dans un monde marqué par les différentes idéologies et mentalités contemporaines.’

Au bilan, Mgr Poupard propose un inventaire à la Prévert : ”Éclatement des idéologies, le retour du religieux, la resacralisation, le phénomène des sectes et de nouvelles gnoses, le passage d'un athéisme souriant et militant à un athéisme angoissé, l'omniprésence de la question du sens, surtout sur le sens de la mort”. L’époque contemporaine est qualifiée de ”post-moderne”. Ici, la post-modernité puise dans les joies et espoirs, tristesses et angoisses de Gaudium et Spes, Luctus et Angor. Telle appréciation rend aussi impératif qu'urgent la réintégration de l'Église dans la culture et le champ intellectuel. Suite à l'effondrement des idéologies, la doctrine sociale de l'Église doit offrir un dépassement de l'alternative marxiste-léniniste au capitalisme.

Au mois de juin 1989, la congrégation romaine pour l'éducation catholique publie un document intitulé ”orientations pour l'étude et l'enseignement de la doctrine sociale de l'Église dans la formation sacerdotale”. Signé du préfet et secrétaire de la congrégation, le cardinal William Baum et Mgr José Saraiva Martins, ce texte s'adresse aux évêques et aux professeurs de séminaires. Il s'inscrit dans la droite ligne de l'encyclique Sollicitudo rei socialis. Préparées avec le conseil Justice et Paix, ces orientations rappellent que l'enseignement social de l'Église n'a pas prétention à s'offrir comme troisième voie. La congrégation insiste sur la nécessité d'entretenir cet enseignement dans l'interdisciplinarité philosophico-théologique, scientifique et pastorale. Ce faisant, les orientations valorisent les productions des diverses Églises locales 1150 . Reste qu'intervenant au début de l'été le document romain ne reçoit qu'un faible écho en France 1151 .

Notes
1149.

Mgr Poupard, ”L'Église devant le défi des idéologies et des mentalités contemporaines”, Snop, n°708, 13 avril 1988. A noter que sur les 170 réponses, 81 émanent d'universités catholiques. Ce chiffre traduit sans doute un relatif désintérêt des conférences épiscopales pour la matière.

1150.

”On est, en effet, bien conscient qu'un enseignement solide et profitable de la doctrine sociale de l'Église, tout en restant lié à un noyau essentiel de vérités et de principes dont il faut tenir compte et qui est commun à tous, ne peut cependant laisser de côté les problématiques locales particulières ni la nécessité d'opportunes adaptations pour insérer le message évangélique dans le concret de la vie”, relève La Croix. Georges Mattia, ”Dialoguer avec le monde”, La Croix, 29 juin 1989

1151.

Pourtant, jugeant le bilan de la réunion de 1987 ”suffisamment encourageant”, Jean Gélamur réunit pour la seconde fois sous sa présidence les Semaines sociales à Saint-Denis du 20 au 22 octobre 1989. Ses objectifs sont alors de trois ordres selon La Croix. ”Il souhaite qu'elles soient un laboratoire vivant qui ne soit pas seulement une Académie de réflexion mais un lieu où naissent des propositions et des innovations. Pour les catholiques, ces rencontres doivent aussi être l'occasion d'échanges entre laïcs, la parole n'étant pas réservée aux seuls évêques. Enfin, les Semaines sociales devraient donner la possibilité aux chrétiens de participer aux grands débats de société pour y faire des propositions originales”, indique Yves de Gentil-Baichis. Après avoir abordé le thème de l'emploi en 1987, les Semaines sociales posent la question de la ”formation”.