Tandis que le gouvernement français s'apprête à procéder à l'expulsion d'immigrés algériens, la capitale des Gaules entre en ébullition. Le 2 avril 1981, le père Christian Delorme entame une grève de la faim illimitée, aux côté du pasteur Costil et un algérien, en signe de protestation. Les grévistes refusent le principe de l'expulsion à l'encontre des personnes dont la famille réside sur le sol français. Les marques de soutien ne tardent pas à se manifester. Le 4 avril, l'épiscopat algérien publie une lettre de solidarité 1155 .
Dans un même mouvement, 100 prêtres signent un texte de soutien au père Delorme. Trois d'entre eux entament un ”jeûne musulman” – jeûne du lever au coucher du soleil – qui doit durer aussi longtemps que la grève de la fin du prêtre contestataire. Cette grève ”ne peut pas nous laisser indifférent” déclare Mgr Renard au cours de son homélie de la messe de Pâques 1156 . De nombreuses paroisses en France sont alertées. De nombreuses lettres de protestations affluent au ministère de l'Intérieur. Président de la commission épiscopale des migrations, Mgr Saint-Gaudens, apporte un soutien appuyé au père Delorme le 17 avril. Par son communiqué, il insiste sur la nécessité de considérer le facteur temps dans le processus d'intégration d'une population. Citant le communiqué de la commission des migrations, le primat des décline un argumentaire essentiellement juridique 1157 :
‘Je sais bien que notre pays est en période électorale : cela ne rend pas l'existence plus facile. Puissions nous être soucieux du bien de tous et de la justice pour tous, surtout les plus démunis d'avoir et de pouvait ; dans le respect ”des droits et des libertés fondamentales”, comme le dit le conseil permanent de l'épiscopat : droit pour toute vie humaine et droit au travail ; droit à l'éducation et droit à l'enseignement ; droit de la personne et droit de la famille ; droit des corps intermédiaires et droit de l'Etat : droits élémentaires qui appellent logiquement des libertés concrètes et des attitudes courageuses.’Le mouvement prend tour critique lorsque de jeunes maghrébins incarcérés dans les prisons lyonnaises sont contraints d'interrompre une grève de la faim. Le père Delorme dénonce ”un viol de conscience par l'administration pénitentiaire” et saisit Amnesty International 1158 . L'initiative du curé des Minguettes bénéficie d'une audience au-delà les cercles ecclésiaux. Des personnalités aussi diverses que le général de Bollardière, Roger Garaudy, Georges Casalis, Félix Guattari, Vladimir Jankelevitch, Bernard-Henri Lévy, Claude Mauriac, le professeur Milliez, Antoine Sanguinetti, Laurent Schwartz ou Vercors manifestent leur sympathie 1159 . Le gouvernement doit alors ajourner les procédures d'expulsion. Un groupe de travail est mis en place pour trouver une solution équitable au problème. Satisfaits, les jeûneurs stoppent leur action le 30 avril.
La grève de la faim fait bientôt des émules. A Orléans, une marocaine menace d'entamer un jeûne illimité si elle n'obtient pas le retour de son mari expulsé au terme d'un séjour carcéral de trois ans. Administrateur provisoire du diocèse orléanais, l'archevêque de Paris rappelle alors que la nation française ”ne peut garder ses raisons de vivre que si elle respecte la dignité et le droit de tout homme, spécialement des étrangers, des immigrés, envers qui nous avons souscrit les devoirs de l'hospitalité” 1160 . Entre temps, l'évêque de Grenoble et ses deux auxiliaires interpellent leurs diocésains sur la place des immigrés en France dans le texte ”Travailleurs immigrés nos frères”. La Croix le publie le 24 avril. L'argumentaire est essentiellement juridique 1161 :
‘Des valeurs fondamentales sont en question : le droit pour les immigrés de s'établir de façon permanente dans des communautés d'accueil, le droit à être respectés dans leur propre culture, le droit à ne pas être rapatriés dans n'importe quelles conditions, spécialement en cas de récession économique, le droit au regroupement familial, forme concrète du droit à la vie de famille.’La marque du père Matagrin sur la composition du texte est prégnante. Dans le sillage des nouveaux philosophes, l'évêque de Grenoble revendique pour l'Église une part d'héritage dans l'archéologie morale des droits de l'homme. Le magistère épiscopal dans l'espace public mue. L'utopie politique déclinante, lui préfère l’argument juridique essentiellement appréhendé dans sa dimension morale.
Réunis avec le cardinal Duval, les évêques d'Algérie, profondément émus par le témoignage que portent l'abbé Christian Delorme ainsi qu'un pasteur protestant et un Algérien en faveur des jeunes immigrés menacés d'expulsion du territoire français, se déclarent solidaires de la cause qu'ils défendent, qui est celle de la justice et de la fraternité. Marie-Christine Ray, ”Evêques et prêtres d'Algérie solidaires du P. Delorme”, La Croix, 7 avril 1981
”Je souhaite que cette action non violente, rejoignant d'autres actions diverses de personnes et de groupes, éclaire l'opinion publique qui en reste trop souvent à des idées superficielles ou fausses sur la situation des immigrés. Les jeunes Français et immigrés sont mieux préparés que les générations précédentes à vivre solidaires. Que tous les jeunes qui vivent en France et les mouvements qui les rassemblent entraînent dans leur élan l'ensemble de la population pour la construction d'un monde nouveau où tous auront leur place”. DC, 1808, 17 mai 1981, page 514
Ibid
Anonyme, ”Le cardinal Renard : Des mesures équitables pour les immigrés”, La Croix, 20 & 21 avril 1981
Anonyme, ”Immigrés : les trois grévistes de Lyon ont cessé leur action”, La Croix, 2, 3 & 4 mai 1981
Henri Fauconnier, ”Mgr Lustiger à Orléans : Respecter la dignité de tout homme”, La Croix, 2, 3 & 4 mai 1981
Anonyme, ”Chrétiens et travailleurs immigrés”, La Croix, 24 avril 1981