Mgr Decourtray & le père Delorme : le laboratoire lyonnais

Forgé au christianisme social, le diocèse de Lyon semble destiné à être le laboratoire pour cette redéfinition de la doctrine sociale. Le 21 mars 1983, des incidents éclatent dans le quartier Mommousseau de Vénissieux. Près de 200 CRS s'affrontent à des jeunes du quartier. Dix policiers ainsi que le préfet sont blessés. La population immigrée est stigmatisée. Sur les conseils du père Delorme, l'archevêque de Lyon réagit. Le 27 mars, il cosigne avec les pères Vlassios, pour l'église orthodoxe, et Zacharian, pour l'église apostolique arménienne, et le pasteur Wagner, pour la fédération protestante, un communiqué pour la semaine sainte 1162 . ”Nous sommes particulièrement préoccupés par les réactions de crainte et de racisme qui se manifestent de plus en plus”, écrivent les prélats 1163 :

Le lendemain, onze jeunes Maghrébins des Minguettes engagent une grève de la faim en signe de protestation. Mgr Decourtray va au devant des protestataires. Sollicité pour être l'un des quatre médiateurs du conflit, le primat des Gaules accepte. ”La confiance a été perdue entre certaines masses. Il y a un engrenage de la peur qu'il faut briser par le dialogue”, justifie-t-il avant de s'envoler pour la Pologne. Dans le sillage de Mgr Decourtray, plusieurs évêques livrent leurs réflexions sur les événements. La dimension raciste des incidents la constitue le point focal.

Conscient que des drames semblables peuvent se reproduire, Mgr Matagrin déplore que ” par des paroles, des attitudes ou des actes inconsidérés, on est en train de laisser se développer un climat d'intolérance, sinon, de violence”. Pour lui, ”l'une des grandes questions posées à la nation française est de savoir si nous sommes capables de créer les conditions d'une société respectueuse de toutes les cultures”. Sur Radio-Provence, Mgr Etchegaray demande ”que l'on fasse un effort parfois héroïque, non seulement pour nous, résigner à nous supporter, mais pour découvrir en l'autre quelqu'un qui est notre frère créé à notre image et qui a quelque chose à nous apporter” 1164 . Mgr Etchegaray s'interroge sur le problème de l'immigration et du racisme : ”Jusqu'où ira l'évolution ? Notre société deviendra-t-elle authentiquement multiraciale ou simplement pluricommunautaire ? Nous ne pouvons ni prévoir ni occulter le profil d'une population métissée ou cloisonnée. Quoiqu'il en soit, nul ne sort indemne du choc des cultures” 1165 .

Notes
1162.

DC, 1852, 15 mai 1983, p. 547

1163.

”Il est vrai que parfois des jeunes nés loin de leurs pays d'origine, mal intégrés dans une civilisation différente de la leur, se sentant mal acceptés, souvent critiqués, manquant de qualification professionnelle et de travail cèdent à l'agressivité et tombent dans la délinquance. Il est vrai aussi qu'il ne faut pas confondre prévention avec laxisme. Mais de toute manière, les jeunes nés en France resteront en France. Notre pays, comme d'autres pays occidentaux, a fait venir des immigrés parce qu'il en avait besoin et nous nous sommes enrichis, en grande partie grâce à eux. C'est donc à une réconciliation que nous devons travailler. L'intégration se fera dans la mesure où chaque Français, et tout particulièrement chaque chrétien, fera un effort de compréhension et de rapprochement”, déclare le texte. Anonyme, ”Travailler à la réconciliation”, La Croix, 30 mars 1983

1164.

Anonyme, ”Briser la peur par le dialogue”, Témoignage chrétien, 2022, 11 avril 1983

1165.

Mgr Etchegaray, ”Aux Marseillais de tous bords”, Semaine religieuse de Marseille, 27 mars 1983