Affirmation d'un discours épiscopal communautaire

La Croix ne tarde pas à soutenir l'épiscopat français dans son action. Le 26 mars, le quotidien catholique reproduit des extraits de la méditation de l'archevêque de Marseille. Une interview de Mgr Vilnet au Pèlerin rappelant que ”les immigrés ne doivent pas devenir les boucs émissaires de nos peurs du lendemain”, est également jointe au dossier 1166 . Le 31 mars 1983, Mgrs Kuehn et Bescond prônent la solidarité avec les immigrés comme nécessité humanitaire 1167 . ”Bien des associations s'y emploient, depuis des années. Ces associations doivent être aidées et soutenues” 1168 . A Cambrai, Mgr Delaporte passe un cap en n'hésitant pas à user d'une terminologie communautaire 1169 .

Au début de l'été, les Minguettes sont à nouveaux le théâtre d’incidents. Le syndicat CGC de la police dénonce alors l'activisme du père Delorme. Le 29 juin. Ce dernier reçoit le soutien public du père Decrourtray. Dans le sillage du curé des Minguettes, l'archevêque de Lyon rejoint bientôt les figure d'une ”génération morale” identifiée par Remy Rieffel dans son étude du monde intellectuel français. Au jour de la mort du jeune Toufik Ouannes, 10 ans, à la Courneuve suscite l'indignation des présidents de la commission épiscopale des migrants et du comité épiscopal pour les relations avec l'Islam. Les pères Delaporte et Huygue évoquent un racisme anti maghrébins 1170 .

Les incidents racistes se multiplient tout au long de l'année 1983. Une partie de l'épiscopat guette d'un œil attentif l'émergence d'un discours communautaire. En juin 1983, le père Delorme se rend au chevet de Toumi Djaidja, blessé par la police. C'est alors que naît l'idée d'organiser une ”grande marche de la paix” sur le modèle du militantisme noir américain des années 1960 1171 . L'intuition du père Delorme enthousiasme La Croix qui propose le portrait du ”prêtre des Minguettes” en quatrième de couverture 1172 . Le 15 octobre 1983, quarante marcheurs ”pour l'égalité et contre le racisme” quitte Marseille pour rejoindre Paris. Plusieurs évêques leur adressent des messages de soutien. Le 18 novembre, l'archevêque de Cambrai, président de la commission épiscopale des migrations, s'adresse aux marcheurs en ces termes 1173 :

‘Votre marche est essentielle dans cette conjoncture. Au lendemain d'un nouvel acte de cruauté raciste, sa signification est évidente. (…)
Que votre protestation non violente soit contagieuse ! Qu'elle nous amène à dépasser le repli sur la défense des privilèges dans ce temps de crise, que ces privilèges soient d'ordre économique, social, culturel ou qu'ils soient liés à une conception étroite de la nationalité. Nous en avons tous besoin.’

Les représentants des communautés religieuses de la région de Lille appellent à s'associer aux diverses manifestations prévues pour accueillir la marche au début du mois de décembre. Le 30 novembre, le cardinal Lustiger va au devant des marcheurs. Le même jour, les communautés chrétienne, musulmane et juive saluent la marche des jeunes pour l'égalité et contre le racisme par un communiqué au bas duquel on retrouve le paraphe de Mgr Decourtray au nom de la conférence des évêques de France 1174 .

Dans le sillage du mouvement, la commission ”prêtres au service d'un peuple international” du diocèse de Paris élabore un texte sur l'immigration. Le conseil presbytéral le ratifie à l'unanimité lors de sa réunion du 2 décembre. Il est adressé à l'ensemble des prêtres du diocèse 1175 . Parmi les interrogations, que le climat d'hostilité à l'égard des immigrés soulève, émerge celle de la sensibilisation du clergé aux initiatives telles que la marche pour l'égalité dont la paternité est clairement attribuée au père Delorme et au pasteur Costil. Le cardinal Lustiger s'applique à dénoncer la culture du bouc émissaire à l'endroit de l'immigré. Tel réflexe traduit, selon lui, une crise de la société française anémiée de son projet égalitaire.

Notes
1166.

Anonyme, ”Ces étrangers qui sont aussi la France”, La Croix, 26 mars 1983

1167.

Mgrs Bescond & Kuehn, ”Solidarité avec les immigrés”, La Marne, 31 mars 1983

1168.

DC, 1853, 5 juin 1983, 598

1169.

”Vivre ensemble, ce n'est pas gagné d'avance. Pourtant, ce n'est pas là une possibilité, mais une nécessité. Les chrétiens sont ”interpellés” pour œuvrer dans ce sens, au nom de leur foi, et en y voyant un enjeu pour l'Église qui est en France. Sans omettre le réalisme qu'implique la situation sociale, nous avons à inventer des orientations vers une société où les différentes cultures et races pourront s'enrichir de leurs différences, et vers une Église donnant par ses différentes communautés le témoignage d'une vraie catholicité et de l'amour de Dieu pour tout homme”. Daniel Druesne, ”Mgr Delaporte : Nous sommes nous-mêmes immigrés au cœur de notre propre monde”, Messages, avril 1983

1170.

”Pour que des jeunes puissent prendre leur place dans la société faut-il hésiter devant les sacrifices que représente la mise en question de certaines structures ? Qu'il s'agisse de l'organisation scolaire, d'une politique de l'habitat, d'une meilleure répartition du droit du travail ou de toute autre question essentielle, ne faut-il pas d'abord les considérer en fonction du droit imprescriptible de chacun à la dignité ? ” Snop, n°510, 20 juillet 1983

1171.

Snop, n°517, 19 octobre 1983

1172.

Pierre-Yves Le Priol, ”Christian Delorme : prêtre aux Minguettes”, La Croix, 26 & 27 juin 1983

1173.

Snop, n°522, 30 novembre 1983

1174.

Le primat des Gaules cosigne également un message de soutien avec le MRJC.

1175.

Mgr Lustiger, ”Immigrés : rencontrer son frère”, Paris Notre-Dame, n°4, 8 décembre 1983