De l'immigration à l'Islam

Le centre culturel jésuite LesFontaines programme une session autour du thème ”immigration, pluralisme religieux et démocratie” pour les 9 et 10 février 1985. Derrière la figure de l'immigré, point subrepticement la question de l'Islam et des musulmans : ”transplanté des traditions religieuses chrétiennes… Quelle place ont-ils dans notre société ? Quel sens donner à la laïcité, à la démocratie ?” Le centre Sèvres poursuit la réflexion le 12 février. Six séances sont organisées entre le 26 février et le 26 mars autour de la problématique ”Culture, religion et citoyenneté - la laïcité à l'épreuve de l'immigration”. Une relecture à nouveaux frais de la laïcité apparaît nécessaire du fait des questions qu'adresse la société civile à l'Etat sur la présence de communautés musulmanes conséquentes.

Pour Mgr Gilson, ”des expériences comme celle de l'Islam posent aux sociétés occidentales un problème énorme qu'elles ne veulent pas regarder : celui du statut du religieux dans la société”. Il ne fait aucun doute pour l'évêque du Mans, que le cadre laïc français parvient à ses limites avec l'Islam son fondement consistant en une privatisation de la foi y est largement remis en cause. A cet égard, le ”retour du religieux” chez les jeunes lui semble un indicateur social et politique déterminant. Une réévaluation du pacte laïc semble nécessaire. La société française doit entendre que l'aspiration des jeunes à ”retrouver les racines éthiques qui fondent une société et qui ouvrent à l’Éternel. Ce qui veut dire pour nous chrétiens, à la Résurrection”, poursuit le père Gilson 1184 .

Lorsque le président de la République reçoit les président et vice-président de la conférence épiscopale le 10 janvier 1985, les deux représentants de l'Église insistent sur ”la vigilance de l'Église catholique sur la question des immigrés et au nom même de l'Évangile, sur le respect de l'étranger et la cohabitation de tous ceux qui vivent sur notre sol” 1185 . Soucieux de l'unité nationale, les évêques n'en plaident pas moins pour la construction d'une ”société multiculturelle” 1186 .

En mai 1985, les présidents des commissions des migrations et Justice et Paix, du comité pour les relations avec le judaïsme, de la commission sociale ainsi que le responsable du secrétariat pour les relations avec l'Islam signent un texte commun intitulé : ”Construire l'avenir avec les immigrés” 1187 . ”Les obstacles que constituent pour la vie commune et la vie politique les différences culturelles et religieuses y sont prises en compte. Mais, s'appuyant sur le rapprochement qui se manifeste dans la vie quotidienne, parmi les jeunes notamment, soulignant les bénéfices du dialogue religieux entre les chrétiens et les musulmans, le document en appelle aux évolutions que connaissent et connaîtront encore les populations musulmanes elles-mêmes”, relèvent les Etudes. ”Les différences fondées sur l'origine, la religion, ne peuvent constituer un obstacle majeur à l'intégration dans un même ensemble national”, poursuit le commentaire 1188 . Pour les évêques français, la France ne saurait s'exonérer de la dette qu'elle a contractée à l'endroit des populations immigrées : ”Notre pays a accueilli, pour des raisons économiques ou politiques des populations nouvelles qui ont pris racine en France et y ont fait leur vie. On ne peut recourir à l'arbitraire pour fixer leur sort, si lié à notre histoire. Leur présence est devenue légitime” 1189 .

Il est dès lors significatif que la préparation du synode diocésain à Perpignan intègre la problématique musulmane dans sa dynamique. Mgr Chabbert encourage la mise en place d'une équipe Islamo-chrétienne. ”L'émergence possible d'une France pluri-culturelle oblige l'Église chrétienne à imaginer comment elle se situera dans le respect des autres cultures. Dans ce département, c'est un problème que nous devons nécessairement aborder car l'immigration y est particulièrement importante”, justifie-t-il 1190 . Le processus débute en octobre 1985.

Après consultation du secrétariat de l'épiscopat, le Ceras organise une session à Chevilly-Larue, du 21 au 30 janvier 1986, sur le thème ”immigration : choc à subir ou chance à saisir ?” La session se fonde sur un postulat : l'incapacité de la France à accueillir l'immigré postule une crise d'identité de la société française. Le sujet est alors présenté comme ”l'un des très grands problèmes qui se poseront à la société française dans les années qui viennent” 1191 . Les Etudes consacrent un dossier à l'Islam dans leur numéro de mai 1986 1192 .

Notes
1184.

Mgr Gilson, ”Une Église au service de l'éthique sociale”, Témoignage chrétien, 2100, 8 octobre 1984

1185.

Henri Tincq, ”Des préoccupations parallèles”, La Croix, 12 janvier 1985

1186.

La précédente visite de Mgr Vilnet et Decourtray au président de la République remontait au 14 octobre 1982. Ceci donne, toute l’importance à l’événement.

1187.

DC, 1897, 2 juin 1985, pp. 598-599

1188.

André Costes, ”L'Église catholique devant l'immigration”, Etudes, 364, janvier 1986, pp. 87-101

1189.

DC, 1897, op. cit., pp. 598-599

1190.

Christiane Haumey, ”Adapter la pastorale à la vie”, La Croix, 9 octobre 1985

1191.

Anonyme, ”L'immigration : choc à subir ou chance à saisir ?”, Snop, n°591, 26 juin 1985

1192.

Etudes, 3645, mai 1986