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L'épiscopat, gardien du pacte laïc ?

Après avis négatif du Conseil d’état, le gouvernement doit finalement remanier le texte. Le ministère de l'Intérieur présente la nouvelle mouture du projet de loi lors du conseil des ministres du 12 novembre 1986. La Croix organise alors un forum sur l'identité française : ”Être ou ne pas être français”. Président de la commission épiscopale des migrations, Mgr Delaporte intervient aux côtés de textes de Jacques Robert, professeur de droit public à Paris II, Michel Hannoun, député socialiste de l'Isère et Hervé Lebras, chercheur à l'institut national d'études démographiques. L'archevêque de Cambrai s'interroge dans un premier temps sur les dispositions du texte proposé par Charles Pasqua. La démarche volontaire demandée aux jeunes immigrés apparaît contestable pour lui dans la mesure où ceux-ci sont en pleine constitution de leur identité. ”Leur demander un acte quasi impossible aujourd'hui, n'est-ce pas les rejeter durablement dans une situation d'étrangers alors qu'ils ne se voient pas vivre ailleurs qu'en France?” 1238 . Par ailleurs, le président de la commission des migrations demande l'application de proportionnalité si la politique d'immigration pénètre le domaine juridique du droit commun. Enfin, Mgr Delaporte s'interroge sur la viabilité du critère d'assimilation à la communauté française avérée ou non des communautés visées par le projet de loi.

Derrière cette critique des dispositions légales du texte se profilent trois lignes de force de la réflexion de l'évêque sur l'immigration. Celui-ci convie alors les réflexions de Guy Aurenche dans L'actualité religieuse dans le monde, de l'avis du conseil d'Etat et des réflexions de Jean Massot dans la Revue européenne des migrations internationales de décembre 1985. ”A l'heure où l'Europe se construit difficilement, souhaite-t-on réveiller les nationalismes d'antan ?”, s'interroge le père Delaporte 1239 . Pour lui, l'avis du conseil d'Etat témoigne de la vigueur d'une tradition juridique en France elle-même constitutive de l'identité française. Il s’agit du droit du sol. Or pour l'archevêque de Cambrai, la figure de l'immigré pose précisément aux Français la question de son identité et sa capacité. ”La présence des immigrés nous révèle avec acuité cette fragilité de notre identité nationale. Leur départ laisserait le problème entier car c'est notre problème et non le leur” 1240 .

Le 19 novembre, Mgr Delaporte poursuit sa réflexion à Raisnes (Nord). L’archevêque de Cambrai y dénonce une ”méconnaissance” du législateur concernant le processus d'intégration des populations immigrées en France et de ”leurs aspirations laborieuses à l'intégration. Pour lui, l'annonce ”tonitruante” du projet de loi par le gouvernement qui risque de ”durcir la tendance de cette opinion française à accepter difficilement l'autre” 1241 .

Pour la fête de Saint-Aignan, patron du diocèse d'Orléans, c’est au tour de Mgr Picandet de dénoncer une rupture de la tradition républicaine du droit du sol. A l’heure de la crise socio-économique, l'évêque d'Orléans refuse la logique du bouc émissaire. Chaque diocésain doit être vigilant à ne pas céder à ce tropisme de l'opinion publique 1242 . Le texte amendé, Mgr Delaporte ne désarme pas. ”La façon officielle de procéder semble méconnaître la psychologie de cette population qui appartient généralement aux couches sociales les plus défavorisées, ainsi que la nature complexe et progressive des processus d'intégration où elle est engagée” 1243 . Le président de la commission épiscopale des migrations dénonce un travail législatif trop technique et trop répressif. Et de rappeler que le débat sur l'immigration n'est que le catalyseur d'une crise des valeurs de la société française fondée sur une nationalité dont elle ne parvient plus à déterminer les contours.

Le 30 novembre 1986, Mgr Deroubaix propose une analyse sociologique de l'enrayement du processus d'intégration français faisant primer les discriminations sociales et économiques sur celles d'ordre purement racial 1244 . Face au projet de réforme du code de la nationalité, l'évêque de Saint-Denis dénonce la pratique des charters et la prééminence de l'administration sur l'autorité judiciaire à l’heure de la mise en place de centres de rétention pour personnes en situation irrégulière. Fils du processus historique qui a fondé la France sur un mode intégrateur, Mgr Deroubaix voit dans la crise du modèle républicain l'occasion de retisser des liens avec la tradition culturelle de la France pour mieux s'informer par ailleurs sur celle de la nouvelle immigration. Reste que le vocabulaire utilisé par l'évêque d'un des diocèses les plus cosmopolites de France inscrit l'immigration dans une ethnicisation du débat. Le 9 décembre 1986, la commission des lois auditionne Mgr Delaporte en tant que président de la commission épiscopale des migrations. A cette occasion, l'archevêque de Cambrai réitère ses inquiétudes quant à une érosion subreptice du droit du sol. ”Les conditions de recevabilité de la demande de nationalité” prévue par le texte de loi sont également dénoncées 1245 .

Le 15 mars 1987, plus de 150 associations telles que la Ligue des droits de l'homme, le MRAP, SOS Racisme, les partis d'opposition et les syndicats réunissent 30000 personnes dans les rues de Paris à l'appel. Générations 68 et 86 sont alors réunis pour s'opposer à la réforme du code de la nationalité. Le garde des Sceaux, Albin Chalandon, doit tenter de constituer une ”commission des sages” pour évaluer le projet gouvernemental. Comme en miroir, les thèses du Front National progressent dans l’opinion publique avec une intrication toujours plus serrée des figures de l’immigré et du musulman.

Pour la seconde année consécutive, l'assemblée plénière de Lourdes traite de la question de l'Islam. Le 7 novembre 1987, Mgr Vilnet donne le ton dans son discours inaugural de la session lourdaise : ”Vigilance et refus s'imposent absolument lorsque des surgeons de certaines mystiques raciales réapparaissent avec insolence ou que le comble de l'horreur est considéré comme historiquement négligeable”. Jean-Marie Le Pen ne tarde par à répliquer au président de la conférence épiscopale au Forum RMC-FR 3 organisé le lendemain 1246 :

‘Si c'est le Front national qui est visé, fût ce de manière allusive par ces déclarations, je dois dire que cela ne les empêche pas d'être mensongères et calomniatrices et je dirai même que, s'agissant d'évêques, ces fautes, qui sont déjà graves pour des fidèles normaux, le sont encore plus pour des responsables hiérarchiques. Alors j'invite les évêques à se cantonner dans le fond à la mission difficile de mener l'Église de France et le troupeau des fidèles et essayer de l'agrandir, de le consolider et de le renforcer. […]
Il n'est jamais bon de mélanger les genres. Moi je ne vais pas donner de conseils aux autorités religieuses dans le domaine de la foi, mais, en revanche, sur le plan politique, je propose des solutions, et j'ai fait condamner jusqu'à présent tous ceux qui m'accusaient de racisme et par conséquent les évêques, eux aussi, doivent se sentir tenus par ces décisions de justice et les respecter, car ils sont des citoyens comme les autres.’
Notes
1238.

Mgr Delaporte, ”La fragilité de notre identité nationale”, La Croix, 13 novembre 1986

1239.

Ibid

1240.

Ibid

1241.

Anonyme, ”Mgr Delaporte en faveur de l'intégration des immigrés”, La Croix, 21 novembre 1986

1242.

Mgr Picandet, ”Homélie de la Fête de Saint-Aignan”, Snop, n° 648, 26 novembre 1986

1243.

Mgr Delaporte, ”Déclaration”, Snop, n°648, 26 novembre 1986

1244.

Mgr Deroubaix, ”A propos de la présence des immigrés en France”, Snop, n°649, 3 décembre 1986

1245.

”Il semble que la manière dont on présente la chose fasse preuve d'une nette méconnaissance du processus d'intégration. Car ces jeunes nés en France, l'école, le travail, les associations ont contribué à les façonner. Or le projet de réforme du code de la nationalité ne tient pas compte de ces éléments décisifs dans une vie humaine. Et c'est sur un processus complexe d'intégration que l'on parachute une modification juridique”. Gwendoline Jarczyk, ”Le respect dû à l'étranger”, La Croix, 11 décembre 1986

1246.

Henri Tincq, ”Le Front national sur la sellette”, Le Monde,10 novembre 1987