Du plaidoyer pour la communauté musulmane à l'exigence de réciprocité en pays musulman

Invité par la conférence épiscopale de Turquie en tant que président du secrétariat des relations avec l'Islam, Mgr Dufaux découvre à la fin de l'année 1986, la Turquie et son modèle laïc. A la rencontre d'une église minoritaire, l'évêque auxiliaire de Marseille s'interroge sur la capacité de la France à accueillir les populations de confessions minoritaires en son sein. Dès lors, la question se pose, en terme de réciprocité : ”Pourquoi les minorités chrétiennes en pays musulmans ne bénéficient-elles pas toujours du même respect et de la même liberté [que les musulmans en France ?]”, s'interroge-t-il 1247 .

Le 7 décembre 1986, la Documentation catholique publie l'intégralité d'une enquête conduite par l'évêque d'Oran, Mgr Claverie, sur le dialogue Islamo-chrétien. Tandis que Mgr Dufaux déclare devant l'association des journalistes de l'information religieuses que les catholiques ”cherchent à avoir une attitude ouverte tant au niveau religieux qu'humain, à cause de l'Évangile”, l'évêque d'Oran reste prudent sur les perspectives d'un dialogue 1248 .

Au début de l'été 1987, plusieurs centaines d'agents pastoraux, prêtres, religieux, religieuses et autres catholiques auraient bénéficié de formations sur l'Islam dispensées par la conférence épiscopale. Responsable du secrétariat avec l'Islam, le père Roger Michel indique alors que ”le contact qu'ils ont avec les musulmans en France ne leur permet pas d'avoir une connaissance systématique de la religion du Coran” 1249 . La ”session de la clarté de Dieu” qui a lieu tous les étés depuis la création du secrétariat en 1980 connaît un succès ascendant 1250 .

De son côté, après le texte ”l'immigration aujourd'hui” de mai 1986, le groupe de travail ”inter-commissions racisme” produit deux fiches : ”L'insertion dans la communauté française” et ”Chrétiens et musulmans en France : vivre ensemble dans la liberté religieuse”. Tandis que le projet de loi sur le code de la nationalité est confié à un comité des sages, la fiche constituée indique que ”l'opposition entre une nationalité automatiquement octroyée et une nationalité à la tête du client doit être dépassée” 1251 .

La seconde note s'intéresse aux problèmes pastoraux induits par la présence de populations musulmanes en France. Dans le droit fil de Nostra Aetate, le groupes s'interroge sur les relations à nouer avec celles-là, ”minoritaires dans une société sécularisée très différente de leurs pays d'origine” et confrontés à la difficulté de transmettre leurs traditions religieuses ou culturelles 1252 . L'Église prend fait et cause pour le modèle laïc. ”Les musulmans devront accepter la définition d'un état laïc, qui sépare, en principe et en droit, le spirituel du temporel. Nécessaire et difficile remise en question, non pas de leur foi, mais de la manière de vivre cette foi hors de la terre d'Islam” 1253 . Puisant dans la constitution conciliaire sur la liberté religieuse mais aussi dans le corpus des droits de l'homme, l'Église de France sollicite des pays musulmans la réciproque dans l'accueil des minorités religieuses. ”Tel est le juste prix à payer pour le bénéfice d'une coexistence équilibrée et harmonieuse en France et ailleurs”.

Le 25 février 1988, La Croix publie un débat sur l'immigration. Mgr Delaporte échange avec la sociologue Gaye Salom et le président du club de l'horloge, Henry de Lesquen. Tandis que ce dernier défend la thèse de l'impossible assimilation des populations musulmanes en France, le président de la commission épiscopale des migrations s'inscrit en faux. ”Je ne vois pas, je refuse même, par principe, une distinction entre des groupes décrétés assimilables et d'autres non” 1254 . Refusant l'idée d'une société multiculturelle cloisonnée, le père Delaporte plaide pour une approche à long terme du problème. En ”interaction permanente”, les cultures autochtones et immigrées tendent à se travailler mutuellement avec le temps. S'appuyant sur les débats de la dernière assemblée plénière, Mgr Delaporte rejette une vision essentialiste de l'Islam. Il n'en demeure pas moins que la crise sociale et économique fait le lit de l'extrémisme et du réflexe identitaire, à tel point que l'Église interpelle les pouvoirs publics sur le sujet : ”Il faut inventer un statut de l'Islam en France, pour que des jeunes puissent rester fidèles à l'essentiel de la foi de leurs pères tout en respectant la laïcité de notre pays. En tout cas, les responsables de notre pays ont des responsabilités à prendre pour que notre pays soit le même” 1255 .

Tandis que l'intégrisme catholique durcit son discours, le modèle intégraliste semble radicalement remis en cause par l'épiscopat français. De la même manière, le 10 mai, le cardinal Lustiger dénonce sur Europe 1 la tendance du Front National à faire de ”la nation l'absolu”. L'archevêque de Paris évoquant ”tout le vieux paganisme antichrétien de l'Action française du début du siècle”, l'épiscopat français semble affronter une résurgence conjointe du ”catholique d'abord” pour les lefebvristes et du ”politique d'abord” avec le Front National 1256 .

Notes
1247.

Mgr Dufaux, ”Visite aux chrétiens de Turquie”, Bulletin diocésain de Marseille, n°41, 7 décembre 1986

1248.

”Plus que jamais, le dialogue est nécessaire et nous devons tout faire pour le sauvegarder et le promouvoir. La coexistence implique une connaissance vraie… Mais elle est aussi un rapport de force qu'il faut sans cesse négocier sous peine de le voir dégénérer en oppression, en exclusion et en violence. Je pense que nous allons traverser des heures difficiles…” DC, 1929, 7 décembre 1986, pp. 1114-1121

1249.

Bernard Le Léannec, ”Mieux connaître l'Islam”, La Croix, 4 juillet 1987

1250.

Les interventions du père blanc Robert Caspar, vivant en Tunisie depuis quarante-cinq ans et professeur de théologie et de mystique musulmane à l'institut pontifical d'études arabes de Rome, animateur du groupe de recherches Islamo-chrétien (Gric), sont parmi les plus prisées du public. Robert Caspar, Traité de théologie musulmane, Pontificio instituto du Studi Arabi d'Islamistica, 1987, 495 pages

1251.

Gwendoline Jarczyk, ”Chrétiens et musulmans : apprendre à vivre ensemble”, La Croix, 8 juillet 1987

1252.

Secrétariat pour les relations avec l'Islam, ”Problèmes pastoraux posés par la présence musulmane en France”, Snop, n°679, 22 juillet 1987

1253.

Ibid

1254.

Noël Copin, Michel Cuperly & Etienne Gau, ”Les moyens de choisir”, La Croix, 25 février 1988

1255.

Ibid

1256.

Anonyme, ”L'humanisme contre le néo-paganisme”, La Croix, 12 & 13 mai 1988