D/ Lourdes 1987 : plaidoyer du père Vilnet pour une nouvelle laïcité

Avant de quitter le devant de la scène, Mgr Vilnet lance un pavé dans la mare en conclusion de son bilan présidentiel : la pérennité de la laïcité française passe par sa nécessaire réévaluation. L'Église de France se découvre alors tout un programme dans le prolongement des perspectives missionnaires 1257 . Jean Potin est enthousiaste. La concomitance du renouveau des Semaines sociales et du discours de Mgr Vilnet laisse présager un retour en force de l'enseignement social de l'Église. ”Peut-on dire que l'Église de France commence à mesurer les inconvénients d'avoir un peu négligé depuis quelques années l'actualisation et l'enseignement social de l'Église ?”, s'interroge le rédacteur de La Croix 1258 . Pour sa part, le père Jean-Yves Calvez insiste sur la nécessité pour l'Église d'entrer en débat avec les diverses options temporelles ou spirituelles qui compose le débat français. ”J'aimerai que, pour être bien complets, nous disions aussi expressément, notre disposition à écouter d'autres vues que les nôtres quant aux exigences morales elles-mêmes” 1259 .

L'importance d'une présence catholique dans le monde intellectuel souligné par Mgr Vilnet ne manque pas d'alimenter le débat dans l'Église de France. Mgr Rozier, évêque de Poitiers, n'en est d'ailleurs pas le moindre des animateurs. Son commentaire régulier dans La Croix lui offre une audience significative. Ainsi, s'applique-t-il à susciter la question chez les lecteurs du quotidien catholique. Au lendemain des fêtes de fin d'année, il interpelle les catholiques de France sur la question de ce phénomène de dépossessions de l'Église de son patrimoine culturel. ”Les fêtes chrétiennes sont-elles appelées à être prises tout simplement dans le mouvement de sécularisation qui est un fait de société et de culture ?”, s'interroge-t-il 1260 . Or si l'archéologie de la mémoire française révèle une puissante empreinte de la tradition chrétienne, ”l'Église ne doit pas penser son mode de vie et de présence au monde en termes de restauration”. Reprenant à nouveaux frais le thème de la mission de l'intérieur, l'Église de France est invitée à inscrire son dialogue avec la modernité dans un processus d'inculturation. ”C'est un problème immense qui s'inscrit sans doute dans le mystère de l'histoire. L'Église est appelée à chercher, à réinventer sans cesse, les moyens nécessaire à l'expression et à la proposition de la foi. Mais la foi n'est jamais nue. Elle a besoin d'être portée par une communauté, dite dans une culture. Elle a vocation à habiter toutes les cultures” 1261 .

Pour sa part, Henri Madelin entre dans le débat à l'occasion de la sortie de l'ouvrage d'Emile PoulatLa guerre des deux France et le principe de la modernité 1262 . Le directeur du centre Sèvres fait alors résonner l’appel de Mgr Vilnet à une nouvelle laïcité avec celui du sociologue pour ”une nouvelle civilité”. ”Si l'on veut avancer désormais comme on l'entend demander ici ou là et spécialement du côté de l'épiscopat français, il est clair, comme le souligne l'auteur, que notre regard et notre langage doivent se modifier pour élaborer une nouvelle grille pour le moment présent”, relève-t-il 1263 . Le père Madelin ressuscite alors un mythe polonais assoupi : ”c'est, à mon avis, dans les pays de l'Est que naîtra un nouveau mariage détonnant entre une liberté chrétienne réinventée et une démystification radicale des prétentions d'une politique à vocation totalitaire” 1264 .

Dans son commentaire à La Croix, Jean-Yves Calvez reprend l'adresse de Mgr Vilnet. Le directeur du Ceras définit les conditions minimales pour une laïcité viable. Puisant dans un discours de Paul VI de 1971, le père Calvez indique que l'Etat ”a absolument besoin qu'une éthique se développe. Il est clair, au nom de ce principe, qu'il doit favoriser l'épanouissement des sources de l'éthique que sont les religions et tous les autres modes d'entretien de convictions fondamentales permettant aux hommes d'accéder à un sens de leur existence et de relation à autrui” 1265 .

Notes
1257.

Au lendemain de l'assemblée plénière, Yves de Gentil-Baichis insiste sur cette ”préoccupation majeure des évêques français […] que l'Église ne soit pas marginalisée dans la société française et que les convictions des chrétiens ne soient pas reléguées dans la sphère de la vie privée”. Yves de Gentil-Baichis, ”Le refus de la marginalisation”, La Croix, 11 & 12 novembre 1987

1258.

Jean Potin, ”Le retour de l'enseignement social”, La Croix, 11 & 12 novembre 1987

1259.

Jean-Yves Calvez, ”Mgr Vilnet et la laïcité”, La Croix, 10 décembre 1987

1260.

Mgr Rozier, ”L'Église dépossédée”, La Croix, 28 janvier 1988

1261.

Ibid

1262.

Emile Poulat La guerre des deux France et le principe de la modernité, Paris, Cerf-Cujas, 1988, 444 pages

1263.

Henri Madelin, ”Une France à deux cultures”, La Croix, 8 & 9 mai 1988

1264.

Ibid

1265.

Jean-Yves Calvez, ”La laïcité, un respect actif”, La Croix, 17 & 18 juillet 1988