Quelle place pour la culture religieuse ?

Le président de la commission épiscopale de l'enseignement religieux distingue les deux problématiques du catéchisme et de la culture religieuse défaillante des jeunes français 1283 :

‘On constate une rupture de mémoire collective ; le patrimoine commun est dilapidé. Le fossé se creuse entre des compétences très pointues, scientifiques ou techniques, et l'analphabétisme religieux. De ce fait, le cahier des charges de la catéchèse est trop lourd et les 30 à 40 heures de catéchisme par année largement insuffisantes.’

A l'occasion d'un tel constat, Mgr Plateau suggère deux pistes de réflexion, à savoir la mise en œuvre d'un enseignement religieux à l'image d'autres pays européens ou l'insertion de ”la culture religieuse” à l'intérieur même des programmes dans une logique interdisciplinaire. Pour lui, le débat s'insère plus largement dans le cadre d'une redéfinition du cadre laïc. ”Bien sûr, le pluralisme religieux dans notre pays complique les choses”, concède encore Mgr Plateau. Il n'en demeure pas moins qu'au-delà d'une hypothétique légitimité historique, l'Église sait qu'elle ”peut apporter quelque chose dans le débat national sur les grandes questions éthiques par exemple” 1284 . Ce faisant, les évêques français renoncent pour partie au dialogue institutionnel et politique avec l’état 1285 . La régulation de la laïcité se déplace du champ politique au prétoire.

Cette appréhension du fait religieux en termes communautaires et minoritaires trouve son ultime traduction dans la réunion de Lourdes 1987. ”Nous refusons de nous laisser reléguer dans une semi-clandestinité sous prétexte que nous serions devenus minoritaires. Les minorités en France seraient-elles privées de droits civiques ?”, s'interrogent les évêques réunis en assemblée plénière 1286 . Le phénomène minoritaire apparaît dès lors comme normatif dans la société française contemporaine.

Au plus fort de la tempête médiatique suscitée par les déclarations épiscopales sur La dernière tentation du Christ de Martin Scorcese et la pilule abortive RU 486, Philippe Warnier s'insurge dans La Croix au nom des ”jeunes générations, qui en ont ras le bol d'un christianisme couleur de muraille, oubliant parfois de crier la Bonne Nouvelle sous le prétexte de ne pas vouloir imposer sa vérité. Les catholiques sont devenus une minorité dans ce pays et ils ont le droit au respect de leurs convictions. […] Il est étrange, parfois de constater que beaucoup se permettent, vis-à-vis de la foi chrétienne, des attitudes qu'ils jugent inadmissibles s'agissant de l'Islam ou du Judaïsme” 1287 .

En avril 1988, le sociologue Pierre-André Taguieff propose une analyse critique de l'antiracisme avec son étude La force du préjugé, un ”essai sur le racisme et ses doubles” 1288 . Attentif à la monté de l'affirmative action à la française au travers de mouvements tels que SOS racisme, l'auteur conteste la pertinence des stratégies du mouvement anti-raciste. Confronté au racisme culturaliste de la nouvelle droite et son recyclage des slogans soixante-huitards du droit à la différence dans un racisme érigé contre l'uniformisation des cultures, le mouvement anti-raciste perpétue non sans risque cette revendication du droit d'être différent. Aux prises avec de telles contradictions, Taguieff plaide pour une revalorisation de l'universel comme recours face au culte raciste de la différence. La pensée de l'universel permet de penser l'altérité comme une figure de ”l'autre moi-même” et non pas comme un radical étranger. En novembre 1988, Mgr Rozier esquisse une critique à peine voilée du politiquement correct fondé sur le phénomène communautaire 1289 :

‘Il est certain qu'au nom de la liberté de création et d'expression, on n'aurait pas pris de tels risques par rapport à l'Islam… Faudrait-il que, dans notre pays, on devienne musulman pour que les croyants soient respectés et pour que le fait religieux soit reconnu dans sa dimension et sa signification sociétaire ?’

Au lendemain du schisme lefebvriste, la démarche du politiquement correct trouve des résonances au cœur de la démarche œcuménique de l'Église. Invité de La Croix à l'occasion de la sortie de son ouvrage Un siècle, une vie, Jean Guitton invite à préciser les limites de l'œcuménisme conciliaire 1290 . ”Mon œcuménisme est catholique : il s'agit, comme disait Jean XXIII, de purifier l'Église romaine des rides et des taches de l'histoire pour attirer de nouveau les autres chrétiens. Or, j'ai parfois peur qu'on aille vers une sorte de fédération vague, mettant toutes les Églises sur le même pied et reniant vingt siècles de foi unique et universelle” 1291 .

Réuni le 22 décembre 1988, le conseil des Églises chrétiennes en France 1292 caractérise le christianisme comme ”une composante essentielle du patrimoine culturel de la France” 1293 . Tandis que le pasteur Stewart succède au cardinal Decourtray à la tête de l'organisme, les Églises souhaitent la mise en œuvre de moyens pédagogiques adaptés pour la transmission aux jeunes générations par le biais du système d'enseignement de l'héritage culturel consubstantiel au christianisme. Les 1er et 2 avril 1989, Poitiers accueille le congrès national de Pax Christi sous la présidence de Mgr Rozier. Le thème de la rencontre est celui de ”la liberté religieuse”.

Notes
1283.

Ibid

1284.

Ibid

1285.

Lionel Jospin fait appel du jugement du tribunal administratif d’Orléans, qui, sur un recours de Mgr Pierre Plateau, archevêque de Bourges, avait annulé, en juin 1988, la décision de transférer au mercredi les cours du samedi matin dans les écoles de Bourges.

1286.

Anonyme, ”Comprendre l'inquiétude de nos frères étrangers”, La Croix, 10 juillet 1986

1287.

Philippe Warnier, ”La dernière tentation du Christ”, La Croix, 6 octobre 1988

1288.

Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1988, 645 pages

1289.

Mgr Rozier, ”La liberté en question”, La Croix, 12 novembre 1988

1290.

Jean Guitton, Un siècle, une vie, Paris, Robert Laffont, 1988, 464 pages

1291.

Pierre-Yves Le Priol, ”Jean Guitton : le vrai miracle catholique”, La Croix, 8 & 9 octobre 1988

1292.

Conseil créé le 17 décembre 1987. Damien Sicard, ”Sur la route de l'unité des chrétiens”, Etudes, 3685, mai 1988, pp. 691-693

1293.

Anonyme, ”Sur le christianisme comme composante essentielle du patrimoine culturel de la France”, Snop, n°735, 6 janvier 1989