Voile Islamique : l’épiscopat au secours de la laïcité

Tandis que s'exacerbe la controverse autour du voile de Creil, Gaston Piétri énonce une tendance marquée de la société française à valoriser les revendications identitaires. L'Église catholique, comme la laïcité, ne sont pas exemptes de tous reproches sur le sujet. ”Rien n'est plus contraire à notre identité que le recours facile à la soi-disante pureté d'un modèle, c'est à dire le plus souvent à une réalisation d'étape pour figer l'histoire”, indique le directeur de l'institut pastoral d'études religieuses de Lyon 1315 .

A la veille de sa rencontre avec le recteur de la mosquée de Paris, le 19 octobre 1989, Mgr Lustiger interpelle les autorités musulmanes sur la signification du voile. ”Il faut d'abord poser le problème du voile aux responsables culturels et religieux de l'Islam. Il faut qu'ils débattent entre eux et qu'ils nous expliquent clairement, peut-être de façon contradictoire, quelle en est la signification et la portée”, indique l'archevêque de Paris qui distingue ”prescription religieuse” et ”prescription nationale et politique” pour mieux s'interroger si le port du voile ”contredit ce qu'est la définition française de la laïcité” 1316 .

Pour Bruno Chenu, ”façonnée par son histoire, la laïcité à la française fait la part belle à la tradition chrétienne. Et elle n'a pas toujours conscience de tout ce qu'elle impose aux croyants d'autres religions” 1317 . Dans son éditorial du 24 octobre 1989, le rédacteur en chef de La Croix se prononce pour une institutionnalisation du débat sur la laïcité tandis que 800 femmes voilées ont manifesté le dimanche 22 octobre entre le métro Barbès-Rochechouard et République, à l'appel de l'association Islamique en France et La voix de l'Islam.

La faculté de droit canonique de Paris organise les 9 et 10 novembre 1989 un colloque sur ”Etat contemporain et liberté religieuse”. A cette occasion, Emile Poulat revient sur la déclaration conciliaire Dignitatis humanae largement discutée et contestée par les catholiques intégristes. Or, pour le sociologue, le cœur du problème ne se situe pourtant pas dans la réception de ce texte au sein de l'Église. L'insuffisance décisive de Dignitatis humanae réside dans l'absence de référence à l'Etat contemporain au fil du texte. ”L'Église, dans ses instances locales, aussi bien que romaines, ne prendrait pas assez en compte la réalité de l'Etat contemporain et la manière propre qu'il a d'appréhender les questions religieuses”, rapporte Michel Kubler dans La Croix 1318 .

En pleine crise du voile Islamique, Mgr Honoré s'impose comme un des penseurs de la laïcité au sein de l'épiscopat, en première ligne pour la défense de l'école libre auprès d'Alain Savary 1319 . ”La question posée par le port du voile de jeunes musulmanes à l'école a une valeur symbolique. Mais n'en doutons pas, les symboles dans la vie sociale ont souvent plus de force que les discours” 1320 . C'est d'ailleurs à l'occasion de la messe du 11 novembre que l'évêque de Tours, s'inquiéte de voir la laïcité compromise dans une déstabilisation de l'école qui ”risquerait d'aboutir à ébranler notre société elle-même et, par delà celle-ci, à compromettre l'identité et l'unité de la nation”.

Notes
1315.

Gaston Piétri, ”Des identités qui bougent”, La Croix, 19 octobre 1989

1316.

Bertrand Révillion, ”Ne faisons pas la guerre aux adolescents beurs”, La Croix, 21 octobre 1989

1317.

Bruno Chenu, ”Pour un débat institutionnel”, La Croix, 24 octobre 1989

1318.

Michel Kubler, ”Pour une Église mieux informée sur l'Etat”, La Croix, 15 novembre 1989

1319.

Le 28 novembre 1989, la Mutualité de Paris accueille 1 000 personnes répondant à l'appel ”à défendre la laïcité” lancé par cinq intellectuels dans Le nouvel observateur. Gisèle Halimi, de l'association Choisir, Patrick Kessel, du club des Egaux et Arezki Dahmani, de France Plus sont les grands organisateurs de la soirée. A cette occasion, Régis Debray dénonce le voile comme ”message de mépris et d'accusation envers les musulmans qui ne le portent pas”, tandis que l'avocate Gisèle Halimi dénonce le voile Islamique comme ”l'apartheid, c'est le drapeau de l'infériorité de la femme. Il ne peut pas entrer à l'école laïque”. BR, ”Gisèle Halimi : Le voile, c'est l'apartheid”, La Croix, 30 novembre 1989

1320.

Mgr Honoré, ”Réflexions sur la laïcité, la question posée par le port du voile Islamique”, Snop, n°771, 24 novembre 1989