Laïcité et Islam, une occasion de refonder l'œcuménisme chrétien

Tandis que le débat autour de la laïcité se creuse, le comité mixte catholique-protestant en France publie, en octobre, les fruits d'une réflexion menée par les deux Églises sur les rapports de la foi chrétienne et les questions éthiques, ”Catholiques et protestants face à la morale dans une société laïque”. Mandaté conjointement par le conseil permanent de l'épiscopat et par le conseil permanent des Églises luthériennes, le comité est alors composé de Mgrs Vilnet, Bagnard, Bussini ainsi que des pères Duprey, Legrand, Martelet et Sicard pour les catholiques et des pasteurs Leplay, Benoît, Birmelé, Bost, Dumas, Freychet et Prieur côté protestant. Le dernier paragraphe du document aborde de front la question de la laïcité. ”Nous souhaitons que les déclarations publiques de nos Églises ne soient pas reçues comme des tentatives de réguler la société. Mais nous voulons contribuer à un débat public, où l'on recherche comment respecter les personnes et les groupes dans leur originalité spirituelle, comme dans leur volonté de vivre ensemble, ce qui serait une bonne définition de la nouvelle laïcité” 1321 .

Traumatisés par l'année 1988, les auteurs conviennent par ailleurs que ”nos déclarations publiques gagneraient parfois à être mieux réfléchies quant à leur opportunité, mieux préparées dans un dialogue avec des personnalités et des organismes compétents, plus attentives aux situations réelles”. Pour autant, le texte n'élude pas les divergences entre catholiques et protestants quant à la place faite à la conscience personnelle vis-à-vis de l'autorité de l'Église. ”Les catholiques accueillent les directives du magistère comme une interprétation de la parole de Dieu et de la ”loi naturelle” tandis que le protestant assujettit les données naturelles à la liberté et à la conscience chrétienne des personnes”, relève Bruno Chenu dans La Croix 1322 . Pour sa part, Alain Finkielkraut dénonce ”la sainte alliance” des églises engagées dans une réflexion sur la laïcité dans Le Monde du 25 octobre 1989. L'intellectuel stigmatise la substitution par les Églises des ”droits de la tribu” aux droits de l'homme 1323 :

‘Après s'être nouée contre ”l'offense” faite par les Versets sataniques à ”des millions de croyants”, la sainte alliance des clergés s'exerce maintenant contre la laïcité à l'école. L'affaire Rushdie et l'affaire dite du foulard Islamique sont deux aspects d'une seule et même attitude, qu'on peut résumer ainsi : ”Je soutiens tes revendications pour mieux faire avancer les miennes.” En réclamant l'autorisation du voile dans les classes, le rabbinat dénonce et intimide préventivement toute tentation d'interdire la kippa ou de sanctionner les élèves qui ne viennent pas à l'école le samedi. Quant à l'Église catholique, engagée dans un projet enthousiaste et grandiose de nouvelle évangélisation, elle affirme de plus en plus ouvertement le monopole de la religion sur la vie spirituelle. Hors de la foi, point de spiritualité : quand la foi entre en conflit avec la culture, l'esprit, pour l'Église, souffle toujours, en dernière instance, du côté de la foi.’

Dans La Croix, Bruno Chenu regrette que ”les penseurs chrétiens ne se [soient] pas bousculés pour porter un jugement théologique sur l'Islam” 1324 . S'appuyant sur les recherches du groupe de recherche islamo-chrétien (Gric) contenues dans l'ouvrage Ces Ecritures qui nous questionnent 1325 , le rédacteur en chef du quotidien catholique plaide pour la démarche pastorale prônée par l'archevêque d'Alger. Mgr Teissier invite en effet les catholiques à passer ”de la mise en regard des doctrines à la mise en relation des personnes”. Dans un parallèle avec l'affaire du carmel d'Auschwitz, Bruno Chenu indique que ”la solution des problèmes se trouve dans la pratique des attitudes humaines fondamentales que sont la connaissance, la compréhension, l'accueil, le respect, mais aussi l'interpellation à son moment, la clarification, le débat” 1326 .

Le 16 puis le 17 novembre 1989, La Croix consacre sa rubrique ”société” à une enquête sur le thème ”l'intégration et l'Islam”. Au terme du premier volet du dossier, Pierre-Yves Le Priol plaide pour une approche positive de l'Islam. ”La religion musulmane, facteur d'insertion plutôt que véhicule de l'extrémisme ? Sans doute, tant s'impose l'évidence dans une cité ”chaude” comme La Paternelle… ” 1327 . Organisée dans la commune de Marseille, l'enquête s'alimente notamment des travaux de l'anthropologue Bruno Etienne 1328 et des réflexions de la politologue Jocelyne Césari de l'institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman qui voient dans l'appartenance confessionnelle une chance pour l'intégration 1329 .

Notes
1321.

Bulletin œcuménique d'information, 25 octobre 1989

1322.

Bruno Chenu, ”Catholiques et protestants réfléchissent sur l'éthique”, La Croix, 3 novembre 1989

1323.

Alain Finkielkraut, ”Voiles : La sainte alliance des clergés”, Le Monde, 25 octobre 1989

1324.

Bruno Chenu, ”Christianisme et Islam”, La Croix, 14 novembre 1989

1325.

Collectif, Ces Ecritures qui nous questionnent, Paris, Centurion, 1987, …. pages

1326.

Ibid

1327.

Pierre-Yves Le Priol, ”Marseille, quartiers nord…”, La Croix, 16 novembre 1989

1328.

Bruno Etienne, La France et l'Islam, Paris, Hachette

1329.

Pierre-Yves Le Priol, ”La chance d'un mosquée”, La Croix, 17 novembre 1989