Sous l'impulsion de Bruno Chenu, La Croix poursuit sa réflexion sur la laïcité. Le 28 novembre 1989, le quotidien catholique consacre une double page à une table ronde réunissant Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS, Faouzia Zouari, chercheur et le père Michel Serain, ancien secrétaire de l'épiscopat français pour les relations avec l'Islam, consulteur au conseil pontifical pour les religions non chrétiennes. Hostile à l'idée d'organiser le débat laïc autour d'un noyau minoritaire de l'Islam, le père Serain n'en élude pas pour autant la question de la compatibilité de la religion musulmane avec la législation française. ”Plus on étudie le droit musulman, plus il est difficile de ne pas voir des incompatibilités avec la laïcité en France”, indique-t-il 1330 . Or pour lui, l'espace laïc français se définit comme ”l'espace où l'on dépouille le vieil homme, où l'on ne se coupe pas des autres par son identité” 1331 .
Ces nouvelles frontières de la laïcité est source de débats sur la scène catholique. Jean Boissonnat relève ainsi l'élection naturelle de l'Évangile avec la laïcité moderne du fait de l'adage christique dissociant les biens de César de ceux de Dieu 1332 . ”Jean Boissonnat me permettra de ne pas le suivre”, écrit Emile Poulat dans La Croix. Citant les réflexions de Mohammed Arkoun, le sociologue refuse de lire les différences entre confessions musulmanes et chrétiennes au seul filtre d'un idéal laïc. ”Les différences sont indéniables et considérables, mais nous réserver une exclusivité dans ce domaine, c'est à la fois un cliché occidental, une erreur factuelle et une idée novice” 1333 .
Pour Mgr Eyt, la controverse du foulard redistribue les cartes entre les divers acteurs de la laïcité. ”A une expérience de laïcité qui s'est développé vis-à-vis d'un pôle chrétien et juif succède, à tous égards, une nouvelle problématique : celle instaurée par une recherche de laïcité connaissant désormais un pôle nouveau constitué par l'Islam”, commente-t-il à l'occasion des assises de l'aumônerie de l'enseignement public de Gironde réunies en décembre 1989 1334 . Le 27 mars 1990, un rapport sur le racisme en France est remis au Premier ministre. Au même titre que cheikh Tadjini Haddam et le grand rabbin Sirat, le cardinal Lustiger cosigne le document.
Le 16 mai, une table ronde sur la politique d'immigration en France est réunie autour du Premier ministre et les responsables des partis politiques parlementaires. Celle-ci prélude au débat parlementaire sur la politique d'intégration des étrangers en France fixé au 22 mai. Précédemment, le Premier ministre conviait l'opposition à une rencontre sur le racisme le 3 avril. A cette occasion, L'actualité religieuse dans le monde consacre son numéro en date du 15 mai à l'attitude des catholiques français face au racisme. Roland Cayrol de l'institut CSA commente pour l'hebdomadaire un sondage effectué du 12 au 15 février sur le sujet. ”Si des individus, des militants et des associations catholiques sont souvent le fer de lance de l'action antiraciste sur le terrain, le peuple chrétien dans ses profondeurs est, plus encore que le centre de gravité du pays, saisi par la tentation du refus de l'autre” 1335 .
Dans le même journal, Mgr Delaporte porte un regard politique sur les résultats du sondage CSA analysé. ”Une partie [des catholiques] ont gardé des habitudes de droite dans le choix de leurs journaux et leurs façons de voter, votes qui ne sont pas toujours réfléchis chrétiennement et sont tributaires de la peur” 1336 . Une nouvelle fois, la critique de la nouvelle droite et de ses publications saillit. L'ancien président de la commission épiscopale des migrations devenu président de la commission Justice et Paix esquisse des pistes de réflexion proches de l'affirmative action pratiquée par la société américaine. ”Il faudrait des mesures spécifiques pour les immigrés et des mesures plus générales pour toute une population en difficulté. Il faut aussi être conscient que l'intégration ne se résume pas à la nationalité. Quand un Algérien devient Français par naturalisation, il lui reste tout un cheminement culturel à faire, il n'est pas sorti de sa marginalisation sociale” 1337 .
Devenu président de la commission française Justice et paix, Mgr Delaporte accueille avec enthousiasme l'initiative du ministère de l'Intérieur pour la mise en place d'un conseil consultatif de l'Islam en France. ”Nous avons besoin de ce mode de représentation de la deuxième religion de France qui est en fait majoritairement modérée. Mais l'Etat français doit poser ses conditions, les règles du jeu d'une société laïque qui s'imposent d'ailleurs aux autres confessions”, confie-t-il à La Vie en mai 1990 1338 . Le 29 novembre 1990, l'hebdomadaire La Vie et l'association Génériques organisent une journée d'étude sur l'Église et l'immigration. Apparaît alors clairement l'esquisse d'un retournement de tendance chez les catholiques. ”Le discours sur l'Islam varie singulièrement chez les évêques d'Afrique noire et du Nord”, relève La Croix 1339 .
Bruno Chenu, ”La laïcité et les signes distinctifs”, La Croix, 28 novembre 1989
Ibid
Jean Boissonnat, ”Abraham en France”, La Croix, 31 octobre 1989
Emile Poulat, ”Le principe de séparation”, La Croix, 24, 25 & 26 décembre 1989
Mgr Eyt, ”Laïcité : attention aux simplismes et aux amalgames”, La Croix, 23 décembre 1989
Roland Cayrol, ”Les catholiques français et le racisme”, Actualité religieuse dans le monde, 15 mai 1990
Mgr Delaporte, ”Nos paroisses sont-elles françaises ou catholiques ?”, L'actualité religieuse dans le monde, 15 mai 1990
Ibid
Jean-Claude Escaffit, ”Mgr Delaporte : l'intégration, j'y crois”, La Vie, 17 mai 1990
Michel Kubler, ”L'Église face à l'immigration”, La Croix, 1er décembre 1990