Familiaris consortio, plaidoyer romain pour une doctrine ferme

Cette convergence des questions éthiques et familiales intervient au lendemain de la promulgation par le Pape de l'exhortation Familiaris consortio, le 22 novembre 1981. ”Dans l'ensemble, l'accueil a été assez respectueux du grand message de la foi qui sous-tend ce document”, se réjouit Mgr Vilnet, en ouverture du conseil permanent des 8, 9 et 10 mars 1982 1364 . L'enthousiasme épiscopal ne doit cependant pas faire illusion. Le père Valadier révèle ainsi que l'exhortation passe sous silence l'essentiel des débats engagés par les pères synodaux 1365 :

‘Elle écarte à ce point les discussions pourtant vives au synode des évêques, malgré les manipulations et les pressions, elle affiche si fort un point de vue personnel, que loin de fermer le débat, elle l'ouvre. Le Pape certes a parlé, mais avec un tel accent singulier, qu'il a parlé comme parmi d'autres. Point de vue à considérer avec le plus grand soin, mais point de vue qui, n'ayant pas eu beaucoup le souci d'intégrer en lui une vérité réellement ”catholique”, ne cherchant plus ou pas à retenir la part de vérité incluse chez autrui, s'annonce comme un point de vue.’

Nous verrons la place prépondérante que prend Rome dans la recherche engagée par l'épiscopat pour un nouveau magistère éthique. Le Vatican s'affirme comme un partenaire particulièrement exigeant, sinon contraignant. Le mandat français consiste à concilier théologie wojtylienne et tradition pastorale de l'Église de France conciliaire. Délégué français au synode de la famille, Mgr Jullien va éprouver, à la tête de la commission familiale, les difficultés à définir les contours d'une pensée épiscopale originale. L'Église de France pâtit de sa relative anémie intellectuelle en la matière. Reste que le dilemme n'est pas rédhibitoire selon le père Valadier 1366 :

‘Je pense que si la peur ou une papolâtrie peu catholique n'étouffent pas les réactions, ce texte (Familiaris consortio), comme beaucoup d'autres de Jean-Paul II, devrait permettre un échange bénéfique au pluralisme et à la communion. Tout cela suppose l'existence d'une vie interne de discussion où les points de vue, au lieu de s'exclure ou de se condamner, acceptent de se dire et donc de communier (ce qui ne veut pas dire de faire l'unanimité). Nous en sommes loin, mais je crois qu'on peut désigner là une tâche urgente pour le proche avenir.’

Ainsi, avec le père Jullien, l'épiscopat français trouve une personnalité à la pensée originale. Au lendemain du synode sur la famille, la vigueur de son propos ne tarde pas à faire mouche dans la sphère catholique. L'évêque de Beauvais répond en bien des points aux exigences dégagées par le père Valadier. Ainsi lorsqu’à la rentrée scolaire 1982, le ministère de la jeunesse et des sports diffuse une brochure ”J'aime, je m'informe”. Mgr Jullien dénonce, sans détour,le caractère dérisoire de l'initiative gouvernementale. D'une plume aussi incisive qu'ironique, il dénie même au gouvernement toute compétence à produire une parole normative en matière de sexualité 1367 :

‘Dans les autres domaines, on est plus exigeant : les pouvoirs publics visent à une économie volontaire et concertée ; ils récusent la logique du libéralisme, le laisser-faire, laisser-passer. Pourquoi alors cautionner et même prôner en matière de sexualité la permissivité qu'on refuse dans les autres domaines de la vie sociale ? Parce que la sexualité relève de la vie privée ? Mais on disait cela aussi de l'économie au siècle dernier… La vie intime des couples est d'abord une affaire privée, mais elle aussi une composante sociale ? Les pouvoirs publics n'ont pas à régenter la vie privée des gens, c'est entendu, mais ils peuvent et doivent promouvoir chez les jeunes et les adultes le souci d'une information et plus encore d'une formation à une liberté vraie, à une responsabilité authentique.’

Il n'en demeure pas moins que l'épiscopat français reste sur la défensive en matière morale – sexuelle notamment. En visite ad limina, le 9 octobre 1982, les évêques de la région Nord interpellent Jean-Paul II sur leurs difficultés. La réponse du souverain pontife est ferme. Le fil tissé par Humanae vitae est repris sans vergogne 1368 :

‘Il faut avec un langage clair montrer sans cesse le sens de cette éthique, cohérent avec une certaine théologie du corps ; il faut promouvoir en fait le véritable amour humain et le respect de la vie. Une société ne peut se construire sans ces valeurs, et elle a tôt fait de devenir décadente lorsqu'elle les abandonne. Il ne faudrait donc pas baisser les bras devant la vague qui conteste aujourd'hui la morale familiale. Il faut, au contraire, élever le débat, en espérant que nous y serons rejoints par beaucoup d'hommes et de femmes de bonne volonté, qui en comprennent l'enjeu, au moins pour la santé de la société, la dignité et le bonheur durable des personnes.’
Notes
1364.

DC, 18 avril 1982, 1828, p. 412

1365.

Paul Valadier, ”L'universel et le particulier dans l'histoire récente de l'Église de France”, Confrontations, 1984, II, page 42

1366.

Ibid

1367.

Mgr Jullien, ”Et la tendresse ! …”, La Croix, 14 octobre 1982

1368.

Anonyme, ”La visite ”ad limina” des évêques du nord de la France”, La Croix, 12 octobre 1982