Renouvellement de l'intelligence catholique

Intervenant au sein du groupe, le 12 janvier 1983, le père Patrick Vespieren (s.j.) se montre prudent face à la prolifération du vocabulaire éthique. Le conférencier plaide pour substituer le terme déontologie à celui d'éthique. L'enjeu réside dans une pacification des débats. ”Les oppositions entre familles d'esprit et de traditions différentes peuvent ainsi être vécues avec plus de sérénité et permettre la recherche de compromis acceptables par les unes et par les autres”. A défaut d'une éthique médicale française, l'impératif consiste en la définition d'une ”éthique minimale”, soit un code déontologique 1379 .

Les débats se poursuivent le 29 janvier 1983 autour de ”la production sociale de l'éthique” 1380 . Après une brève introduction, l'historien René Rémond officie dans le rôle du modérateur des débats. Bernard Quelquejeu, Paul Ladrière et Guy Palmade se succèdent à la tribune pour trois interventions distinctes : ”passage de l'ethos à l'éthique”, ”pouvoirs éthique et politique” et ”le débat producteur d'éthique”. Les orateurs ne peuvent faire l'économie d'une nouvelle référence à Humanae vitae. René Rémond voit dans ce fossé creusé entre l'institution ecclésiale et les fidèles l'expression d'une crise des ”valeurs”. Pour Bernard Quelquejeu, ”les mouvements d'action catholique, en particulier l'action catholique ouvrière, ont fait large usage du terme de valeur et ils ont complètement cessé, ou à peu près, d'en faire usage il y a déjà une dizaine d'années”. Or, au seuil des années 1980, il ne fait aucun doute, pour le théologien, que ”des militants d'action catholique pourraient dire que c'est un mot qui a disparu à peu près entièrement de leur vocabulaire et de leurs références d'usage quotidien” 1381 .

Le 16 avril 1983, c'est au tour de Xavier Thévenot de s'interroger sur ”les interventions de l'Église en matière d'éthique sexuelle” 1382 . L'Église y est identifiée comme ”instance surmoïque sévère et inhibitrice” 1383 . Il ne fait aucun doute, pour le moraliste que l'Église est frappée d'un lourd passif historique. Plus profondément, celle-ci pâtit de sa prétention à régler le particulier par l'universel. Plus fondamentalement, la philosophie ecclésiale cède au substantialisme et occulte les conditions de l'action qui est à la fois chargée d'antagonisme, salissante et aléatoire. ”Il est vain de croire que l'on puisse faire l'économie de la lecture de l'expérience humaine toujours nouvelle pour élaborer un champ normatif”, indique le père Thévenot 1384 :

‘C'est pourquoi intégrer la pratique responsable comme lieu théologique doit provoquer les chrétiens à mieux développer leur sens de l'Église et doit inviter le magistère à plusieurs attitudes : éviter de clore trop vite les débats ouverts par certaines pratiques nouvelles dans l'histoire de l'humanité (par exemple la contraception chimique, l'insémination avec donneur), respecter une certaine liberté de la recherche des théologiens ; considérer le risque raisonnable comme un facteur possible de vérification des hypothèses éthiques. Ces attitudes contribueraient certainement à augmenter la crédibilité de l'Église qui apparaîtrait non pas comme détentrice d'un savoir éthique tout fait, mais comme une institution qui, forte de sa foi en Christ et sous l'action reconnue de l'esprit, cherche avec d'autres à tracer le difficile chemin de l'humanisation.’

La prolifération médiatique ajoute une nouvelle contrainte au magistère qui développe alors un double discours : ”un discours moral où la rigueur des principes est rappelée fermement et un discours pastoral qui manie une profonde miséricorde” 1385 .

Notes
1379.

Patrick Vespieren, ”Biologie et éthique”, Confrontations, juillet 1983, IV, pp. 17

1380.

Collectif, ”La production sociale de l'éthique”, Confrontations, juillet 1983, V, pp. 1-40

1381.

Ibid, pp. 1-31

1382.

Xavier Thévenot, ”Les interventions de l'Église en matière sexuelle”, Confrontations, décembre 1983, pp. 89-102

1383.

Ibid, page 90

1384.

Ibid, page 101

1385.

Ibid, page 91