C/ Quel discours épiscopal au monde scientifique ?

Vacillement de la communauté scientifique et fermeté épiscopale

En septembre 1984, les éditions du Seuil publient un ouvrage du professeur Jean Hamburger, La raison et la passion 1405 . Le médecin mène alors une réflexion sur les limites de la discipline scientifique. L'accélération des progrès de la science ne prive-t-elle pas l'homme moderne d'une réflexion sur l'éthique et le sens. Quelques semaines après, la Documentation catholique publie conjointement la déclaration ”Vie et mort sur commande”, de la commission familiale de l'épiscopat et l'avis rendu le 23 octobre par le comité national d'éthique contre le recours aux mères de substitution 1406 . Le champ éthique apparaît générateur de consensus. Ainsi, le texte épiscopal renvoie à de nombreux ouvrages et études tels que ceux du biologiste Jean Rostand, de Georges Friedmann ou Jean Hamburger, du prix Nobel de médecine, Georges Wald, du rapport Sullerot, etc. Une nouvelle fois, les publications de la revue Médecine de l'homme participent à tisser des liens entre Église et spécialistes de la santé sous l'impulsion du docteur Abiven.

Or la recherche d'un consensus pose la question de la hiérarchie des acteurs du champ éthique et de leurs interventions. Documents-Episcopat de décembre 1984 publie une conférence du cardinal Ratzinger sur le sujet. Le préfet de la congrégation romaine pour la doctrine de la foi intervenait à Dallas lors d'une session de travail des évêques américains réunis du 4 au 9 février 1984 sur le thème de la théologie morale. Le retour en grâce de la morale dans le débat intellectuel met en scène évêques, théologiens et morale dans un champ aux frontières mouvantes. Or, les controverses autour des ouvrages de Hans Küng et Jacques Pohier mais aussi relatives à l'armement nucléaire invitent l'Église à éclaircir les contours de sa doctrine. La responsabilité de l'évêque catholique est celle du ”maître de morale” qui maîtrise la doctrine ecclésiale et sa tradition. ”Il doit non seulement transmettre une tradition, mais encore témoigner de ce qui est devenu pour lui-même un style de vie crédible et éprouvé”, insiste le père Ratzinger 1407 . Telle démarche ne laisse d'espace qu'à un empirisme tempéré 1408 :

‘A partir de cette connaissance personnelle du message moral de l'Église, il doit essayer de rester ouvert à la discussion avec les experts qui recherchent l'application correcte des énoncés simples de la foi à la réalité complexe d'une époque déterminée. Il lui faut donc se préparer à devenir à la fois élève et partenaire critique des experts. Il doit se rendre capable de percevoir des nouvelles réalités, les nouveaux problèmes, les nouvelles possibilités d'interprétation, pour contribuer ainsi au mûrissement et à la purification de l'héritage moral. En revanche, il doit exercer son droit de critique quand l'expert oublie les limites de sa science ou réduit la morale à une affaire de pure et simple spécialisation.’

Certes, Platon et le principe d'une ”discussion familiale soutenue” sont évoqués pour illustrer les relations entre évêques et théologiens. Le père Ratzinger insiste cependant sur la primauté de l'autorité épiscopale sur le théologien : ”Il n'appartient pas à l'expert lui-même d'établir des règles ou de les annuler, donnant ainsi naissance, peut-être, à des factions ou à des groupes de pression”. La publication d'une telle conférence marque une tendance au sein de l'épiscopat. Les évêques ne manifestent-ils pas leur volonté de se ressaisir de la fonction enseignante qui leur incombe ? Il ne fait en tout cas pas de doute que le secrétariat de l'épiscopat veille à informer l'ensemble des évêques sur les publications théologiques contemporaines 1409 .

Les 10 et 17 février 1985, Mgr Jullien est l'invité d'Henri Tincq et Dominique Quinio sur RMC. ”Vie et mort sur commande” occupe une bonne place dans les échanges. Le président de la commission familiale plaide pour une parole pastorale dans la mesure où ”donner un enfant à un couple qui se meurt de ne pas en avoir, c'est une très grande chose. Aider un homme qui souffre à mourir paisiblement cela n'a pas de prix”. L'épiscopat ne doit cependant pas abdiquer son esprit critique face au pouvoir médical. ”Si nous n'apprenons pas à réguler ce pouvoir, à y mettre plus de sagesse, nous risquons de faire exploser la famille, de compromettre l'équilibre social de la communauté humaine”, indique-t-il 1410 .

Notes
1405.

Jean Hamburger, La raison et la passion, Paris, Seuil, 1984, 162 pages

1406.

DC, 1885, 2 décembre 1984, pp. 1126-1131

1407.

Mgr Ratzinger, ”Evêques, théologiens et morale”, Documents-Episcopat, 17, décembre 1984

1408.

Ibid

1409.

René Marlé, ,”Qui est Dieu ? A propos de quelques livres récents. Reprise contemporaine de la question de Dieu”, Documents-Episcopat, 16, novembre 1984

1410.

Henri Tincq, ”La vie n'a pas de prix”, La Croix, 19 février 1985