D/ Du consensus éthique à la rupture

L’église catholique et ses évêques plaident la prudence

Dans une telle vacuité, la tradition chrétienne ”ne manque pas d'éléments de clarification, car elle contient une ”vision spécifique” de l'homme”, avance Jean Potin dans La Croix 1433 . Les acteurs médiatiques semblent en convenir. Ainsi le président de la commission de la famille s'impose-t-il comme un interlocuteur récurrent du débat éthique. Invité du ”Grand jury” sur RTL le 30 mars 1986, l'évêque de Rennes condamne la fécondation in vitro hétérologue. Plus généralement, la technicisation du vivant est dénoncée avec virulence 1434 :

‘L'insémination artificielle avec un donneur extérieur au couple atteint en profondeur la cellule familiale. L'insémination artificielle à l'intérieur du couple pose des problèmes différents… Je trouve assez extraordinaire qu'on dépense des trésors d'ingéniosité technique et des centaines de millions et qu'au même moment on liquide allègrement 200 000 enfants dans le sein de leur mère au nom de la même logique et en célébrant les mêmes prouesses techniques.’

A l'été 1986, les éditions du Cerf éditent Des motifs d'espérer 1435 . Il s'agit d'un recueil composé par Emmanuel Hirsch, producteur de France culture, à partir de réflexions de divers acteurs de l'éthique. Au nombre des interviewés, Mgr Jullien pose le problème du débat dans une société pluraliste. Aussitôt, Jean Potin se saisit de l'interpellation épiscopale pour arguer dans La Croix de l'urgence d'une bioéthique. ”Le pluralisme des conceptions philosophiques et religieuses pourra-t-il converger dans un véritable projet sur l'avenir de l'homme ? Car le destin de l'humanité est de plus en plus entre ses mains”, s'inquiète l'éditorialiste 1436 .

”L'Église peut s'affirmer en termes de différences éthiques et spirituelles dans une culture qui banalise les identités”, écrit le père Defois dans son ouvrage, Les chrétiens dans la société, sorti en septembre 1437 . L'ancien secrétaire général de l'épiscopat ressaisit ainsi à sa manière le double travail de l'Église de France concernant la définition de son identité ecclésiale et sa présence au monde. C'est précisément sur cette problématique que Michel Falise, recteur de l'institut catholique de Lille et président de la fédération internationale des universités catholiques, interpelle la congrégation romaine pour la doctrine de la foi dans un courrier du 5 septembre. L'hôpital Saint-Philibert, qui dépend de l'université catholique de Lille vient de donner naissance à un bébé par fécondation homologue in vitro. Une audience est sollicitée auprès du cardinal Ratzinger pour aborder les questions posées par cette technique fécondation. La lettre restera sans réponse 1438 .

Le débat éthique se poursuit cependant dans les milieux médicaux, théologiques et éthiques avec l'annonce par l'éditeur Flammarion d'un ouvrage du professeur Jacques Testart de l'hôpital Antoine-Béclère. Précédé d'une préface du philosophe Michel Serres, L'œuf transparent s'annonce comme l'événement de l'automne 1439 . Dès le mois de septembre, la lecture des épreuves du livre suscite le débat. Reprochant au comité national d'éthique de ne pas avoir répondu aux interrogations de la communauté scientifique, le pionnier de la procréation artificielle suggère le principe d'un moratoire scientifique dans la recherche biologique et ses applications au vivant. La réponse du comité national d'éthique est immédiate. Son président annonce un document sur la fécondation in vitro pour la fin de l'année. Il écarte, en revanche, toute idée de moratoire dans la mesure où un consensus éthique, où ”le respect de la personne humaine est capital”, se profile. ”Les découvertes des biologistes ont rejoint en ce domaine les opinions des théologiens sur le caractère unique de chaque être humain”, insiste Jean Bernard 1440 . Il est à cet égard révélateur que La Croix confie le commentaire de l'information à Jean Potin, spécialisé dans l'information religieuse 1441 .

Notes
1433.

Jean Potin, ”Les nouveaux pouvoirs sur la vie”, La Croix, 26 mars 1986

1434.

Anonyme, ”Mgr Jullien sur RTL dénonce certaines pratiques d'insémination artificielle”, La Croix, 2 avril 1986

1435.

Emmanuel Hirsch, Des motifs d'espérer, Paris, Cerf, 1986, 159 pages

1436.

Jean Potin, ”L'urgence d'une bioéthique”, La Croix, 20 & 21 juillet 1986. Le débat éthique se répand à l'échelle de l'Église universelle comme une traînée de poudre. Or, la condamnation par Rome du théologien américain, Charles Curran, pour ses thèses à la jonction des champs théologique et psychologique ne manque pas d'interpeller les catholiques français. Dans La Croix, Yves de Gentil-Baichis voit dans la controverse américano-vaticane le révélateur des ”redoutables questions posées à l'Église par la progression des sciences humaines et biologiques”. Pour l'éditorialiste du quotidien catholique, ”celles-ci constituent un véritable défi pour la communauté catholique qui ne peut se retrancher dans le silence de refuser le dialogue avec la modernité”. Latentes, les tensions entre Rome et les investigations menées à l'échelle des Églises locales menacent de devenir aiguës. Yves de Gentil-Baichis, ”Ethique : ”l'affaire Curran””, 3 septembre 1986.

1437.

Gérard Defois, Les chrétiens dans la société, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, 278 pages

1438.

Bertrand Révillion, ”Des adaptations sont souhaitables”, La Croix, 9 janvier 1988

1439.

Jacques Testart, L'œuf transparent, Paris, Flammarion, 1986, 216 pages

1440.

Jean-Charles Duquesne, ”Il faut être prudent avant d'arrêter la recherche”, La Croix, 12 septembre 1986

1441.

Jean Potin, ”Le temps de la réflexion”, La Croix, 12 septembre 1986