Retour irrésistible de la doctrine

Les déclarations du professeur Testart interviennent tandis que le Vatican demande au père américain Paul Curran de corriger son enseignement théologique. Des signes avant-coureurs de raidissement se font jour. C'est dans ce contexte que le cardinal Lustiger adresse une lettre aux responsables, médecins et soignants des établissements hospitaliers et cliniques du diocèse de Paris au mois de novembre. La Croix en publie de larges extraits dans son édition du 26 novembre. L'archevêque de Paris évoque l'euthanasie, l'avortement et le diagnostic prénatal 1442 .

Au commentaire, Yves de Gentil-Baichis regrette que les conflits de conscience y soient érigés comme seul ”signe d'une authentique participation au mystère de la croix” 1443 . Ligne de force de la réflexion cardinalice, cette exigence irradie un texte trop dogmatique au goût du chroniqueur religieux 1444 :

‘Ce message très spécifique s'adresse donc en priorité aux chrétiens qui pourront décoder cet appel à un certain héroïsme. Pour d'autres, il sera difficile à saisir à moins d'être touchés par la ”verticalité” de l'appel.’

L'hypothèse d'un texte romain en matière éthique se précise. Le 26 novembre, Jean-Paul II en annonce l'imminence depuis Sydney. Sa rédaction doit se faire en collaboration étroite avec les divers épiscopats car ”même en ce domaine, il importe que les évêques ne négligent pas leur propre autorité et magistère”, insiste le Pape 1445 . A Melbourne trois jours après, il prolonge sa réflexion dans une longue allocution consacrée aux progrès de la biotechnologie. Enfin, la visite d'une maternité catholique de la ville, est pour lui l'occasion de souligner que ”les représentants des médecins catholiques doivent continuer à rappeler que les docteurs et les scientifiques sont des êtres humains, soumis à la même loi morale que les autres gens, surtout s'ils s'occupent, de patients, d'embryons humains, de tissus humains” 1446 .

En France, l'épiscopat s'applique à renforcer les liens tissés avec les professionnels de la santé. Le 4 décembre, l'assemblée nationale discute l'amendement d'Yvette Roudy visant à la suppression du remboursement de l'interruption volontaire de grossesse. Dans son édition du 26 novembre, le Snop se contente de reproduire le texte de l'assemblée plénière 1982 1447 . La Croix pallie ce silence relatif des évêques par un éditorial de Noël Copin. Ce dernier déplore que l'amendement proposé soit examiné dans le cadre du projet DDOS (diverses dispositions d'ordre social) qui doit être adopté par vote bloqué au terme d'un débat global. ”Les questions qui concernent la vie humaine ne deviennent-elles pas de plus en plus urgentes ?”, s'interroge Noël Copin regrettant que ”le législateur laisse leur examen au comité national d'éthique, sans que le pays, par l'intermédiaire des institutions démocratiques, puisse débattre sur les valeurs fondamentales qui fonde son existence et garantissent son avenir” 1448 . A défaut de nouvelle déclaration, l'éditorialiste suit la ligne du Snop en citant le texte épiscopal de 1982.

Pour les évêques, l'urgence est de crédibiliser la parole de l'Église dans les débats éthiques en cours. Les 8 et 9 décembre, les délégués diocésains de la pastorale de la santé convergent vers Chevilly-Larue pour leur journée nationale. Or, pour le secrétaire du secteur santé de la commission sociale, Gérard Crumer, la pastorale de la santé de l'Église de France vit son ”adolescence” : ”Le monde de la santé reste encore marqué par un certain contentieux vis-à-vis de l'Église. Il faut un long temps d'apprivoisement mutuel”, indique-t-il 1449 . Mgr Herbulot représente la commission sociale à ces journées nationales. Il insiste alors sur la démarche anthropologique qui prévaut dans cette pastorale en devenir. ”Pour être des passeurs de Dieu, il faut savoir nous engager pour le service de l'homme et de son équilibre physique, mental, social”, indique-t-il 1450 .

Les acteurs de la pastorale s'organisent dans l'attente de l'avis promis par le comité national d'éthique au professeur Testart. L'imminence d'un texte romain affirme le caractère déterminant d'une parole d'Église dans le débat. Entre le 10 et le 12 décembre, La Croix propose une enquête en trois volets - ”Quel devenir pour les enfants de l'éprouvette ?”, ”la réflexion se décentralise” et ”les arguments des théologiens” - sur la bioéthique et le respect de l'embryon. Le moraliste Xavier Thévenot est une nouvelle fois la personne ressource du quotidien catholique pour une interview synthèse.

L'avis du comité national d'éthique sur la fécondation in vitro intervient le 15 décembre 1986. Le lendemain, La Croix y consacre ses deux premières pages intérieures. Sollicité, Mgr Jullien identifie la distance qui sépare l'appréciation du comité d'éthique et celle de l'Église. Les recommandations du comité ”ne répondent pas aux exigences les plus fondamentales du respect de l'homme en tout être humain, si petit et si fragile qu'il soit, comme la destruction d'embryon ou leur utilisation à des fins scientifiques” 1451 . Pour autant le président de la commission de la famille, ne rejette pas en bloc la réflexion ainsi produite. Il demande alors au père de Dinechin une étude rendant compte des points d'accords et de désaccords de l'Église avec le texte.

Concernant les embryons surnuméraires, le délégué de l'épiscopat aux questions éthiques estime le texte ”bien construit”. ”A mon avis, si les recommandations du comité sont appliquées, elles limiteront des abus déjà existants et en éviteront d'autres”, conclut-il se réjouissant que l'Église prenne l'avis au sérieux et qu'elle ait décidé d'en faire une ”analyse serrée” 1452 . Reste au père de Dinechin à qualifier l'avis. Dans son esprit, l'avis du comité d'éthique consiste davantage en un code de déontologie pour les professionnels qu'en des recommandations éthiques. La finalité est de ”trouver un compromis pratique entre deux biens que l'on essaye d'ajuster alors qu'ils sont contradictoires” : la recherche et le respect de l'être humain 1453 .

Notes
1442.

Mgr Lustiger, ”C'est la conscience et non la science qui est souveraine”, La Croix, 26 novembre 1986

1443.

Yves de Gentil-Baichis, ”Au cœur des contradictions”, La Croix, 26 novembre 1986

1444.

Ibid

1445.

Georges Mattia, ”Jean-Paul II annonce un document sur la bioéthique”, La Croix, 28 novembre 1986

1446.

Georges Mattia, ”Le respect de la vie, première condition des droits humains”, La Croix, 29 novembre 1986

1447.

Assemblée plénière de l'épiscopat français, ”L'avenir d'un peuple”, Snop, n°648, 26 novembre 1986

1448.

Noël Copin, ”Silence gêné sur l'IVG”, La Croix, 4 décembre 1986

1449.

Dominique Quinio, ”Veilleurs de vie”, La Croix, 13 décembre 1986

1450.

Ibid

1451.

Mgr Jullien, ”Non à la destruction d'embryons et à leur utilisation à des fins scientifiques”, La Croix, 16 décembre 1986

1452.

Yves de Gentil-Baichis, ”Fécondation ”in vitro” : d'accord, pas d'accord”, La Croix, 24 décembre 1986

1453.

Ibid